La démocratie taiwanaise aux prises avec l'actualité
Par Yohan Briant, directeur général de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.
Comment citer cette publication
Yohan Briant, La démocratie taiwanaise aux prises avec l'actualité, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 15 janvier 2024.
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Dans un contexte international tendu, où la multiplication des conflits de haute intensité inquiète désormais autant en raison du risque sécuritaire que des retombées économiques, le scrutin taïwanais du 13 janvier 2024 était l'objet de toutes les attentions. Le détroit de Taïwan constitue toujours l'un des principaux nœuds de tension du globe, notamment à l'aune de la compétition sino-américaine. Le soir même des résultats, Pékin n'a d'ailleurs pas manqué de réagir en menaçant de représailles quiconque tenterait de diviser la Chine unique. Une déclaration attendue qui reprenait les principaux éléments de la position chinoise : Taïwan n'a jamais été un pays et la réunification est inéluctable car elle s'inscrit dans le sens naturel de l'Histoire. La rhétorique civilisationnelle du Parti communiste chinois ne saurait souffrir de la moindre contradiction, aussi cette déclaration est avant tout adressée à la population chinoise, ainsi qu'au reste du monde. Une façon pour Pékin de rappeler à la communauté internationale qu'un consensus existe et que le droit se trouve de son côté. La politique d'une seule Chine, condition sine qua non à l'établissement de relations diplomatiques avec Pékin, est en effet adoptée par l'immense majorité des États.
Depuis l'élection de Lai Ching-te (William Lai) plusieurs chancelleries, dont Paris et Berlin, ont servi de caisse de résonance à l'ire de Pékin. Si les deux principales puissances européennes ont ainsi pris la peine de féliciter « l'ensemble des électeurs et candidats ayant pris part à cet exercice démocratique », elles ont, dans le même temps, rappelé l'importance de préserver le statu quo. Lai Ching-te se situe pourtant dans la droite ligne politique de Tsai Ing-wen, dont il fut le vice-président et qui s'est toujours prononcé contre toute déclaration d'indépendance. Une telle déclaration souligne les difficultés dont souffre le continent européen et fait écho à son effacement discret de la scène internationale. Entre les difficultés à maintenir le soutien à l'Ukraine et son incapacité à peser sur le conflit au Moyen-Orient (qui, de son côté, parvient à peser dans les sociétés européennes), l'Union européenne s'abrite derrière le droit et privilégie une distanciation polie, tout du moins jusqu'au résultat des élections américaines de la fin d'année.
Régulièrement désigné de manière erronée comme « les indépendantistes », le PDP (Parti démocratique progressiste) n'existe plus uniquement dans son opposition au Kuomintang (KMT, le parti nationaliste). Né sous la dictature, historiquement porteur d'un discours progressiste au sujet d'une identité taïwanaise plurielle, le PDP est désormais un parti de gouvernement dont les idées et les valeurs sont partagées par une majeure partie de la population, loin de ce qu'il fut sous la présidence de Chen Shui-Bian (2000 - 2008). En tant que premier président n'étant pas issu du KMT, ce-dernier, condamné depuis à la perpétuité pour corruption, incarnait alors la volonté de rupture d'une nation aux contours flous et se construisait autour du processus démocratique. Désormais victorieux pour la troisième fois consécutive, le PDP, favori des sondages depuis le début de la course présidentielle, est désormais le parti de la stabilité et du consensus démocratique. Les grandes inconnues politiques existent surtout du côté du KMT, que ce troisième échec consécutif enfonce encore dans la crise, et dans l'émergence d'un troisième courant politique, en la personne de Ko Wen-je et de son Parti populaire taïwanais. Cette jeune formation, créée en 2019, se veut une alternative au bipartisme, revendique sa proximité avec la population, au détriment des problématiques internationales.
Alors que tous les yeux étaient rivés sur la présidentielle, les législatives ayant eu lieu simultanément voient le PDP perdre sa majorité absolue et le PPT approcher de la place du faiseur de roi. Un signe positif pour le dynamisme de la démocratie taïwanaise, qui peut se révéler source d'instabilité sur la scène internationale. Un nouvel état de fait qui reflète également l'importance des questions internes lors de la campagne et de la résilience de la société taïwanaise, pour qui le poids de la Chine est une constante avec laquelle il est nécessaire de savoir vivre. Une nouvelle leçon de démocratie pour les États européens ?