La diplomatie américaine dans le dossier israélo-palestinien : quel positionnement stratégique ?
Constance Rousselle, chargée d'études au sein de la Direction générale de l'Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, s'est entretenue avec Frédéric Encel, docteur en géopolitique et maître de conférence à Sciences Po Paris. Il s’agit de la retranscription d’un entretien oral.
Comment citer cet entretien
Frédéric Encel, « La diplomatie américaine dans le dossier israélo-palestinien : quel positionnement stratégique ? », Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, Mai 2021. URL : cliquer ici
Le conflit israélo-palestinien avait été désigné comme priorité sous l'administration Obama, bien que celle-ci n'ait pas réussi à obtenir des résultats probants. L'élection de Donald Trump a vu la mise en place de nouvelles mesures afin d'essayer de résoudre ce conflit. Toutefois, celui-ci est loin d'être résolu et les tensions sont toujours présentes. Les positions de l'ancien président américain ont été fustigées par les Palestiniens qui espèrent une réorientation des relations avec l'arrivée de Joe Biden.
L'ancien président américain, Donald Trump, avait annoncé que les États-Unis reconnaissaient Jérusalem comme capitale de l'État d'Israël et avait décidé de transférer l'ambassade américaine de Tel Aviv vers Jérusalem. Donald Trump a également joué un rôle dans les processus de normalisation de plusieurs pays arabes avec Israël. Ainsi, quelle était réellement la relation que les États-Unis sous Donald Trump entretenaient avec Israël ? Sur quoi reposait-elle véritablement ?
Tout d'abord, avant son arrivée au pouvoir, Donald Trump ne s'intéressait pas à Israël. En effet, le président des États-Unis Donald Trump n'est pas issu d'une famille politique américaine particulièrement attachée à Israël, contrairement à celle de la droite du parti démocrate (comme on a pu l'observer auparavant avec les présidents Bill Clinton ou Harry S. Truman ou aujourd'hui avec le président Joe Biden). Toutefois, Donald Trump a commencé à s'intéresser à Israël lors de sa première campagne électorale car il a compris qu'il lui fallait obtenir les voix des évangéliques, et non celles des juifs américains qui eux votent démocrate et non républicain. De plus, à partir du moment où Donald Trump a été élu, entre autre grâce aux voix des évangéliques, et qu'il a compté - en businessman accompli - sur les pétrodollars saoudiens pour lui acheter du matériel militaire (ce qui s'est produit), il lui fallait être extrêmement cohérent dans un axe israélo-arabo-saoudien face à l'Iran, puisque l'Iran est devenu ces dernières années l'ennemi absolu de l'Arabie saoudite. Il y a donc eu une conjonction de facteurs explicatifs de la très grande proximité de Trump avec Israël. Enfin, je pense que les gestes de Donald Trump vis-à-vis d'Israël ont été essentiellement symboliques. En effet, ils n'ont rien coûté, ni politiquement, ni économiquement, aux États-Unis. Donald Trump ne prenait strictement aucun risque et ne subissait aucun coût à reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël, à reconnaître la souveraineté du Golan et à proposer le fameux « Deal du siècle » qu'il a mis trois ans à mettre en place.
En réalité donc, la politique de Donald Trump était très scénographique : il s'agissait plus d'une politique symbolique que stratégiquement concrète.
Le 28 juin 2020, l'ancien président américain Donald Trump présentait un plan de paix, le « Deal du siècle », dans le but de mettre fin au conflit israélo-palestinien. Quelles étaient exactement les propositions de ce plan et pourquoi l'Autorité palestinienne l'a-t-elle rejeté ? Quelle est la position de Joe Biden sur ce plan ?
Sur le fond, ce plan ne prévoit pas le rejet d'un État palestinien. Cependant, il en limite très drastiquement l'étendue territoriale mais également les prérogatives : il consisterait en réalité en une sorte d'autonomie élargie pour les Palestiniens, ce qui de ce point de vue-là était évidemment inacceptable pour l'Autorité palestinienne et a fortiori pour le Hamas, de même que pour la plupart des États arabes. Toutefois, il faut noter que les Émirats arabes unis ont approuvé le plan, alors même que le parti travailliste israélien ne l'approuvait pas. Deuxièmement, ce plan disposait qu'Israël pouvait annexer une partie importante de la Cisjordanie, ce qui n'était pas non plus acceptable pour les Palestiniens. Troisièmement, beaucoup de flou persistait sur la question de Jérusalem. Certes, Donald Trump a reconnu Jérusalem comme capitale d'Israël, cependant il a également dit que les Palestiniens auraient un jour Jérusalem pour capitale. De plus, ce plan ne prévoyait pas grand-chose sur la question des réfugiés ni sur les frontières, qui n'étaient pas totalement établies : le plan était donc très mal ficelé. Le refus palestinien est donc évident. Cependant, je pense que l'Autorité palestinienne a fait une erreur, non pas en rejetant ce plan mais en n'en contre-proposant pas un autre. La part du « travail » des Israéliens consistait à accepter, les Palestiniens, eux, incarnaient le statut de ceux qui n'acceptaient pas le plan. Cela s'inscrit bien évidemment encore une fois dans la reconnaissance par quatre États arabes d'Israël : les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc (d'où est issu plus d'un million et demi de citoyens israéliens). Il convient de rappeler que le Soudan, depuis son indépendance en 1956, a toujours incarné l'un des fers de lance de la lutte anti-sioniste et anti-israélienne. La reconnaissance d'Israël par le Soudan le 23 octobre 2020 apparaît donc comme un renversement complet.
Donald Trump est porté contre l'Iran, mais Joe Biden, en bon vice-président de Barack Obama, a toujours considéré que l'accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien (accord P5+1) était bon. Il a d'ailleurs dit pendant sa campagne électorale qu'il y reviendrait et, après son élection, l'une de ses toutes premières annonces fut celle du retour aux négociations. Je pense que s'il existe un axe moyen-oriental fondamental pour Joe Biden, ce sera celui-ci.
La question israélo-palestinienne n'intéresse plus beaucoup : aux yeux des grandes chancelleries, il s'agit davantage d'un contentieux local que d'un conflit. La priorité de Joe Biden n'est donc pas le conflit israélo-palestinien mais plutôt l'Iran.
Il s'agit de la meilleure façon à ses yeux, et à ceux des cinq autres pays de l'accord, d'empêcher l'Iran d'obtenir la bombe atomique.
Joe Biden a récemment été élu président des États-Unis. Les regards se tournent vers lui concernant ses prochaines décisions au Moyen-Orient. Certains s'attendant ainsi à un rééquilibrage de la diplomatie américaine dans la région. Joe Biden a en effet annoncé la réouverture prochaine des bureaux de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington que Donald Trump avait fermés. Il n'est cependant pas revenu sur la décision de reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël. Ainsi, Joe Biden pourrait-il participer à la résolution du conflit palestinien en prônant une « solution à deux États » ? L'Autorité palestinienne pourrait-elle envisager une reprise des négociations avec les Américains ?
Tout d'abord, avant de rouvrir la représentation diplomatique de l'Autorité palestinienne à Washington, Joe Biden a immédiatement annoncé le 21 janvier 2021 le retour de l'aide américaine à l'Autorité palestinienne. Les Israéliens n'ont pas protesté. Donald Trump allait plus loin que ce que souhaitait Netanyahou. En effet, Netanyahou souhaite tout sauf l'effondrement social et économique de l'Autorité palestinienne pour une raison très simple : les Israéliens veulent conserver la zone C des accords d'Oslo ainsi que les implantations. De ce point de vue-là donc, il fallait bien que, de la part du Qatar ou des États-Unis, l'Autorité palestinienne puisse bénéficier d'un minimum de fonds. La Palestine a été élue par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2011 comme État (non membre de l'ONU).
Sur le fond, je ne pense pas que Joe Biden sera le président qui fera la paix entre Palestiniens et Israéliens, certainement pas par manque de volonté ni par manque d'imagination, mais plutôt par manque de volonté ou de capacité localement. En effet, on a affaire à une classe politique israélienne qui, après quatre élections, ne parvient pas réellement à dégager un pouvoir. Le centre de gravité de l'opinion publique israélienne est plutôt à droite, plutôt nationaliste. Yaïr Lapid est favorable à une solution à deux États mais dans des conditions et sur des espaces réduits. Du côté israélien, je ne vois donc pas un tandem disposant d'une majorité à la Knesset, soutenu par les américains et par des chancelleries qui internationalement considèrent qu'il faut résoudre ce conflit, face à des Palestiniens qui ne sont pas unis et qui voient des élections reportées par Mahmoud Abbas dans l'indifférence générale. Aucune des grandes conditions pouvant permettre de contribuer à la remise sur les rails d'un processus de paix n'est réunie.
De toute façon, la priorité de Joe Biden est d'abord la politique intérieure, puis plutôt la Chine, l'OTAN, la Russie et accessoirement l'Iran. Le conflit israélo-palestinien n'est donc pas une des priorités de Joe Biden.
Quelle est la position de l'administration Biden sur Jérusalem ?
L'administration Biden prétend revenir sur ce qu'a été le positionnement de fond depuis le 22 novembre 1967, c'est-à-dire la résolution 242 du Conseil de sécurité de l'ONU. Le département d'État américain, contrairement à ce que l'on prétend souvent, a toujours été hostile au non-respect de cette résolution et a toujours considéré que Jérusalem devait être négociée. Trump a cassé ce paradigme. Biden a considéré qu'il ne fallait pas le casser mais ne reviendra cependant pas sur l'annonce de Trump. En effet, encore une fois, il s'agit de quelque chose de symbolique. De plus, de toute façon à plus ou moins longue échéance, au terme d'un processus de paix, Jérusalem devait être reconnue par le monde entier capitale d'Israël, sauf qu'il y avait deux options concomitantes : soit elle était divisée en deux (une partie pour Israël et une partie pour l'Autorité palestinienne) ou alors l'intégralité de la ville devenait la capitale des deux États. La reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël par les États-Unis n'interdit pas, au fond, ces deux hypothèses. Si Biden revenait sur ce point, il prendrait le risque d'être perçu comme hostile à Israël alors qu'en réalité il ne l'est pas et que cette mesure, de toute façon, ne change rien sur le fond.
Joe Biden a récemment réintroduit l'aide d'environ 200 millions d'euros aux Palestiniens. Comment interpréter cette décision politique ?
Biden ne veut pas jouer la politique qui avait été celle de Trump, politique risquant de faire s'effondrer l'Autorité palestinienne et donc risquant d'accroître l'instabilité régionale et de rendre plus difficile encore peut-être à terme le retour à un processus de paix. Il y a également peut-être une question de tempérament : Trump prétendait gérer les États-Unis à la manière d'une entreprise ; or, Biden n'est absolument pas dans cette optique-là.
Joe Biden n'a jamais pensé prioritairement budget ou économie, il pense politique.
Il considère, avec raison, que cette aide servira à maintenir à flot l'Autorité palestinienne, en attendant un retour hypothétique à des négociations.
Quelle relation entretient véritablement Joe Biden avec Benjamin Netanyahou ?
Pour l'instant, Joe Biden n'entretient pas de relation avec Benjamin Netanyahou puisque Netanyahou a dû reconnaître très rapidement la victoire de Joe Biden mais il n'a pas été l'un des premiers chefs de gouvernement à être appelé par la Maison-Blanche : ce n'est donc pas une priorité. Pour le moment, je ne pense pas qu'il y ait de rendez-vous, ni à Washington, ni à Jérusalem. Trump s'est bien entendu avec Netanyahou, mais peu de chefs de gouvernements s'entendent bien avec lui. Joe Biden a été vice-président de Barack Obama. Barack Obama n'a pas été très intrusif, il n'a pas exercé de vraies pressions sur Israël puisque les vraies pressions d'un président américain sont assorties de menaces de sanctions et qu'il n'y a pas eu de menaces de sanctions de la part d'Obama. Cependant, les relations entre Obama et Netanyahou étaient glaciales. Biden risque de s'inscrire dans cette ligne.
Quelle était la relation entre Barack Obama et Israël lorsque Joe Biden était alors vice-président ?
Les relations entre Barack Obama et Israël lorsque Joe Biden était alors vice-président n'étaient pas mauvaises. Barack Obama ne souriait pas à Netanyahou, mais concrètement, quand on regarde d'une part le volume d'échanges entre les deux pays pendant huit ans et d'autre part la valeur de ces échanges, y compris la valeur stratégique, ainsi que la livraison des chasseurs bombardiers F-35, cela montre qu'au fond les relations entre les États-Unis et Israël n'avaient jamais été aussi proches que sous Obama.
Les relations fondamentales - au sens étymologique du terme - entre les deux pays, non seulement se sont maintenues mais se sont également accrues sous Barack Obama, et Joe Biden n'était pas le dernier à y être favorable.
Autant Obama venait de la gauche du parti démocrate, autant Biden est de la famille politique la plus favorable à Israël. Pendant sa campagne électorale et depuis son investiture, rien n'indique que Biden souhaite changer le paradigme. Cela est vrai également pour la vice-présidente Kamala Harris.