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La péninsule coréenne, six ans après l’éphémère « printemps intercoréen »

21/02/2024

Par Olivier Guillard, chercheur associé à l'Institut d'études de géopolitique appliquée, auteur notamment de Que faire avec la Corée du nord ? (NUVIS, Paris, 2019) et De l'impasse afghane aux errances nord-coréennes : chroniques géopolitiques 2012-2015 (NUVIS, Paris, 2016).


Comment citer cette publication

Olivier Guillard, La péninsule coréenne, six ans après l'éphémère « printemps intercoréen, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 21 février 2024.

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Voilà cinq ans (cinq années longues et agitées dans la péninsule coréenne et en dehors), la communauté internationale assistait avec une fatalité sinon une certaine amertume à l'issue décevante de la rencontre à Hanoi [1] entre le Président américain d'alors, Donald Trump, et son « homologue » nord-coréen Kim Jong-un ; ce « sommet » organisé dans la capitale vietnamienne faisait lui-même suite à une plus prometteuse entrevue intervenue à Singapour huit mois plus tôt [2].

Dans la presse nippone de ces derniers jours, on pouvait entre autres informations d'importance apprendre que le Premier ministre japonais Fumio Kishida était particulièrement intéressé par le projet d'une première rencontre avec les plus hautes autorités nord-coréennes, afin notamment d'évoquer divers sujets d'intérêt mutuel et engager une nouvelle dynamique entre Tokyo et Pyongyang ; un nouveau « sommet Corée du Nord – Japon » [3] qui, si son principe venait à être validé par Pyongyang (à ce jour, on en demeure malgré tout assez éloigné [4]…), interviendrait deux décennies après celui approuvé en son temps par Kim Jong-il [5] qui accueillit dans l'austère capitale du Nord [6] le chef de gouvernement japonais d'alors Junichiro Koizumi.

Courant janvier, les médias japonais [7] révélaient que Kim Jong-un – dont le règne totalitaire sur les 25 millions de citoyens nord-coréens s'étire déjà sur plus de douze années - avait eu le tact d'adresser un « message de sympathie » et de soutien au Premier ministre F. Kishida, peu après qu'un violent séisme ait frappé l'archipel (préfecture d'Ishikawa) et fait plusieurs centaines de victimes. Un geste certainement apprécié à sa juste mesure par la population nipponne, meurtrie ainsi qu'on l'imagine par cette tragédie humaine.

Relevons également qu'il y a de cela quelques jours [8], à l'instar de nombreux autres États et populations d'Asie, le Nouvel An lunaire était également célébré au Nord du 38e parallèle ; un événement annuel particulier qui, selon le quotidien nord-coréen Rodong Sinmum, serait « l'une des fêtes les plus appréciées de nos concitoyens ». Il en est également ainsi pour une foultitude d'autres nations asiatiques voyant notamment dans ces célébrations rituelles l'occasion de mettre en branle diverses résolutions, de donner corps à certaines initiatives souhaitées.

Les divers événements et références esquissés brièvement ci-dessus sembleraient a priori dépeindre en ce début d'année 2024 un contexte propice aux initiatives domestiques et régionales audacieuses ; et plus particulièrement, pourquoi pas, à une « décrispation » souhaitée non seulement dans la péninsule coréenne, en Asie orientale, mais également par un concert des nations à bon droit inquiet par la tension enferrant aujourd'hui, six ans après les Olympiades de la paix de PyeongChang [9] et un ambitieux « printemps intercoréen » ayant multiplié les rendez-vous historiques [10], les deux Corées dans une impasse préoccupante. « North Korea: An Interesting Start to 2024 » tonnait du reste en milieu de semaine dernière, dans un article éclairant [11], un universitaire japonais de l'Université de Keio (Tokyo).

Pourtant, parallèlement, certains signaux et informations reçus en cette mi-février ont de quoi attiser l'inquiétude de la communauté internationale, déjà nourrie plus qu'il le faudrait par une kyrielle de crises et de conflits plus graves et regrettables les uns que les autres en Asie (mer de Chine du Sud ; détroit de Taiwan ; Birmanie), au Moyen-Orient (Israël – Hamas ; mer Rouge) et sur les marges orientales de l'Europe (Ukraine).

Jeudi 14 2024, une nouvelle série de tirs de missiles de croisière depuis la côte orientale nord-coréenne était observée en matinée ; déjà la 5e du genre depuis le 1er janvier. Dans le sud de la péninsule, experts et spécialistes, militaires et stratèges multiplient quant à eux les déclarations inquiètes quant aux potentielles interférences et autres provocations susceptibles d'intervenir en amont des élections législatives (avril 2024), puis lors du long semestre qui s'écoulera jusqu'à l'organisation du scrutin présidentiel outre-Atlantique (novembre 2024).

D'anciens haut-responsables de l'administration sud-coréenne, d'éminents chercheurs des plus sérieux think tanks de Séoul, communiquent ces jours-ci (dans la presse nationale du 14 février [12] par exemple) sur leur crainte d'un possible court terme parsemé d'embûches et de situations de crise plus préoccupantes les unes que les autres minant la stabilité déjà toute relative de la péninsule. Ce alors même qu'à l'autre extrémité du globe, dans une Amérique du Nord elle aussi déjà accaparée sinon submergée par le rouleau compresseur de la campagne électorale présidentielle, les déclarations hasardeuses d'un candidat républicain le 10 février quant à l'avenir de l'Alliance Atlantique (OTAN) et ses engagements extérieurs [13] sèment légitimement le trouble de Séoul à Paris en passant par Tokyo et Kiev.

De même, il est difficile d'éluder ici la thématique sensible des livraisons d'armes et de munitions à destination des forces russes déployées sur l'éreintant front ukrainien [14]. Le renforcement en ces temps incertains – d'un point de vue géopolitique - de la coopération entre la RPDC et la Russie du Président Poutine – une délégation de responsables nord-coréens de haut rang était le 13 février reçue par les autorités russes à Moscou – ne peut être interprétée par un concert des nations déjà fébrile autrement que comme une source supplémentaire d'inquiétude aussi non-désirée qu'inutile. À plus forte raison quand l'ambassadeur russe en poste à Pyongyang se livre à des conjectures déplacées, ainsi qu'il le fit en début de mois [15].

L'impasse dans laquelle s'enlisent depuis février 2019 les relations intercoréennes ainsi que les erratiques rapports RPDC – États-Unis n'est pas une fatalité sans issue ; dans la capitale du Sud, à Washington, et ainsi que nous l'évoquions plus haut à Tokyo, il est en effet nombre de responsables et d'autorités disposés à inverser [16] – sans préconditions – dès que possible cette trame négative dont en définitive il ne peut à terme résulter quoi que ce soit de bénéfique, au Nord comme au Sud de la DMZ (Demilitarized Zone). Ce, pour peu naturellement que les autorités nord-coréennes se montrent sincèrement disposées à jouer le jeu de l'apaisement, de la détente, à s'engager dans une voie constructive avec pour souci prioritaire de regagner la confiance perdue (le doux euphémisme que voilà…) du concert des nations. Le retour de la République populaire démocratique de Corée sous une lumière plus favorable au sein de la communauté internationale - idéalement en amont du 9e Congrès du parti du Travail de Corée (2026) - est à ce prix.

Lundi 19 février Pyongyang célébrait le 50e anniversaire du « Kimilsungism [17] », appelant la population à (une fois encore) renouveler son entière loyauté en Kim Jong-un : on ne peut hélas s'empêcher de penser que les priorités à court terme de la dictature héréditaire kimiste sont placées en d'autres lieux…


[1] Fin février 2019.

[2] Le 12 juin 2018.

[3] Le 1er ministre F. Kishida souhaiterait par ailleurs se rendre en Corée du Sud fin mars pour rencontrer le chef de l'Etat sud-coréen Yoon Suk-Yeol.

[4] Pour preuve la déclaration de Mme Kim Yo-jong – sœur de Kim Jong-un – à la presse du Nord le 15 février qui, tout en saluant les bonnes intentions du chef de gouvernement japonais, pose comme condition à une éventuelle visite à Pyongyang que la thématique sensible des citoyens japonais kidnappés par la RPDC dans les années 70 et 80 ne soit pas abordée

[5] Dont on célébrait jeudi 15 février en République populaire démocratique de Corée (RPDC) le 83e anniversaire de la naissance (Kwangmyongsong Day).

[6] Le 17 septembre 2002.

[7] ''North Korea's Kim sends rare sympathy message to Japan over Ishikawa quake'', The Japan Times, 6 janvier 2024.

[8] Samedi 10 février.

[9] Les XXIIIe Jeux Olympiques d'hiver organisés du 9 au 25 février 2018 par la Corée du Sud à PyeongChang (Nord-Est du pays), à moins de 100 km de la frontière intercoréenne.

[10] On pense ici notamment aux divers sommets entre l'ancien Président sud-coréen Moon Jae-in et Kim Jong-un à Panmunjom (avril 2018) et Pyongyang (septembre 2018).

[11] The Diplomat, 15 février 2024.

[12] ''N. Korea could conduct localized provocation on border island: ex-Seoul official'', Yonhap, 14 février 2024 ; ''N. Korea may stage Jihad-style terrorist attack on S. Korea: Seoul expert'', Yonhap, 14 février 2024.

[13] Samedi 10 fév., lors d'un rassemblement de campagne en Caroline du Sud, D. Trump avait notamment déclaré que s'il était réélu, il "encouragerait" la Russie à "faire ce qu'elle veut" à l'encontre des Etats membres "délinquants" de l'OTAN ne respectant pas leurs engagements en matière de dépenses de défense…

[14] ''G7 foreign ministers strongly condemn N. Korea's arms transfers to Russia'', Yonhap, 19 février 2024.

[15] Lequel confia le 7 février (dans une interview accordée à l'agence TASS) en réponse à la question de savoir si et quand la RPDC procéderait éventuellement à un nouvel essai nucléaire (le 1er depuis 2017), que le Nord n'a d'autre choix que de le faire ''pour sa propre défense'' si les USA continuent à "faire voler des bombardiers stratégiques au-dessus de la péninsule".

[16] En accompagnant par exemple de diverses manières les initiatives récentes des autorités nord-coréennes en faveur de l'amélioration du niveau de vie de la population et de l'économie régionale dans son ensemble (regional development 20X10 policy).

[17] Ensemble des doctrines et pensées présentées / défendues par Kim Il-sung, fondateur de la RPDC (et grand-père de Kim Jong-un), en 1974.