La Birmanie, un pays en crise
Constance Rousselle, chargée d'études au sein de la Direction générale de l'Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, s'est entretenue avec Sophie Boisseau du Rocher, chercheure associée au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (IFRI), spécialiste des questions politiques et géostratégiques en Asie du Sud-Est.
Comment citer cet entretien
Sophie Boisseau du Rocher, « La Birmanie, un pays en crise », Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, Avril 2021. URL : cliquer ici
Constance Rousselle - Le premier février 2021, l'armée birmane a organisé un coup d'État et a arrêté, entre autres, la conseillère spéciale d'État Aung San Suu Kyi. Qui est exactement Aung San Suu Kyi et quelle place occupait l'armée au sein de la vie politique birmane avant le coup d'État ?
Sophie Boisseau du Rocher - La meilleure façon de définir Aung San Suu Kyi, même si c'est un peu schématique, c'est de dire qu'elle est la fille de son père, le général Aung San. Celui-ci a travaillé avec d'autres à préparer et négocier l'indépendance de la Birmanie dans les années 1944/1945/1946, avant qu'elle ne soit déclarée en janvier 1948. Le général Aung San est en outre, le fondateur de l'armée birmane, la Tatmadaw. Mais son grand projet inachevé a été de redéfinir l'identité birmane, mise à mal par la politique de division des Britanniques. Il faut toujours garder à l'esprit que l'identité birmane ne s'impose pas.
Le territoire birman est en effet assez complexe : autour d'une grande plaine centrale où vit environ soixante-cinq pour cent de la population, majoritairement d'origine Bamar, on trouve des chaînes de montagne en fer à cheval autour de cette plaine où vivent le reste de la population (135 ethnies).
Il y a des ethnies importantes (les Karens par exemple regroupent près de 5 millions de personnes) et d'autres plus retirées (les Wa rassemblent 550 000 personnes), mais l'idée principale du général Aung San était d'arriver à faire ensemble nation ; c'est à cette fin qu'il avait réuni les représentants des principales ethnies à Panglong en février 1947 afin de redéfinir ensemble les critères identitaires. Mais le général Aung San a été assassiné en juillet 1947, quand Aung San Suu Kyi n'avait que deux ans. Elle a donc vécu avec cette image mystifiée de son père (rien n'indique que le processus de Panglong aurait abouti et résisté durablement) ; elle s'est sentie investie d'un héritage et a voulu réaliser ce que son père n'avait pas eu le temps de faire. Après deux ans en Inde avec sa mère (cette dernière a été nommée ambassadeur de Birmanie en Inde dans les années 1960), elle poursuit ses études à Oxford où elle a rencontré son mari, anthropologue travaillant sur les sociétés du Tibet avec qui elle aura deux fils. Elle a donc vécu la première partie de sa jeune vie d'adulte en Angleterre ou au Népal mais pas en Birmanie. Pendant ce temps-là en Birmanie, le coup d'État perpétré par le général Ne Win en mars 1962 a bloqué tout progrès dans le pays pendant près de 30 ans : la voie birmane vers le socialisme a appauvri et désorganisé le pays, sauf l'Armée, la fameuse Tatmadaw, qui a organisé ses propres réseaux de captation de pouvoir, militaire, politique et économique. Ce coup d'État a permis à l'Armée d'occuper tous les rouages de l'État et d'empêcher toute autre alternative politique « pour empêcher les désordres ». En 1988, la mère d'Aung San Suu Kyi est malade et sa fille repart à Rangoon pour l'aider. C'est à ce moment-là que les premières manifestations contre les militaires (et leur gestion désastreuse du pays) ont lieu, au printemps et à l'été 1988. Là, du simple fait de sa présence, Aung San Suu Kyi apparaît comme une voie de salut pour la majorité des Birmans, éprouvés par une terrible répression (3000 victimes au moins seront dénombrés). Son discours à la pagode Shwedagon en août 1988 où elle demande à ses concitoyens de ne pas avoir peur et de se battre suscite un véritable élan. Sur le coup, les militaires annoncent qu'ils allaient autoriser la tenue d'élections et donc, la création de nouveaux partis politiques. En septembre 1988, la Ligue Nationale pour la Démocratie est créée et c'est ce parti qui remporte le scrutin en 1990. La junte militaire birmane refuse ce résultat et perpétue un autre coup d'État en 1990 ; Aung San Suu Kyi est ainsi soit assignée à résidence soit emprisonnée. Elle ne pourra se déplacer pour recevoir le prix Sakharov décerné par le Parlement européen en 1990 ou pour recevoir le prix Nobel de la paix décerné en 1991 ; elle ne pourra quitter le pays pour entourer les derniers jours de son mari, Michael Aris, en mars 1999. Aung San Suu Kyi incarne donc personnellement la lutte du peuple birman, elle est déterminée, elle a fait ses choix et va de l'avant, prête au sacrifice personnel. Elle va bénéficier d'une aura décuplée quand les jeux politiques vont s'assouplir dans les années 2000, avec la feuille de route pour la démocratie mise en place par l'armée à partir de 2003. Aung San Suu Kyi sortira de son assignation à résidence en 2010, se présentera aux élections en 2012 et sera élue députée en 2012. On parle alors d'une « transition disciplinée vers la démocratie », transition encadrée par l'armée et par la Constitution de 2008. Le scrutin complètement libre de novembre 2015 confirme une nouvelle fois la popularité de la LND. Aung San Suu Kyi devient de facto chef du gouvernement à partir de mars 2016 en créant le poste de Conseillère d'État pour contourner l'article 59 F de la Constitution censé l'empêcher de le faire puisqu'il interdit à tout Birman ou Birmane marié à un étranger d'exercer les plus hautes fonctions de l'État. Son habileté politique aura eu raison de la Tatmadaw !
Le coup d'État du 1er février 2021 est très présent sur la scène médiatique internationale. Ce coup d'État était-il une surprise ? Suite à ce dernier, quelles ont été les réactions des différentes puissances mondiales ?
Évidemment, le coup d'Etat a été une surprise mais il pouvait être, d'une certaine façon, anticipé. En effet, il y avait un compromis flou entre l'armée et la LND dans lequel l'armée pensait garder le contrôle du processus démocratique. Cette ambiguïté, quand on relit les événements depuis 2016, a toujours pesé. Trois étapes importantes montrent bien qu'Aung San Suu Kyi et les militaires jouent au chat et à la souris : la première étape qui a rendu les généraux furieux, c'est quand Aung San Suu Kyi, en contournant l'article 59 F, se nomme conseillère d'État et assure les fonctions que l'armée ne voulait pas qu'elle assume ; elle choisira également le poste de ministre des Affaires étrangères pour garder le contrôle des contacts avec l'étranger. Le second piège dans lequel l'armée a espéré qu'elle se perdrait est celui des Rohingyas en 2016/2017, mais là encore Aung San Suu Kyi a réussi à peu près à se tirer d'affaires. L'Armée qui, toujours grâce à la constitution de 2008, a le contrôle de 3 ministères clés - la défense, les affaires frontalières et la sécurité intérieure - avait les mains libres dans l'État Rakhine. Mais néanmoins, en dépit des condamnations extrêmement virulentes de la communauté internationale, Aung San Suu Kyi a quand même essayé de faire prévaloir la voix de la négociation (négociation qu'elle avait entamée, on ne le dit pas suffisamment, en établissant le Comité consultatif pour l'Arakan, confié à Kofi Annan en août 2016). Elle a également défendu son point de vue à la Cour Internationale de Justice. En Birmanie même, où la question Rohingya est très sensible par rapport à l'identité nationale, la population l'a soutenue et donc, elle n'a pas reçu l'opprobre que les militaires auraient souhaité qu'elle ait. Le troisième point est celui des amendements déposés par la LND au Parlement en mars 2020. Ces amendements cherchaient précisément à réduire progressivement le contrôle de l'armée sur les affaires politiques et économiques. La Tatmadaw a bien compris qu'après le plébiscite de novembre 2020, la LND allait certainement revenir sur cette question des amendements constitutionnels et qu'il serait de plus en plus difficile pour eux de contredire ce flux de l'histoire.
Pour défendre ses positions et ses avantages acquis, l'armée a donc préféré agir avant que le Parlement ne se réunisse le 1er février : la date du coup d'État n'a donc pas été choisie au hasard. Dans cette perspective donc, ce coup d'État était prévisible.
Néanmoins, la communauté internationale a été surprise car on sentait que le pays, en dépit des pesanteurs et des difficultés, était dans un rythme positif, dans un horizon d'avenir prometteur et la vigueur de l'économie (+ 6,9 % de croissance en 2019) l'illustre bien. On n'imaginait pas que l'armée puisse mettre un terme à cette transition pour revenir à des méthodes qui paraissent anachroniques et toujours (en 1962, en 1990 et aujourd'hui) avec le même leitmotiv : agir pour la stabilité et la sécurité du pays. Le risque est qu'aujourd'hui l'armée referme le pays et c'est là une question qui pose problème à l'ensemble des partenaires de la Birmanie, et pas seulement les pays occidentaux.
La Birmanie est un pays aux nombreuses ressources naturelles et elle est devenue au fil du temps un terrain stratégique pour les investisseurs étrangers. Le pays est ainsi le premier producteur mondial de jade jadéite et le pays regorge de pierres précieuses (saphir, rubis) ; il produit aussi du teck et des hydrocarbures. En raison de ces matières premières, la Chine s'intéresse de près à la Birmanie. Quelles sont les relations entre la Chine et la Birmanie et quels sont les intérêts de la Chine en Birmanie ?
Les relations de la Chine avec la Birmanie sont, au mieux, ambivalentes. Il est évident que la Chine d'une part, veut avoir des relations stabilisées avec l'ensemble des pays frontaliers : la Chine et la Birmanie partagent une frontière de 2000 kilomètres. Cela signifie aider, contribuer, au développement du pays et donc s'entendre avec les militaires qui jusque 2010/2011 ont contrôlé l'ensemble des processus politiques et économiques. D'autant plus que les matières premières, qu'il s'agisse du jade, des matières précieuses, du bois ou des hydrocarbures se trouvent précisément dans les territoires ethniques et que l'aval de l'armée est indispensable pour avoir accès à ces ressources exportées majoritairement vers la Chine.
Il y a donc eu objectivement une entente entre les partenaires chinois et les militaires birmans pour l'exploitation de certaines de ces ressources.
Ainsi, par exemple, plus de 80% de la production birmane de jade est exportée vers la Chine (et Hong-Kong). Il y a là presque une exclusivité des circuits sino birmans. Mais l'autre raison pour laquelle la Chine s'intéresse au Myanmar est sa position géostratégique. Le Myanmar est vraiment le pays qui fait la jonction entre l'Asie du Sud et l'Asie du Sud-Est et c'est un pays qui donne accès à l'océan Indien, autant d'atouts géographiques qui intéressent directement les Chinois, ou pour déployer leurs forces dans l'océan Indien vers le continent africain ou pour contenir le grand rival indien. Les Chinois sont ainsi devenus au fil des ans, et en raison des sanctions occidentales, les premiers pourvoyeurs d'armes aux Birmans ; ils ont également réussi à renforcer la coopération militaire (formation et industrie de défense). À ce titre, évidemment que les Chinois ne peuvent se désintéresser des événements en cours.
Mais il ne faut pas négliger cependant que l'armée birmane, la TatMadaw, est une armée très nationaliste d'une part et d'autre part atteinte d'un complexe obsidional, c'est-à-dire qu'elle a peur d'être encerclée.
Evidemment, à ce titre, elle n'apprécie pas énormément l'emprise des Chinois sur son territoire (notamment dans les zones frontalières), qu'il s'agisse d'investisseurs privés (des petits entrepreneurs chinois) ou qu'il s'agisse d'agents chinois (diplomates ou militaires). Cette intrusion n'est pas bien perçue ; on suppose par exemple que la Chine soutient l'Armée de l'Arakan, issu d'un mouvement nationaliste bouddhiste dans l'Etat Rakhine, en conflit avec l'État central. En conséquence, les relations sont très ambiguës, et on le voit bien maintenant. Je ne suis pas du tout sûre que les autorités chinoises aient été prévenues de l'organisation de ce coup d'État. Certains médias l'ont annoncé de façon très péremptoire, mais rien n'étaye cette hypothèse. D'autre part, aujourd'hui leur position est difficile car ils sont tout simplement associés mentalement à la répression menée par l'armée. Et donc ils ne sont franchement pas aimés par la population birmane. Des actes de sabotage ont eu lieu, les incendies dans les usines à Hlaing Thayar, et il y a beaucoup plus de menaces de s'attaquer aux infrastructures, notamment aux pipelines, qui se trouvent dans l'État de Rakhine vers le Yunnan. Il y a beaucoup d'argent aujourd'hui en jeu ainsi que de gros projets dans le cadre des Routes de la Soie (le fameux corridor économique Chine/Myanmar, CMEC, des infrastructures (ferroviaires, portuaires, énergétiques...). À ce titre, la Chine pourrait défendre une solution négociée, non pas parce qu'elle croit en la négociation mais tout simplement car elle a besoin de stabilité et d'un retour à un ordre politique négocié. Il ne faut pas négliger également le possible effet de contagion sur les communautés chinoises et leurs intérêts ailleurs dans la région.
La Birmanie est une véritable mosaïque ethnique. En effet, le pays reconnaît 135 ethnies différentes, comme les Bamars, les Kachins ou les Shans par exemple. Mais une ethnie qui a récemment été mise en avant est celle des Rohingyas. Qui sont les Rohingyas et pourquoi Aung San Suu Kyi a-t-elle été critiquée à ce sujet ?
Rapidement, car l'histoire est très, très complexe, les Rohingyas sont une population bengalie qui a été importée par les Britanniques entre la seconde moitié du XIXiè siècle et le début du XXième. La colonisation anglaise a été une colonisation particulièrement brutale en Birmanie, elle s'est faite en trois guerres et a commencé par l'État d'Arakan, qui venait d'être, cinquante ans plus tôt, absorbé par le Royaume de Birmanie. Il se trouve que les Birmans, les Bamars, en règle générale, ont refusé cette colonisation, ont résisté et n'ont pas coopéré. Pour exploiter les matières premières notamment agricoles dans l'Arakan et pour faire fonctionner l'administration, les Anglais ont importé de la main d'œuvre. Il n'y avait pas de frontières au sein de l'Empire des Indes et donc ils pouvaient passer de l'Empire indien à la Birmanie. On a donc vu la population en Arakan augmenter rapidement : on avait au départ environ 5 à 8% de Rohingyas qui étaient plutôt bien intégrés (des installations qui dataient du XVIième siècle), mais tout d'un coup on est passé à 30% de la population et au moment de la décolonisation, ces Rohingyas ont été accusés de collaboration. Ils ont néanmoins pu être intégrés en bénéficiant de papiers d'identité, voire pour certains de la citoyenneté birmane, citoyenneté qui leur a été refusée par la suite en 1982 après les événements en Asie du Sud (notamment la guerre du Bangladesh), en raison des flux migratoires qui ont fait craindre aux Birmans, toujours très nationalistes, qu'il y ait une progression des Musulmans qu'ils ne contrôleraient pas (notamment par la démographie) ; des tensions ont eu lieu comme en 1977 lorsque l'Armée lance l'opération Nagamin qui provoquera le départ de près de 200 000 réfugiés. À partir de 1982, les Rohingyas ont donc perdu la citoyenneté birmane, ils sont devenus apatrides et ils vivent en grande majorité dans cet État Rakhine frontalier avec le Bangladesh. En outre, à partir des années 2000/2010, il y a eu une montée en puissance des courants extrémistes, intégristes qui ont survalorisé l'identité bouddhiste en exacerbant les conflits et tensions avec d'autres religions et notamment avec les Musulmans ; cet état de faits a incité l'armée à intervenir contre les Rohingyas pour les chasser du pays car ils estiment qu'ils n'ont rien à y faire. Comme on l'a déjà mentionné, beaucoup au Myanmar ne considèrent pas les Rohingyas comme des citoyens birmans, et ils ne bénéficient pas d'une sympathie particulière.
La majorité des Birmans estime que les questions d'identité et de construction nationales sont en effet déjà très complexes pour intégrer les 135 ethnies et donc on ne voit pas pourquoi il faudrait s'occuper plus particulièrement de ce million de personnes.
Dans une certaine mesure, les exactions de l'armée n'ont pas véritablement suscité d'émotion au Myanmar. Il faut ajouter que les Birmans n'ont pas toujours été au courant de ce qui se passait dans ce territoire contrôlé par l'armée. Beaucoup d'ailleurs ont appris l'ampleur de cette répression quand Aung San Suu Kyi est allée à La Haye défendre le dossier. Les Rohingyas ont fui la Birmanie entre août et octobre 2017 et sont aujourd'hui entassés dans des camps au Bangladesh, environ 800 000 personnes. Très peu sont revenus car ils ont estimé que les garanties étaient insuffisantes. Il s'agit donc là d'un dossier complètement inachevé et il est évident que le retour de l'armée aux affaires à Naypyidaw n'est certainement pas une bonne nouvelle pour leur avenir. Si on peut estimer que Mme Aung San Suu Kyi n'a pas fait assez pour les Rohingyas, elle a toujours fait beaucoup plus que les militaires. Ils le savent et envoient aujourd'hui des photos d'eux dans les camps, les trois doigts levés en guise de soutien au mouvement de désobéissance civile.
À partir des années 2010, la Birmanie a entamé un processus de transition démocratique. Suite au coup d'État du 1er février, le major général Zaw Min Tun, porte-parole du conseil militaire, a annoncé lors d'une conférence de presse que leur objectif était la tenue d'élections. Il réfute par ailleurs les accusations de coup d'État et se veut garant de la démocratie. Quel avenir pour ce pays et quelle place pour la démocratie ?
Les arguments avancés par l'armée sont évidemment fallacieux. La réalité, c'est que l'armée perdait le contrôle des processus et a inventé toutes sortes de prétexte pour revenir sur le devant de la scène : les accusations de fraudes massives perpétrées par l'armée n'ont pas été avérées par les différents observateurs birmans et internationaux ; la seule constatation qui a été faite est qu'il y a eu plus de bulletins que de votants mais cela ne prouve pas qu'il y a eu des fraudes (ces bulletins supplémentaires ont été jetés). On peut donc s'interroger sur la motivation et la crédibilité de l'armée de tenir un scrutin si elle ne respecte pas les précédents scrutins. On assiste en fait à une répétition de l'histoire et c'est très inquiétant. En 1962, en 1990, en 2020, les mêmes arguments, les mêmes méthodes violentes sont utilisés contre la population civile.
Cela tendrait à montrer que l'Armée est dans une situation de crise structurelle, incapable de comprendre les changements d'un monde qui l'inquiètent. Je ne vois pas l'armée demander l'organisation d'un nouveau scrutin si elle n'est pas sûre de le gagner.
Il va donc certainement y avoir des manipulations du système électoral pour pouvoir réintroduire un mode de scrutin proportionnel, qui va en tout cas permettre à l'armée de récupérer des voix et des sièges afin de garder le contrôle du processus ; les petits partis seront mieux représentés et la dynamique d'opposition s'éparpillera. Le second point c'est que quand l'armée annonce tenir ces élections dans un avenir proche, là aussi je suis dubitative ; l'armée thaïlandaise a fait la même chose, elle a annoncé sa volonté de tenir des élections, mais il leur a fallu plus de cinq ans pour que le scrutin soit organisé, c'est à dire cinq ans où ils ont perverti les lois nationales afin de se mettre en position de force pour le scrutin (2019). Ce n'est pas un hasard si le premier dirigeant avec lequel Min Aung Hlaing a pris contact est le Premier ministre de Thaïlande. On peut craindre que les militaires birmans suivent leur exemple. Cela m'incite au final à être dubitative sur l'avenir de la démocratie dans le pays si les militaires restent aux commandes. Ils n'ont aucun intérêt à évoluer, leurs ressources sont garanties (notamment avec les matières premières) et ils forment un corps à part dans la société birmane (400 000 personnes qui fonctionnent avec leurs propres réseaux, leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs affaires...). Ils n'ont aucun intérêt à partager le pouvoir.
Face à leur brutalité, à la fois physique et mentale, ce à quoi on assiste aujourd'hui en Birmanie, c'est à une tentative désespérée, absolument remarquable et très courageuse de la population pour reprendre une nouvelle fois en main son avenir politique.
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David Camroux, « Coup d'État en Birmanie : quel avenir pour la démocratie ? », Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, Mars 2021. URL : cliquer ici