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2023 : quel bilan géopolitique ?

08/12/2023

Par Yohan Briant, directeur général de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.  


Comment citer cette publication

Yohan Briant, 2023 : quel bilan géopolitique ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 8 décembre 2023.

Avertissement

Les propos exprimés n'engagent que la responsabilité des auteurs. La photographie d'illustration est un choix de la rédaction.


L'année 2023 s'achève, mais la géopolitique mondiale se prête-t-elle seulement à un bilan ? L'approche de la date anniversaire marquant les deux ans du déclenchement de la guerre d'Ukraine démontre la rapidité avec laquelle nos sociétés intériorisent les bouleversements mondiaux, alors que l'ampleur des réactions provoquées par la résurgence du conflit israélo-palestinien souligne au contraire la vivacité avec laquelle les populations peuvent s'emparer de ces problématiques. S'agit-il d'une différence d'échelle entre, d'un côté, une solidarité collective, sincère mais distante et, de l'autre une chorale d'expressions individuelles qui se serviraient de l'espace public comme d'une caisse de résonance ? D'approches culturelles ambivalentes ? Que dire, dans ce cas, de la reprise des tensions en Birmanie, de la guerre au Soudan, en Éthiopie, au Yémen, des luttes autour du Haut-Karabagh ? Il existe un argument selon lequel la lassitude du grand public pour les grand-messes médiatiques serait à l'origine de ces changements de focales successives, et que les gouvernements occidentaux, soumis à des contraintes dont les autocrates ne s'encombrent pas, choisiraient leurs combats selon les échos de ce sentiment. S'il s'agit sans doute d'une partie de la réponse, notre rapport paradoxal aux secousses qui agitent le monde et altèrent le chemin qu'empruntent nos sociétés mérite qu'on y accorde davantage d'attention.

La superposition des lignes de fractures domestiques et extérieures, associée à la multiplication de zones de conflit simultanées, nous poussent à reconsidérer d'anciennes grilles de lecture à l'aune des éléments qui transforment la matérialité des relations internationales. Les zones de conflictualités historiques, la terre, la mer, l'air, l'espace et les fonds marins, ressentent de manière croissante les effets du dérèglement climatique et du progrès technique, en plus du poids de l'histoire et des réalités géographiques.

La temporalité des conflits évolue à un rythme inédit, soumise aux aléas de l'information et à une pluralité inégalée de discours qui portent sur la scène internationale. Ces derniers sont d'ailleurs représentatifs de la multiplicité des courants qui se heurtent désormais, alors que l'ordre international tel qu'il se caractérise depuis 1945 n'a jamais été aussi ouvertement contesté. Les succès électoraux de la droite dure en Europe font du prochain scrutin européen un moment clef pour l'avenir de l'Union et montrent également que le questionnement des structures et des valeurs sur lesquelles se fondent l'ordre international n'est pas le seul apanage des autocrates. L'ouverture de fronts militaires concomitants de l'Europe au Caucase en passant par le Proche-Orient, la guerre de l'information et l'escalade du fondamentalisme religieux provoquent des bouleversements dans les relations internationales. Les chocs économiques qui en découlent témoignent par ailleurs de la militarisation des relations internationales tandis que les deux plus grandes puissances économiques mondiales, les États-Unis et la Chine, font preuve d'un protectionnisme économique dangereux pour l'Union européenne.

Les affrontements se poursuivent au-delà du plan matériel, de l'échelle humaine et de la sphère diplomatique. Des puissances diverses (États, organisations, structures privées ou publiques) s'affrontent désormais dans un espace hybride, en large partie numérique mais qui ne parvient à s'affranchir totalement ni de la tyrannie des distances, ni de l'emprise du temps, preuve que l'histoire, la géographie et la sociologie sont toujours indispensables à l'analyse géopolitique.

Nous sommes à un moment charnière. La réaction du grand public face à la superposition des crises majeures, qu'elle s'exprime dans la rue, dans les urnes ou sur les réseaux sociaux, constitue un marqueur de la période que nous vivons, autant que les crises elles-mêmes. La temporalité fluide des relations internationales, la multiplicité des facteurs, la quantité des acteurs impliqués, font qu'il est difficile de savoir jusqu'à quand nous prolongerons cet instant. Le bilan n'interviendra qu'après.