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Les minorités ethniques laotiennes et leur relation avec l’État

06/02/2024

Mathilde Domont, responsable du département Asie du Sud, Pacifique et Océanie de l'Institut d'études de géopolitique appliquée, s'est entretenue avec Olivier Évrard, anthropologue rattaché à l'Unité de recherche « Patrimoine local et gouvernance » de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD)  


Comment citer cet entretien :

Mathilde Domont, « Les minorités ethniques laotiennes et leur relation avec l'État », entretien avec Olivier Évrard, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 6 février 2024.

Avertissement :

L'intitulé de l'entretien a été déterminé par l'Iega. 

Les propos exprimés n'engagent pas la responsabilité de l'Iega.


Mathilde Domont - La Constitution Laotienne de 1991, révisée en 2015, reconnaît le caractère pluriethnique de la nation. Elle promeut dans ses articles 8 et 9 l'égalité et l'unité entre ces groupes ethniques. Les discriminations sur la base de l'appartenance ethnique sont interdites, tous les citoyens laotiens sont égaux. La Fédération internationale des droits humains comme de nombreux journalistes du monde entier ont observé et dénoncé la situation des droits des minorités du pays. L'exemple le plus connu et le plus fréquemment cité est celui des Hmongs. Avant d'aborder plus en détail la question des minorités, qu'est-il important de savoir sur la question de l'ethnicité au Laos ?

Olivier Évrard - Il est tout d'abord nécessaire de dépasser le cliché de « mosaïque ethnique » souvent utilisé dans le cas du Laos et de dissocier trois dimensions : d'une part, les marqueurs de l'identité (la langue, les vêtements, la religion, l'organisation sociale etc.) et, d'autre part l'organisation territoriale c'est-à-dire les contextes locaux ; et enfin l'organisation politique de la différence ethnique par l'État. D'un point de vue linguistique par exemple, les ethnologues distinguent quatre grands ensembles, eux-mêmes subdivisés en de multiples langues qui ne sont pas inter-compréhensibles mais ces variations linguistiques ne recoupent pas toujours celles observées sur la base d'autres types de marqueurs, comme la religion par exemple. D'un point de vue géographique, on a longtemps dissocié la « majorité » lao vivant dans les basses terres des « minorités » montagnardes mais, outre le fait que localement les minorités peuvent constituer des majorités écrasantes et que la majorité lao est elle-même fragmentée en de nombreux groupes parlant différentes langues de la famille taï, les déplacements de populations qui ont eu lieu depuis le milieu des années 1990 ont rendu cette classification géographique largement inopérante. Il faut donc garder à l'esprit que les classifications officielles des groupes ethniques au Laos constituent des exercices taxinomiques très politiques et si l'on en fait une lecture trop naïve, on prend le risque d'essentialiser ces identités et d'oublier qu'elles renvoient toujours à des contextes relationnels locaux.

Le Laos reconnaît aujourd'hui officiellement 49 groupes ethniques sur son territoire mais il faut souligner tout de suite deux aspects importants : en premier lieu, il s'agit d'une classification obtenue sur la base d'une auto-identification des personnes interrogées lors des recensements, et tous les ethnonymes recueillis ne sont pas retenus dans la liste officielle, ce qui explique que la 49e catégorie soit précisément labellisée « autre groupes ». Deuxièmement, cette liste a évolué au cours du temps : elle comptait plus de 820 groupes après le recensement de 1985, chiffre qui a ensuite été ramené à 68, puis à 40 en 1991, avant de repasser à 47 en 1995, 55 en 2000 et finalement 49 pour le recensement de 2005, chiffre qui n'a pas évolué depuis. Ces variations montrent très clairement que ces listes de groupes ethniques sont avant tout une construction politique dont un des objectifs majeurs, il faut le rappeler, est de confirmer la prééminence démographique des Lao au sens strict (un peu plus de 50%) et des locuteurs des langues taï en général (environ les 3/5e de la population).

Comme vous le soulignez, la Constitution laotienne affirme l'égalité de l'ensemble des citoyens et condamne toute forme de discrimination sur la base de l'appartenance ethnique. Historiquement, le régime issu de la révolution de 1975 a toujours mis en avant la solidarité inter-ethnique et l'une des traductions les plus spectaculaires de ce positionnement idéologique a été non seulement la généralisation de l'éducation primaire en langue lao pour tous mais également l'accès à des postes à responsabilités pour de nombreux membres de minorités ethniques. C'est le cas non seulement à l'échelle provinciale, où les gouverneurs sont fréquemment issus des groupes ethniques majoritaires localement, mais aussi au niveau national avec des ministères importants comme ceux des Finances ou de l'Intérieur qui sont ou ont été dirigés par des personnalités d'origine ethnique. L'exemple le plus marquant est aussi le plus récent : actuellement, la vice-présidente du Laos est Pany Yathotou, d'origine hmong, qui était auparavant présidente de l'Assemblée nationale.

Je ne souhaite pas contester le fait que des violations des droits de l'homme puissent exister au Laos, surtout dans un régime aussi autoritaire qui a déjà montré par le passé qu'il était capable de faire disparaître ceux qu'il considérait comme des opposants dangereux. Mais j'insiste vraiment sur le fait qu'il est erroné, voire manipulateur, de lier cette question à celle de l'identité ethnique ou d'une identité ethnique en particulier.

Une fois ceci posé, je ne souhaite pas contester le fait que des violations des droits de l'homme puissent exister au Laos, surtout dans un régime aussi autoritaire qui a déjà montré par le passé qu'il était capable de faire disparaître ceux qu'il considérait comme des opposants dangereux. Mais j'insiste vraiment sur le fait qu'il est erroné, voire manipulateur, de lier cette question à celle de l'identité ethnique ou d'une identité ethnique en particulier. Si le cas des Hmong est bien connu, c'est parce qu'ils sont la 2e minorité en termes démographiques (6% de la population), qu'une diaspora hmong est relativement active en Occident et qu'effectivement, certaines populations hmongs ont, dans la région de Saysomboun, été la cible d'opérations de représailles de la part de l'armée lao au début des années 2000 après que des attentats, attribués par le régime à des « bandits » aient eu lieu sur la route entre Luang Prabang et Vientiane faisant à l'époque de nombreuses victimes civiles. C'est également à cette période que plusieurs journalistes occidentaux (dont deux avaient été arrêtés, jugés, emprisonnés et finalement expulsés) s'étaient rendus en secret dans cette zone et avaient rencontré des petits groupes composés (notamment) de Hmong qui vivaient cachés en forêt, coupés du monde dans un état misérable en attendant, espéraient-ils, de recevoir une aide internationale. Par la suite, certains de ces groupes se sont rendus aux autorités, d'autres ont essayé de traverser le Mékong avant d'être rapatriés de force vers le Laos par le gouvernement thaïlandais. Ce sont tous ces éléments, que je résume trop vite, qui expliquent pourquoi encore aujourd'hui un lien est fait fréquemment entre droits de l'homme et situation des Hmong au Laos mais, comme je l'indiquais précédemment, ce n'est pas pertinent si l'on regarde la situation au niveau national.

M.D - Les minorités ethniques du Laos ont été enrôlées dans les guerres d'Indochine (1956) et du Vietnam (1955-1977) parfois volontairement, parfois malgré elles. C'est en partie le résultat de leur situation géographique, puisque ces populations occupent majoritairement des territoires situés entre le Vietnam et le Laos, c'est-à-dire la zone qui fut principalement touchée par le conflit. À la fin de la guerre du Vietnam en 1975, les troupes révolutionnaires du nouveau gouvernement vietnamien ont refusé d'accorder l'autonomie aux minorités montagnardes au nom de la réunification nationale, et ont dissous les zones autonomes du Nord. Nous observons une situation similaire au Laos, qui a refusé toute idée d'autonomie régionale. Le pays a défendu l'optique d'une solidarité polytechnique dans le cadre de la nation Lao, une et indissoluble. Quel héritage a laissé ces guerres sur l'autonomie et l'indépendance de ces peuples ?

O.E - Vous avez raison de souligner le caractère transnational de ces populations, que l'on retrouve pour beaucoup d'entre elles dans tous les pays limitrophes du Laos. Un point important à rappeler est que cette situation concerne aussi les populations qui, au Laos, sont dites « majoritaires » : on trouve des Lao installés depuis longtemps au Cambodge et en Thaïlande, des populations de langue taï au Vietnam, etc. Être en situation « minoritaire » c'est donc d'abord une question de point de vue et de contexte local… Si l'on parle spécifiquement des populations de langue non taï, elles ont effectivement pris part au conflit d'indépendance qui a opposé les groupes armés communistes soutenus par le Vietnam du Nord aux groupes armés royalistes soutenus par les Français d'abord, les Américains ensuite. Comme dans toute guerre, la notion d'engagement volontaire ou involontaire est relative car en pratique, les deux dimensions pouvaient se superposer au gré des choix individuels, de l'avancée des combats, des bombardements ou encore des opérations de représailles. Beaucoup de jeunes hommes issus de minorités ethniques ont rejoint les camps des troupes communistes, mais nombre d'entre eux ont aussi pu choisir de combattre dans le camp opposé.

Ce qu'il est important de comprendre, c'est que le critère de l'ethnicité est très relatif ici. Au sein d'un même groupe, d'un même village voire d'une même famille, des individus pouvaient choisir un camp différent. Un exemple célèbre concerne l'ancienne famille royale du Laos : les deux princes, qui étaient demi-frères, Souvanna Phouma et Souphanouvong ont pris parti l'un pour le camp royaliste et le second pour le camp communiste – ce qui lui a valu le surnom de « prince rouge ». Un autre exemple assez connu concerne les populations hmong de la région de Xiengkhouang : Faydang Lobliayao et Touby Lifoung étaient deux leaders hmong issus de clans différents mais liés par alliance. Le père de Faydang était un notable local, chef d'un ensemble administratif nommé tassèng, qui entretenait de bonnes relations avec l'administration royale et les colonisateurs français. Il avait pris pour secrétaire son gendre, qui était le père de Touby Lifoung. À la fin des années 30, suite à des élections organisées par les Français, Touby Lifoung l'emporta sur Faydang, qui visait la succession de son père, provoquant un ressentiment durable chez lui et son engagement aux côtés des troupes communistes. On pourrait multiplier les exemples sur tout le territoire lao, dans tous les groupes ethniques et pas seulement à la frontière vietnamienne. Il est vrai cependant qu'en fonction des périodes et des régions, il y a pu avoir des engagements relativement homogènes sur une zone donnée, mais l'ethnicité était assez rarement un critère pertinent pour en comprendre le sens.

À l'issue de la guerre, les populations, ou les groupes de villages, qui avaient majoritairement soutenu les troupes royalistes ont fait les frais de leur engagement, soit parce que leurs territoires ont été vidés autoritairement de leurs habitants pour des raisons de sécurité, soit au contraire parce qu'ils ont été délaissés dans la mise en œuvre des actions de développement. Inversement, ceux qui avaient choisi « le bon côté de l'Histoire » ont pu se voir offrir des terres en plaine, du bétail, des postes à responsabilité ou encore être les bénéficiaires privilégiés des programmes de développement internationaux qui ont commencé à être mis en œuvre à la fin des années 80. Ce type de dichotomie était encore assez visible à l'époque où j'ai réalisé mes enquêtes de terrain pour mon doctorat au milieu des années 90 mais par la suite, la situation s'est profondément transformée pour deux raisons. Premièrement, une campagne massive de déplacement de populations, menée à des fins de développement économique et avec le soutien indirect de l'aide occidentale, a fait disparaître en quelques années un très grand nombre de villages montagnards, indépendamment de l'histoire de leur engagement politique durant la guerre. Deuxièmement, la nature même de la politique de développement a profondément évolué, avec des investissements privés massifs en provenance principalement de Chine, mais aussi de Thaïlande, de Singapour ou du Vietnam, pour le développement de plantations ou de barrages. Dans ce contexte, l'héritage politique des formes d'engagement dans le conflit n'est plus pertinent et toutes les populations sont concernées, qu'elles soient considérées ou non comme des « minorités » d'ailleurs.

M.D - Des peuples minoritaires ont été, ces dernières années, expulsés de leurs terres par le gouvernement, au profit de l'exploitation des ressources naturelles. La Chine, la Thaïlande et le Vietnam notamment investissent massivement dans des projets d'exploitation minière et barrages hydroélectriques. Malgré les retombées positives que ces investissements représentent pour le gouvernement laotien, les conséquences environnementales quant à elles sont multiples et néfastes. Le gouvernement a ainsi négligé les préoccupations et les besoins des populations locales. Quelles en sont les conséquences sur ces dernières ?

O.E - Encore une fois, je ne pense pas qu'il soit pertinent sur cette question de ne parler que des populations dites « minoritaires ». De nombreux projets d'infrastructures ou d'exploitation des ressources naturelles (mines, plantations, barrages) ont également impacté les populations lao (ou taï au sens large), indépendamment de leur localisation. Inversement, certains projets de plantations en altitude par exemple, au sein de territoires occupés par des minorités ethniques, ont été positivement accueillis, au moins au début, par les habitants. Ce qui est important donc, c'est de comprendre à chaque fois d'une part le contexte local où a lieu l'investissement en question et d'autre part la nature de cet investissement. Il peut s'agir d'un montage à petite échelle pour des plantations d'hévéa comme de gros investissements pour des routes, un train grande vitesse, des barrages ou des casinos par exemple impliquant souvent des partenariats publics-privés entre sociétés étrangères (chinoises, mais pas seulement) et des sociétés laotiennes. Les zones rurales et/ou montagneuses du Laos sont des « frontières », au sens américain du terme, où le cadre juridique est très flou, voire absent, et où les populations locales peuvent certes être dépossédées de leurs terres mais également recevoir des compensations (souvent insuffisantes), négocier (souvent de façon marginale) et même résister, au besoin en activant des relais à différents niveaux des administrations locales, provinciales et nationales.

Le plus inquiétant cependant est la construction d'immenses casinos au Nord et au Sud du pays, véritables « cités interdites » avec des milices privées chinoises opérant sur des concessions données par le gouvernement lao et dont on ne sait rien, ou presque, sinon qu'ils fonctionnent souvent de façon opaque et très certainement en lien avec des activités mafieuses (drogue, traite humaine).

Une fois ce contexte posé, on peut effectivement légitimement s'inquiéter des conséquences environnementales, économiques et sociales de ces investissements étrangers. Si le train à grande vitesse semble plutôt bien accueilli par les habitants, l'usage incontrôlé de pesticides dans les plantations ou bien de façon plus visible la multiplication des barrages sur le Mékong et ses affluents est inquiétante. Plus de 70 ouvrages étaient annoncés en 2015 et plusieurs ont été construits depuis. Les conséquences pour la santé humaine, la faune aquatique, pour le débit du fleuve ou encore pour le transfert des limons vers l'aval sont difficiles à évaluer pour l'instant mais seront potentiellement très sérieuses. Ironiquement, les Vietnamiens, qui financent certains de ces barrages, pourraient en souffrir dans la région du delta, où la montée de l'océan, combinée à une exploitation effrénée du sable pour la construction et à des débits plus irréguliers du fleuve, entrainent une salinisation des sols les rendant plus difficilement cultivables. Au Laos même, certains de ces barrages ont entraîné le déplacement de dizaines de villages, l'inondation de temples anciens et la colère des riverains, dont beaucoup n'appartiennent pas à des minorités ethniques et qui n'ont pas été compensés à la hauteur de leurs attentes. Le plus inquiétant cependant est la construction d'immenses casinos au Nord et au Sud du pays, véritables « cités interdites » avec des milices privées chinoises opérant sur des concessions données par le gouvernement lao et dont on ne sait rien, ou presque, sinon qu'ils fonctionnent souvent de façon opaque et très certainement en lien avec des activités mafieuses (drogue, traite humaine).

M.D - En tant que signataire de la International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination, le Laos a dû répondre de ses actes devant divers organismes de défense des droits humains de l'ONU. Des rapporteurs ont alerté face à la situation des minorités ethniques dans le pays. Cependant, face à ces objections de l'ONU, le gouvernement laotien ne semble pas avoir formulé de réponse satisfaisante. En parallèle, le 13 juillet 2022 à Bruxelles, la 11e session du dialogue sur les droits humains entre l'Union européenne (UE) et le Laos s'est tenue. Elle affirme la volonté de l'UE de se positionner en tant que défenseur des droits des minorités, compte tenu des valeurs qu'elle se dit incarner. Quelles sanctions les institutions internationales telles que l'ONU et l'UE sont-elles en capacité d'imposer au Laos ? Peuvent-elles réellement protéger et améliorer les conditions des minorités et si oui de quelle manière ?

O.E - Il me semble que les reproches de l'ONU ou de l'UE sont mal formulés. Si on veut défendre les droits de l'Homme au Laos, il est erroné de prendre la question des minorités ethniques comme point d'entrée, pour les raisons que j'ai déjà expliquées. Il vaut mieux insister sur le droit à l'existence d'une véritable société civile qui défend des visions alternatives du développement et sur la nécessité pour le gouvernement actuel de mieux prendre en compte les demandes que font remonter les villageois par l'intermédiaire de leurs responsables locaux. C'est d'ailleurs un enjeu crucial depuis la disparition de Sombath Somphone en 2011. Mais on peut reconnaître aussi que ce problème est largement partagé dans l'ensemble des pays de la région : si la Thaïlande semble un peu plus démocratique, certains opposants au régime y sont également emprisonnés pour de longues périodes (voire disparaissent, même quand ils essaient de trouver refuge à l'étranger) ; quant au Cambodge et au Vietnam, la situation est également très préoccupante.

En ce qui concerne les sanctions éventuelles, on peut déjà rappeler que les Occidentaux n'ont pas beaucoup de moyens de pression sur le gouvernement du Laos. L'aide occidentale pour le développement est dérisoire en comparaison des financements privés venant principalement de Chine, mais également de certains pays voisins.

En ce qui concerne les sanctions éventuelles, on peut déjà rappeler que les Occidentaux n'ont pas beaucoup de moyens de pression sur le gouvernement du Laos. L'aide occidentale pour le développement est dérisoire en comparaison des financements privés venant principalement de Chine, mais également de certains pays voisins. Aussi, je ne suis pas sûr que l'UE soit parfaitement irréprochable sur cette question, ou sur celle de la protection de l'environnement. Enfin, il est facile pour des dirigeants d'un pays qui fait partie des plus pauvres du monde de rétorquer que les normes occidentales ne peuvent s'appliquer pleinement et immédiatement sur leur territoire, qu'ils ont besoin de temps, etc., voire qu'il s'agit d'une forme non assumée de néo-colonialisme. L'UE a toutefois quelques leviers pour faire pression, à condition que cette pression soit bien conçue au départ (atteintes à l'environnement, existence de la société civile etc.) et non dirigée vers des problématiques erronées utilisant le label des « minorités ethniques » pour cacher la pauvreté de leur conceptualisation. Par exemple, la menace que laisse planer l'UNESCO sur le retrait du label de Patrimoine mondial de l'Humanité à Louang Prabang en cas de réalisation du nouveau barrage prévu en amont de la ville me semble avoir potentiellement du poids, car il s'agit d'une destination très connue, très touristique et dont le poids économique est important pour le pays (la même chose pourrait être dite à propos du Vat Phu, au Sud). Un autre exemple, plus utopique sans doute, serait d'examiner en détail les comptes bancaires détenus à l'étranger (Luxembourg notamment) par certains dirigeants qui ont bénéficié d'énormes commissions occultes pour avoir donné leur feu vert à la construction de barrages, qui ne bénéficient en général quasiment pas à la population locale puisque l'essentiel de l'électricité est exporté. Ce serait une bonne chose que d'aider les dirigeants lao, dont certains sont entièrement dévoués à leur pays, à lutter contre la corruption et à faire payer ceux qui en ont bénéficié.


Pour aller plus loin

Olivier Evrard et Yves Goudineau (2005) "La diversité culturelle lao : marqueurs et idéologies", dans Dominique Gentil (ed.) Le Laos doux et amer : 25 ans de pratiques d'une ONG, Paris: Karthala, pp. 37-55. Disponible en ligne : https://www.researchgate.net/publication/318759470_Le_Laos_doux_et_amer_vingt-cinq_ans_de_pratiques_d'une_ONG

Yves Goudineau et Vanina Bouté (2022) From Tribalism to Nationalism: the anthropological turn in Laos- A tribute to Grant Evans, Copenhague: NIAS Press, 396p.

Ng Shui Meng (2022) Silencing of a Laotian Son. The Life, Work and Enforced Disapearance of Sombath Somphone, Bangkok: Spirit in Education Movement – International Network of Engaged Buddhists, 268 p.

Vanina Bouté et Vatthana Pholsena (2017) Changing Lives in Laos. Society, Politics and Culture in a Post-Socialist State, Singapour : National University of Singapore, 457p.

Vatthana Pholsena (2006) Post-War Laos. The Politics of Culture, History and Identity, Copenhague: NIAS Press, 255 p.

Viliam Phraxayavong (2009) History of Aid to Laos: Motivations and Impacts, Chiang Mai: Mekong Press, 322p.