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Terrorisme : qualifications plurielles et enjeux géopolitiques

14/05/2019

Dans le cadre de la dernière Diplo'Actu des Ambassadeurs de la Jeunesse, émission dédiée à l'actualité internationale, la Revue Diplomatique n°5 de notre think tank a été présentée par l'ensemble des rédacteurs de ce numéro. Ils étaient interviewés pour l'occasion par Gaye Soumaré, Community manager des Ambassadeurs de la Jeunesse.


Gaye Soumaré : Manon Chemel et Alexis Prieur, vous avez co-dirigé le dernier numéro de la Revue Diplomatique. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le contenu de celle-ci ?

Alexis Prieur : C'est un sujet qui nous tenait particulièrement à coeur. D'abord parce que c'est un sujet d'actualité, mais aussi parce que c'est un sujet qui nous concerne tous en France et ailleurs dans le monde. Par des prismes différents, juridiques, sociaux et économiques, nous avons voulu appréhender cette notion de « terrorisme » qui est mal comprise et mal expliquée.

G.S : Vous avez axé ce numéro sur cinq sujets précisément. Pouvez-vous nous les présenter ?

Manon Chemel : Nous avons effectivement abordé différents sujets, en faisant notamment un focus sur l'Afrique et l'Asie. La perte des bastions en zone irako-syrienne entraîne une dispersion des djihadistes, notamment en Asie et en Afrique. Nous avons par ailleurs écrit sur la sémantique terroriste et la responsabilité internationale de l'État. Le traitement de ce que l'on appelle les « revenants » et leur famille sur le sol européen a également fait l'objet d'une analyse. Nous avons également voulu décrypter la façon dont les enfants de Daech ont été enrôlés dans les camps d'entraînement et la façon dont ils sont aujourd'hui pris en charge sur zone et en France. Enfin, la Revue est ponctuée par un article sur les rivalités inter-ethniques au Sahel.

G.S : Pourquoi est-il difficile d'envisager le retour des enfants ?

Certains considèrent que ce sont [les enfants] des bombes à retardement. Manon Chemel

M.C : De nombreux enfants ont été dans des camps d'entraînement, manipulés et entraînés à la guerre, notamment au maniement des armes. Certains de ces enfants ont également perpétré des exactions. Certains considèrent que ce sont des « bombes à retardement », ce qui rend leur cas difficile à appréhender. Cependant, il faut garder à l'esprit que ce sont des enfants et avant tout des victimes. Ils n'ont pas choisi cette situation.

G.S : À quoi servent les enfants pour l'Etat islamique (EI) ?

M.C : Les enfants permettent à l'EI d'étendre son idéologie et sa propagande. Par leur intermédiaire, il souhaite montrer qu'il peut endoctriner des enfants qui seront la « relève », la future génération et cela envoie un message fort : en dépit de la perte de l'assise territoriale en zone irako-syrienne, la relève arrive et les enfants sont les futurs djihadistes.

G.S : Comment la France gère-t-elle le rapatriement de ces enfants ?

M.C : Quand les enfants sont rapatriés sur le sol français, ils vont bénéficier d'un suivi médical et psychologique. Ils ont des traumatismes profonds et cela nécessite des soins sur du long terme afin de permettre, progressivement, leur réinsertion.

G.S : Coline Savier, comment la France s'y prend-elle s'agissant des « revenants » et de leur famille ?

Des États sont plus concernés que d'autres, comme la France, l'Allemagne ou encore la Belgique. Coline Savier

Coline Savier : C'est très compliqué car il y a une double approche : une volonté d'approche globale européenne d'un côté et la souveraineté étatique de l'autre. L'Union européenne met à disposition des outils, des directives. Cependant, c'est l'État qui décide de la façon dont il va traiter les revenants. Des États sont plus concernés que d'autres, comme la France, l'Allemagne ou encore la Belgique.

G.S : Les politiques de traitement des "revenants" divergent-elles d'un État à l'autre ?

C.S : Effectivement, on peut opposer deux approches. Par exemple, l'Angleterre a une approche ferme sur le sujet et qui s'est renforcée en février 2019. Les revenants sur le territoire britannique encourent des peines de prison lourdes, de l'ordre de 10/15 ans. À l'inverse, le Danemark a une approche totalement différente. Celle-ci consiste à accompagner les revenants pour leur réinsertion. Pour les combattants, c'est un cas particulier mais pour les personnes qui n'ont pas combattu, il y a un accompagnement pour les réinsérer dans la société.

G.S : Existe-t-il un profil type de "revenant" ?

C'est [...] du cas par cas [...], on ne peut pas être systémique. Coline Savier

C.S : Chaque revenant a sa propre histoire. Vous avez des hommes, des femmes et des enfants. Chaque individu a vécu des choses différentes et la principale question est de savoir pourquoi ils reviennent. Ont-ils été forcés ? Reviennent-ils par repentance en ne croyant plus à l'idéologie qui a engendré leur départ ? Ou bien ont-ils une volonté de perpétrer des attaques sur le sol européen ? C'est donc du cas par cas et on ne peut pas être systémique. 

G.S : Il existe cependant des catégories de revenants ?

C.S : Ce ne sont pas vraiment des catégories mais l'on distingue les différents profils selon les raisons. Certains sont désillusionnés et décident de rentrer, d'autres reviennent avec leur idéologie extrémiste mais pour avoir de meilleures conditions de vie. Ces derniers, en raison de la perte d'assise territoriale de l'EI, reviennent sur le sol européen en pensant être plus efficaces dans leur mode d'action. Enfin, le dernier cas concerne ceux qui sont capturés et rapatriés pour être judiciarisés.

G.S : Aurélien Perrois, quels sont les enjeux en Asie par rapport au terrorisme ? 

Aurélien Perrois : En Asie, l'action de l'EI se concentre dans deux régions, particulièrement l'Asie du Sud et l'Asie du Sud-Est. Par ailleurs, le cas des Philippines est particulier. C'est un pays à majorité chrétienne, sauf le sud de l'île où il y a beaucoup de groupes ethniques musulmans. L'État a très peu d'autorité sur cette zone où une vingtaine de groupes s'affrontent pour avoir le monopole. Certains ont décidé de rejoindre l'idéologie que promeut l'EI et d'autres luttent contre l'EI. 

G.S : Concernant le Bangladesh, dans la zone du Cachemire il y a des groupuscules terroristes qui sévissent.

A.P : L'EI a une forte présence au Pakistan, quasiment aucune en Inde et il en a très peu au Bangladesh. Ce qui est intéressant est de voir que le Cachemire est une région « tampon » où l'EI n'est pas véritablement présent. Il y a davantage de tensions nationalistes que religieuses. De plus, l'armée est bien présente et il serait difficile au groupe de tenir.

G.S : Quelles sont les approches de l'Indonésie et de la Malaisie ?

On peut se demander s'il ne va pas y avoir un assouplissement de la lutte antiterroriste. Aurélien Perrois

A.P : Traditionnellement, c'est assez difficile pour les groupes étrangers de s'installer en raison de la haine envers ces groupes terroristes, notamment depuis les attentats commis par l'organisation Jemaah Islamiyah à la fin des années 1990 et au début des années 2000, mais avec les élections indonésiennes on remarque un grand changement dans la politique du pays, notamment sur la question de l'islam radical. On peut se demander s'il ne va pas y avoir un assouplissement de la lutte antiterroriste, lequel pourrait créer une nouvelle opportunité pour les groupes terroristes de s'implanter. 

G.S : Quel est l'état de la menace en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est ? 

A.P : Le risque est surtout concentré entre l'Afghanistan et le Pakistan. L'Afghanistan a découvert des combattants étrangers qui venaient d'Europe et qui ont rejoint des camps, ce qui ne s'était jamais produit jusqu'à présent. Ces combattants restent sur le long terme et ne reviennent pas. S'agissant de l'Asie du Sud-Est, le sud des Philippines est en train de devenir un Afghanistan local et tout va dépendre de la prochaine configuration politique.

G.S : Alexis Prieur, pouvons-nous définir le terrorisme ?

Il n'existe pas à ce jour de définition universelle du terrorisme en droit international. Alexis Prieur

A.P : C'est tout l'enjeu du premier article de la revue : comment le droit international appréhende-t-il la notion de terrorisme ? C'est historiquement assez difficile puisque c'est une notion subjective. Il n'existe pas à ce jour de définition universelle du terrorisme en droit international. 

G.S : Quel est le rôle de la sémantique ? Dans la revue un exemple en lien avec l'URSS est mentionné.

A.P : La sémantique peut revêtir un enjeu politique et dans le cadre de l'affrontement idéologique entre le bloc de l'Ouest et le bloc de l'Est lors de la guerre froide, cette notion était importante. La position de l'URSS qui a reconnu le FLN malgré les attentats sanglants pose cette question de la sémantique. 

G.S : Quel est l'intérêt des conventions internationales en lien avec le terrorisme ?

A.P : Les conventions internationales sont des accords librement consentis entre États souverains qui font naître des obligations internationales. D'où l'intérêt notamment de développer des conventions internationales en matière de terrorisme, pour que les États luttent ensemble contre ce phénomène qui prend des formes très diverses.

G.S : Comment est appréhendée l'extradition dans une affaire terroriste ?

A.P : La France, dans l'arrêt Koné du Conseil d'État (3 juillet 1996), considérait que l'extradition pour motif politique pouvait être illégale. Mais la notion de terrorisme a interféré et la Convention européenne pour la répression du terrorisme de 1977 exclut de la qualification d'infraction politique les infractions relevant de certaines conventions sectorielles et surtout considère que pour ces infractions terroristes, le refus d'extradition pour motif politique ne peut pas fonctionner.

G.S : Comment le Conseil de sécurité de l'ONU appréhende-t-il le terrorisme ? 

A.P : La résolution 1373 illustre le rôle qu'a essayé de développer le Conseil de sécurité en matière terroriste, c'est-à-dire un rôle « normatif » qui vient en complément des conventions internationales mais qui pose des questions en matière de souveraineté. Les États consentent librement par des conventions à se lier à des obligations internationales. Le Conseil de sécurité peut-il imposer certaines obligations aux États ? Il en a le droit juridiquement grâce à la Charte des Nations Unies qui lie les États aux décisions du Conseil de sécurité. 


Manon Chemel : Déléguée Proche & Moyen-Orient et Directrice du Pôle Radicalisation & Terrorisme du Centre International de Recherche & d'Analyse des Ambassadeurs de la Jeunesse 

Coline Savier : Déléguée Europe des Ambassadeurs de la Jeunesse

Alexis Prieur : Co-responsable de la Commission Sécurité & Défense des Ambassadeurs de la Jeunesse

Aurélien Perrois : Délégué Asie des Ambassadeurs de la Jeunesse