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Quelles perspectives pour la gouvernance mondiale de la santé ?

09/07/2021

Zoé Diemer, auditrice de l'Institut d'Études de Géopolitique Appliquée


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© Illustration : pixabay.com

Comment citer cette publication

Zoé Diemer, « Quelles perspectives pour la gouvernance mondiale de la santé ? », Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, Juillet 2021


L'OMS occupe une place particulière dans le paysage sanitaire international et ce malgré la multiplication, depuis le début du XXIème siècle, d'organismes spécialisés entièrement ou pour partie dans le domaine sanitaire, tels que « des fondations philanthropiques, des fonds dits globaux ou verticaux, des partenariats publics-privés ou même des organisations internationales. » [1] Sa constitution, qui la définit comme l'autorité directrice et coordinatrice dans le domaine de la santé mondiale ayant un rôle normatif et de conseil envers les États, lui confère une place centrale dans la gestion des épidémies et des pandémies. C'est d'ailleurs en vertu du Règlement Sanitaire International que le directeur général de l'OMS alors en poste au moment du déclenchement de l'épidémie de Covid-19, Tedros Adhanom Ghebreysus, a pu déclarer une urgence de santé publique de portée internationale et demander aux États de prendre des mesures contre l'épidémie le 30 janvier 2020. Mais la crise pandémique atteint profondément tout le fonctionnement de l'institution et ouvre le débat sur la nécessité d'une évolution de l'Organisation.

La nécessité d'une évolution de l'OMS mise en exergue par la pandémie de la Covid-19

Au cœur de la crise de la Covid-19, l'OMS s'efforce à la fois de collecter des informations et de diffuser des données scientifiques à mesure que la situation évolue tandis que son Assemblée dessine une stratégie efficace pour tenter de freiner la pandémie. Malgré une place centrale dans la coopération sanitaire internationale et un processus décisionnel et opérationnel qui semblait bien rôdé, l'OMS et son RSI ont été malmenés lors de la crise pandémique de la Covid-19. Les tensions interétatiques ont été projetées sur les rapports avec l'institution internationale et des limites majeures tant juridiques que de gouvernance ont émergé. La crise de la Covid-19 a complètement remis en question tout le système. Le manque de transparence des autorités chinoises et le non-respect de dispositions essentielles du RSI par une bonne partie des États Membres d'une part et les critiques venues de l'administration américaine d'autre part ont mis en échec les actions de l'Organisation Mondiale de la Santé, d'où la nécessité prégnante de la réformer en profondeur.

Le manque de transparence des autorités chinoises et le non-respect des dispositions du RSI par les États membres dans un premier temps ont montré les limites d'une institution et des textes internationaux, contraignants mais sans mécanismes de sanction. Le RSI prévoit un ensemble de règles censées être contraignantes pour les États mais qui pourtant ne sont pas toujours respectées. On peut prendre comme exemple l'obligation des États de mettre en œuvre les moyens pour assurer la surveillance des « évènements de santé publique sur leur territoire », qui, en 2019, n'était respectée que par 57% des États [2]. En outre, le RSI prévoit que les États puissent prendre des mesures hors des recommandations de l'OMS, pourvu qu'ils en informent l'organisation dans les quarante-huit heures. Or, dans le cas des fermetures de frontières en réponse à l'épidémie de Covid-19, plus d'un tiers d'entre eux ne l'ont pas fait. Enfin, le RSI impose en son article 6 à chaque État partie de notifier à l'OMS « par les moyens de communication les plus efficaces dont il dispose, [...] et dans les 24 heures suivant l'évaluation des informations de santé publique, tout évènement survenu sur son territoire pouvant constituer une urgence de santé publique de portée internationale au regard de l'instrument de décision, ainsi que toute mesure sanitaire prise pour faire face à ces évènements. » [3] Il apparaît manifeste que les premières mesures prises lorsqu'il a été notifié à Wuhan des premiers cas de contagion du Sars-CoV-2 n'ont pas été d'alerter l'OMS ni de lutter contre l'épidémie potentielle mais bien de faire taire les premières informations et d'interpeller les médecins lanceurs d'alerte. Ce manque de transparence, qui a entraîné une notification de l'épidémie à l'OMS très tardive, le 31 décembre 2019, a sans aucun doute eu des conséquences sur la gestion locale, nationale et mondiale de la crise.

Alors que la responsabilité de la Chine dans la gestion tardive de la crise fait consensus sur la scène internationale, aucune voie de sanction juridique ne peut être employée contre l'État chinois, d'autant plus qu'elle ne reconnaît pas la compétence de la Cour internationale de Justice. La violation grave des dispositions du Règlement principal de l'OMS n'entraîne donc aucune sanction et seules des contre-mesures mises en œuvre contre la Chine par chaque État de manière unilatérale sont envisageables aujourd'hui. La crise a donc ouvert un débat incontournable sur la question du pouvoir de contrainte de l'OMS.

Dans un second temps, ce sont les critiques du président américain sur la supposée « bienveillance » du directeur général de l'OMS à l'égard de la Chine puis l'interruption des financements américains à l'OMS qui ont révélé la défiance grandissante de certains dirigeants envers les institutions internationales.

Les relations entre l'OMS et la Chine ont en effet fait l'objet de critiques. Pour certains, elles ont représenté un frein dans la prise en compte du risque sanitaire soulevé par l'épidémie de la Covid-19. Le rapport de la Commission des Affaires étrangères remis à l'Assemblée Nationale en décembre 2020 reprend les différentes démonstrations d'une influence de la Chine sur l'OMS et notamment son directeur :

  • Des liens existent entre l'actuel directeur général et Pékin qui avait soutenu sa candidature à la fonction de directeur général de l'organisation en juillet 2017.
  • Au début de la crise, le directeur général a multiplié les éloges sur la gestion de la crise par les autorités chinoises alors même qu'elles avaient interpellé les médecins lanceurs d'alerte de Wuhan qui avaient mis en garde contre la transmission interhumaine.
  • Suite à la fermeture de l'aéroport de Wuhan Tianhe le 23 janvier, les compagnies aériennes occidentales et la plupart des compagnies asiatiques ont annoncé annuler leurs liaisons avec la Chine et que divers pays, notamment l'Italie, les États-Unis et la Russie, ont fermé leurs frontières terrestres ou aériennes avec elle, l'OMS s'est montrée critique.
  • En plus de sa contribution financière à l'OMS, la Chine fait don de 20 millions de dollars en mars à l'OMS, puis 30 millions en avril.
  • Dans un discours prononcé lors de la dernière assemblée mondiale de la santé, le président chinois fait plusieurs annonces de mesures qu'il souhaite prendre pour contribuer au fonctionnement de l'OMS dans le monde (versement de 2 milliards de dollars en deux ans, mise en œuvre d'un « mécanisme de coopération sino-africaine...) [4]

Cette politique menée par la Chine et l'influence qu'elle a pu avoir sur l'OMS ont amené de nombreux États à critiquer le manque d'impartialité et d'indépendance de l'institution qui a eu un impact sur la gestion de la crise. La défiance envers l'OMS s'est également accentuée du fait de la diffusion tout au long de la crise d'injonctions et de recommandations contradictoires, source d'une certaine confusion pout les États. L'évolution des recommandations concernant le port du masque ou celles sur la fermeture des frontières en sont des exemples clairs. La nécessité d'un consensus scientifique fort était crucial lors de la crise. Le travail de recensement des données scientifiques et l'élaboration d'une stratégie de lutte coordonnée contre les épidémies constituent dès lors une piste de réforme de l'OMS.

Ces défaillances du système de coopération sanitaire internationale ont été violemment sanctionnées par l'administration de Donald Trump qui, le 14 avril 2020, a annoncé que son pays suspendait sa contribution au financement de l'OMS, mettant ainsi en péril la réponse internationale à la pandémie de Covid-19 et tout un ensemble de programmes de santé dans les pays les plus pauvres. Ce comportement rappelle combien le droit international, qui repose sur la simple volonté des États, est fragile. Les tentatives du multilatéralisme se heurtent trop souvent aux compétitions que se livrent les États. Pendant la crise, la confrontation entre les deux puissances chinoise et américaine n'a eu de cesse d'accentuer les tensions dans un climat ambiant peu propice à la gestion d'une pandémie mondiale. Ainsi, l'administration Trump s'est bornée à appeler le nouveau coronavirus « virus chinois » dans les déclarations et documents officiels tandis que certains représentants chinois ont soutenu la rumeur affirmant que la maladie a été introduite en Chine par des membres de l'armée américaine.

Pourtant, les réponses purement nationales faites par beaucoup d'États et la volonté de Donald Trump de détruire le système multilatéral ont plutôt aggravé la crise sanitaire au lieu d'aider à la résoudre. Cette aggravation montre combien le multilatéralisme en matière de santé est nécessaire mais qu'il conviendrait d'explorer de nouvelles voies de coopération.

Vers un Pacte sanitaire social, ou la promotion d'un multilatéralisme attentif aux biens communs

Différentes pistes d'un renouvellement de la coopération sanitaire internationale sont en réflexion

Une réforme de l'OMS d'abord semble inévitable. Mise à l'épreuve par la pandémie, l'OMS se doit de mener une réflexion sur son rôle et ses objectifs et évaluer rigoureusement et impartialement les leçons à tirer de la crise. À l'initiative de l'Union européenne et avec le soutien de la France, une résolution a été adoptée à l'unanimité des 194 États membres lors de l'Assemblée mondiale de la santé. Elle prévoit le lancement « dès que possible et en consultation avec les États membres, [d']un processus progressif d'évaluation impartiale, indépendante et complète [...] pour examiner l'expérience acquise et les enseignements tirés de la réponse sanitaire internationale coordonnée par l'OMS à la Covid-19. » [5] Son système d'alerte, son pouvoir de contrainte, la mise en commun de ses données scientifiques et leur diffusion univoque, ses ressources financières et ses relations avec les États membres, qui sont d'ailleurs les seuls membres de l'Organisation constituent autant de domaines de progression de cette institution sanitaire universelle. Par exemple, l'établissement d'une nouvelle gouvernance mondiale de la santé publique passerait par le renforcement du système de santé internationale en mettant en place rapidement des capacités de détection, alerte et réponse équitables dans le monde et en contrôlant rigoureusement leur fonctionnement.

Au-delà d'une réforme de l'OMS, c'est un véritable travail de réflexion sur la nature des relations interétatiques en matière de santé qui est à l'œuvre. On voit ainsi l'émergence de l'idée d'un Pacte social sanitaire. Hélène de Pooter décrit ce pacte social sanitaire comme un système « dont la clé de voûte serait la confiance, inspirée d'un côté par la transparence sanitaire, de l'autre par la modération des réactions étatiques individuelles au travers d'une réponse coordonnée. » Pour elle, Un tel système serait le garant d'une sécurité sanitaire collective durable et profitable à l'ensemble des États [6]. Ainsi, un renouvellement de l'ordre mondial semble nécessaire. La pandémie a mis en avant l'importance de promouvoir un ordre international fondé sur une coopération plus profonde et de redéfinir le droit international de la santé. On progresserait vers « un droit de plus en plus indépendant de la volonté des États membres ; un droit qui assure le respect des obligations étatiques vis-à-vis d'« un Ordre international » ; un dispositif juridique qui se comporte, notamment lors des moments de crise et circonstances exceptionnelles, de manière raisonnable et rationnel ; un droit qui concrétise une action internationale multilatérale moins imparfaite, plus efficace et opérante. » [7]


Références

[1] Rapport d'information déposé par la Commission des Affaires étrangères sur les dimensions européenne et internationale de la crise liée à la pandémie de Covid-19 à l'Assemblée Nationale, 16 décembre 2020.

[2] https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30553-5/fulltext

[3] Règlement Sanitaire International, Article 6, Deuxième Edition, 2005.

[4] Rapport d'information déposé par la Commission des Affaires étrangères sur les dimensions européenne et internationale de la crise liée à la pandémie de Covid-19 à l'Assemblée Nationale, 16 décembre 2020.

[5] Résolution « Riposte à la Covid-19 », adoptée le 19 mai 2020 à Genève à l'occasion de la 73èùe Assemblée mondiale de la santé.

[6] Hélène de Potter, « La pandémie de Covid-19 rappelle l'importance du droit international pour la consolidation d'un « pacte social sanitaire », 8 avril 2020.

[7] Ismail Haddar, « Covid-19 : d'un autodafé vers une redéfinition du droit international », 19 avril 2020.