fr

Conférence des ambassadeurs 2023 : l’exécutif en phase avec les réalités géopolitiques ?

18/09/2023

Par Alexandre Negrus, président de l'Institut d'études de géopolitique appliquée et Yohan Briant, directeur général de l'institut.  


Comment citer cette publication

Yohan Briant, Alexandre Negrus, Conférence des ambassadeurs 2023 : l'exécutif est-il en phase avec les réalités géopolitiques ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 18 septembre 2023

Avertissement

Les propos exprimés n'engagent que la responsabilité des auteurs.

La photographie d'illustration est un choix de la rédaction.


La 29è édition de la conférence française des ambassadrices et des ambassadeurs s'est tenue du 28 au 30 août 2023, sur le thème Affirmer nos principes, nos intérêts, nos solidarités. Cette conférence est un événement annuel, depuis 1993, réunissant tous les chefs de missions diplomatiques qui permet de fixer les orientations annuelles dans l'objectif de guider le travail des diplomates français à l'étranger et dans les organisations internationales.

Chaque année, la conférence est introduite par le président de la république, qui tient un discours devant les plus hautes autorités politiques, militaires et civiles de l'État. Cette rencontre au sommet s'est tenue, en août dernier, dans un contexte géopolitique volatile en raison des récents événements en Afrique qui continuent d'interroger sur le devenir de la relation de la France avec le continent et en particulier les États d'Afrique de l'ouest francophone. Emmanuel Macron est donc logiquement revenu sur le coup d'État qui a eu lieu au Niger en août 2023 et, plus largement, sur la situation au Sahel. Depuis plusieurs années, la politique de la France en Afrique est remise en cause et fait l'objet d'un rejet très affirmé de la part de nombre d'États, en même temps que la situation sécuritaire, humanitaire, sociale et politique a continué de se dégrader. Si la réarticulation du dispositif militaire français en Afrique est un sujet crucial, il est urgent pour la France de manifester un soutien renforcé aux organisations de la société civile sahélienne, notamment pour amorcer un travail en profondeur en faveur de l'éducation et de lutte contre les inégalités. La France doit par ailleurs renforcer, par des moyens plus offensifs, sa lutte contre les discours anti-français en Afrique. Elle doit dès lors travailler à la mise en place d'outils pour y parvenir et assumer son engagement dans une guerre cognitive à ce sujet. Le président de la république s'est largement exprimé sur le sujet de l'influence, tout en évoquant le concept de « contre-influence » sur le sol français qu'il convient de combattre, nécessitant de transformer les outils numériques, tout en poursuivant un travail de sensibilisation et d'action. Le développement de nouveaux partenariats est dès lors un enjeu crucial.

Le discours d'Emmanuel Macron fut l'occasion d'aborder la notion de « puissance d'équilibres », mal comprise – si ce n'est critiquée - en France mais également par nombre de puissances occidentales. Ce concept, largement utilisé dans le vocabulaire élyséen ces derniers temps, n'a été utilisé qu'à une seule reprise le 29 août dernier. Il est désormais fait référence au rôle de la France en tant que « puissance partenariale de confiance ». L'objectif serait dès lors d'échapper à un « duopole » et à l' « éclatement du monde dans une fragmentation ». Pour autant, le rôle de la France est-il réellement compris de tous les partenaires ? On se souvient des réactions suscitées chez les partenaires de la France après la sortie d'Emmanuel Macron au sujet du rôle de l'Europe vis-à-vis des États-Unis sur la question de Taïwan. Européens et alliés du camp occidental se partageaient entre rejet, questionnement et interrogation, tandis que les réactions étaient nettement plus contrastées chez des acteurs tels que l'Indonésie, l'Inde ou Singapour. Trois partenaires stratégiques de la France, deux clients de son industrie de défense et un partenaire de recherche dans le domaine de la recherche en intelligence artificielle pour la défense, trois acteurs régionaux désireux d'augmenter leur marge de manœuvre.

Cette quête de puissance et d'autonomie résonne avec les propres ambitions françaises, lesquelles s'expriment en décalage avec les volontés d'une large partie de l'Europe. L'autonomie stratégique européenne restera vraisemblablement une chimère française, il n'empêche qu'il existe sans doute une voie médiane à l'achat massif d'armement en provenance de partenaires extérieurs à l'Union européenne, les États-Unis et Israël en tête. Plus récemment, le rapprochement de l'Allemagne avec l'Italie, l'Espagne et la Suède afin de développer ce que la presse allemande qualifie de « successeur au Leopard 2 » semble sonner le glas du projet franco-allemand de char de nouvelle génération (MGCS), ce qui interroge sur l'influence réelle qu'exerce Paris auprès de ses partenaires européens dès qu'il s'agit de puissance et d'autonomie. Cela est-il dû à la nature intrinsèque des relations intra-européennes ? Ou bien la cause principale est-elle à chercher dans la nature du lien entre les États-Unis et ses partenaires ? D'aucuns se souviennent que la crise autour de l'AUKUS avait déjà pour fondement des problématiques sécuritaires.

De façon plus prosaïque, la gouvernance française a indéniablement une part de responsabilité dans le traitement qui est parfois réservé à la France sur la scène internationale. La conduite erratique de l'exécutif au Sahel ou encore le refus d'associer ministères et représentants locaux à la stratégie en indopacfique, tout cela laisse à penser que le gouvernement considère assez difficilement que la stratégie diplomatique française précède la présidence actuelle et qu'elle se poursuivra bien après. Pour assumer des changements d'objectifs, de méthodes et d'interlocuteurs, la France doit être en capacité de renforcer ses liens avec les sociétés civiles, afin de bénéficier de meilleurs capteurs sur le terrain, loin des arcanes des pouvoirs politiques et des capitales. Les autorités françaises gagneraient à davantage écouter les remontées d'informations des acteurs non gouvernementaux, à commencer par les experts de terrain, les centres de recherche privés, les universitaires et les journalistes. Sur la situation en Afrique notamment, ces derniers avaient largement alerté des risques et des changements en cours.