fr

Droits culturels : la Convention de 2005 sur la diversité des expressions culturelles

16/02/2022

Emerancia Ntumba, responsable du département Diplomatie culturelle et Interculturalité de l'Institut d'études de géopolitique appliquée, s'est entretenue avec Charles Vallerand, consultant indépendant et expert de la Convention de 2005 de l'Unesco.

Comment citer cet entretien :

Charles Vallerand, « Droits culturels : la Convention de 2005 sur la diversité des expressions culturelles », Institut d'études de géopolitique appliquée, Février 2022. URL : cliquer ici


La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a été adoptée en 2005 par la Conférence générale de l'UNESCO. Son adoption intervient dans un contexte de crainte d'une uniformisation des modes d'expression culturelle due à l'essor de la mondialisation et de l'économie libérale. Dès lors, elle encourage les États à mettre en œuvre des politiques qui protègent et promeuvent la diversité de ces expressions. En 2001, avait déjà été adoptée la Déclaration Universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle qui définit la diversité culturelle tel un élément qui « s'incarne dans l'originalité et la pluralité des identités qui caractérisent les groupes et les sociétés composant l'humanité. ». Dans la foulée, avait également été créée la Journée mondiale pour la diversité culturelle, le dialogue et le développement qui se tient le 21 mai de chaque année. Ainsi, la Convention de 2005 est en d'une certaine manière le projet qui conclut les ambitions de l'UNESCO en faveur de la diversité culturelle. Toutefois, dans une ère où les créations culturelles et artistiques s'intensifient avec l'avènement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, la Convention de 2005 réussit-elle à jouer son rôle ?

Emerancia NTUMBA - Dans quel contexte géopolitique a été adoptée la Convention de 2005 ?

Charles VALLERAND - À ce moment-même se négociaient des accords bilatéraux et multilatéraux de libre-échange, notamment entre les États-Unis et le Canada qui se posaient la question d'une libéralisation de l'industrie de la culture. Le Canada avait pris une position historique en considérant que la culture ne pouvait être considérée comme un secteur semblable aux autres secteurs industriels et qu'elle intègre des notions d'identité, de langue, de valeurs, etc. C'est une posture « d'exemption culturelle » large disant que la culture sera exemptée de toute libéralisation dans l'ensemble de l'accord avec les États-Unis. Cependant, cet accord a montré des failles : l'exemption était assortie d'un droit de compensation et les États-Unis n'ont pas hésité à menacer le Canada de représailles face à l'adoption de certaines politiques culturelles. Le Canada s'est donc retrouvé en position de faiblesse. C'est ainsi qu'en 1999, le Canada a eu l'idée de partager sa posture « d'exemption culturelle » avec plusieurs États en programmant la rédaction d'une convention internationale à ce sujet. Ce projet s'est matérialisé en 2005 avec la Convention. Son adoption part d'une intention concrète : celle d'avoir un rempart juridique contre les pressions commerciales et les mécanismes juridiques du commerce international. Globalement, l'Union européenne, le Canada et l'Australie étaient favorables à l'idée « d'exemption cultuelle ». Inversement, les États-Unis et Israël ont manifesté leur refus. D'autres États s'étaient abstenus par hésitation ou par désaccord avec certaines dispositions. Mais depuis, les contestations se sont dissipées ce qui a permis de considérer que la Convention de 2005 a été adoptée de manière largement unanime. Toutefois, parmi les 150 signataires, on compte des absents : la Russie, la Turquie et le Japon. 

E.N - La Convention de 2005 est connue pour sa double approche, à la fois culturelle et économique. Pourquoi était-il nécessaire d'allier les deux ? Quels sont les principes et valeurs qu'elle défend ?

C.V - La culture porte en elle-même une double identité. D'une part, elle a une dimension économique : un artiste est une petite et moyenne entreprise (il supporte des coûts de matériaux pour la production et l'exposition de ses œuvres, il peut également toucher des bénéfices si son travail prend de la valeur financière). D'autre part, elle a une dimension symbolique (un produit culturel suscite des émotions, véhicule un message et crée une identité commune). La valeur est symbolique avant d'être réelle. Cette double caractéristique rend singulier le traitement de la culture dans le mouvement de la mondialisation qu'il soit voulu par les accords commerciaux ou qu'il soit inévitablement subi par la circulation des produits et services culturels à travers les modes de distribution électronique. Dès lors, la Convention de 2005 va défendre des principes et valeurs d'affirmation et d'ouverture culturelle. C'est une convention de droits de la personne donc elle défend l'intégrité, le respect, le droit de participation et le droit d'accès à la culture ainsi que la circulation internationale des artistes et des services culturels.

E.N - Quels sont les mécanismes juridiques mis en place par la Convention de 2005 ? Quelles contraintes juridiques pèsent sur les États signataires ?

C.V - C'est une convention de bonne volonté que chaque État signataire met en œuvre en fonction de son contexte national, historique et de ses moyens financiers ou matériels. Cependant, elle ne peut prédominer sur un autre texte : elle a une valeur juridique discrétionnaire. C'est plutôt un instrument normatif auquel peuvent se référer les États qui peuvent l'invoquer dans des décisions de justice en matière commerciale.

La seule contrainte juridique réelle est la soumission de rapports quadriennaux de mise en œuvre appelés « world report ». Ces rapports permettent de mesurer les efforts et les mesures adoptés par les États signataires. Ils servent de bases de données pour analyser les tendances selon les pays et les thématiques. En amont de la rédaction desdits rapports, des comités consultatifs sont organisés. Ce dialogue international permet à certains États de se démarquer dans cet exercice (notamment des États d'Afrique de l'Est) et donne une vraie légitimité à des groupes qui revendiquaient certaines mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles. Ces États savent qu'ils peuvent bénéficier d'assistance technique, de moyens financiers et des politiques de développement stratégique.

En ce qui concerne les instances de contrôle, la convention a créé la Conférence des Parties et le Comité intergouvernemental. Ce sont des conférences de suivis, des espaces de dialogue et de gouvernance qui permettent de comparer les différentes approches de travail, de suivre l'avancement de certains dossiers ou d'approfondir certains thèmes notamment la question du numérique ou de la mobilité internationale. Ce sont des mécanismes légers et non contraignants de participation des États. La société civile est conviée à participer à ces moments de dialogue international. Les représentants de la société civile se concertent et se rencontrent avant les journées statutaires, se coordonnent pour définir des prises de positions et leurs interventions. Alors qu'elle avait autrefois à l'origine qu'un statut d'observateur, la société civile devient progressivement une partie à part entière dans les débats.

E.NLa Convention de 2005 montre à quel point la notion de « diversité culturelle » est au cœur des préoccupations de l'UNESCO. En effet, dans son Acte constitutif de 1946, l'UNESCO s'était déjà engagée à « promouvoir la féconde diversité des cultures ». Quels enjeux se cachent derrière cette notion ?

C.V - Il y a deux notions de « diversité culturelle ». La première renvoie à la diversité des cultures au sens de multiculturalisme. La seconde se réfère à la diversité des expressions culturelles au sens des industries culturelles et créatives. La Convention de 2005 porte sur cette dernière vision puisque sa finalité est le vivre ensemble. Par rapport aux autres textes normatifs de l'Unesco, la Convention de 2005 se distingue par son degré d'adhésion : elle a été adoptée et ratifiée très rapidement par un grand nombre de pays. De plus, parmi les autres conventions, elle est celle qui est le plus d'actualité. Les autres conventions comme celles de 1971 ou de 2003 qui portent sur le patrimoine se contentent d'établir des listes et reconnaître des patrimoines mais elles ne s'accompagnent pas de moyens de mise œuvre. Alors que dans le cas de la convention de 2005, des moyens d'actions et des interrogations sur les enjeux actuels sont soulevés. Dans la protection et promotion de la diversité des expressions culturelles, la Convention de 2005 va permettre à certains groupes minoritaires (minorités ethniques, de genre, etc.) de participer à la culture et d'y avoir accès. Ce point est extrêmement sensible car des notions de liberté d'expression ou de droits humains entrent en jeu. Avec la Convention de 2005, l'Unesco amène avec force des conversations sensibles mais nécessaires. Cette convention est à la fois un défi et une opportunité d'échanger sur des enjeux contemporains. Sur les sept conventions de l'Unesco, c'est la seule qui attire autant d'engouement car elle est vivante et qui vit de cette appropriation que les États on en fait. Aujourd'hui, les objectifs de commerce sont moins présents. On parle plus de circulation et de mobilité des artistes puis d'accès au marché privilégié que des questions commerciales qui sont moins au centre des enjeux.

E.N - La Convention de 2005 anticipe-t-elle les bouleversements et les enjeux nés avec les nouveaux outils numériques et technologies dans le secteur de l'économie culturelle et créative ?

C.V - Elle n'est pas exhaustive mais neutre. Cette neutralité lui permet de s'adapter aux nouvelles réalités notamment grâce à l'adoption de directives opérationnelles qui interprètent les dispositions conventionnelles et permettent de s'assurer de suivre l'évolution de la jurisprudence, de l'actualité et des nouvelles pratiques. Seules ces directives opérationnelles peuvent être révisées.

En ce qui concerne le numérique, au moment où ces questions ont commencé à prendre de l'ampleur, certains pays ont voulu forcer la conversation et amené la communauté internationale à se poser la question d'une gouvernance de la culture numérique. Dans l'une de ses sessions, l'Unesco a donc adopté des directives opérationnelles disant comment et pourquoi la convention de 2005 a la compétence de s'appliquer à l'ère du numérique. Parallèlement, certains États agissent, de leur côté, dans cette vision. Par exemple, depuis 2019, le Canada est un processus d'élaboration d'un instrument international sur la diversité des expressions culturelles à l'ère du numérique. Cet instrument définirait et conditionnerait les politiques et cadres juridiques qui harmoniseraient le droit international et s'imposeraient à différents acteurs (États, internautes, entreprises, etc.). Cette ambition est née à la suite d'une conférence organisée à Ottawa avec 70 participants nationaux et internationaux. Des représentants des grandes plateformes numériques avaient été invités. Depuis, un groupe de travail été mis sur pied. Il a publié en juin 2021 des principes directeurs pour lesquels il souhaite obtenir une large adhésion. Si ce texte est un jour adopté, il pourrait être complémentaire de la convention de 2005.