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Quelles conceptions du monde par-delà 2020 ?

29/05/2020

Par Alexandre Negrus, Président et fondateur des Ambassadeurs de la Jeunesse


La crise liée au coronavirus fait-elle émerger de nouveaux enjeux et de nouveaux acteurs ? Nul ne peut en douter. Pour autant, ayons à l'esprit que les grandes questions du moment étaient déjà, en partie, celles d'hier.

La dynamique des relations internationales reposait sur la modification des rapports de force entre les pays occidentaux et les autres grandes puissances mondiales. 

Bien malin serait celui qui pourrait dire avec précision ce que sera le « monde de demain » tant les enjeux du « monde d'avant » gardent une place centrale. Pour ainsi dire, les grandes questions d'aujourd'hui sont aussi celles d'hier. 

C'est peut-être dans le mode de réponse aux défis contemporains que la crise a soulevé de nouvelles opportunités. Notamment celle de se reposer davantage sur des acteurs émergents : le tissu scientifique et associatif.

La crise liée au Covid-19 est à n'en pas douter l'une de celles qui laissera le plus de traces dans la décennie que nous avons entamée il y a peu de temps. Cela pour deux raisons, à savoir son ampleur mondiale et l'accélération des transitions en cours.

La crise met en évidence ce que nous savions déjà


Depuis le début des années 2000, la Chine joue de stratégies pour gagner en influence dans les organisations internationales, dont l'Organisation mondiale de la santé, laquelle a largement été mise en évidence depuis quelques mois. Aussi, depuis 2008 et la crise économique mondiale qui aura amorcé une nouvelle ère géopolitique, l'ordre libéral souffre de virulentes contestations. Nombreuses sont les conceptions de la mondialisation. Nombreuses sont les divergences.

Les (dés)équilibres géopolitiques sont changeants depuis bien des années. Tout un chacun se demande, légitimement, quelles seront les conséquences directes et indirectes de la crise actuelle qui ne fait que commencer. Au-delà des questions purement sanitaires et des enjeux médicaux, qu'en sera-t-il des conceptions du monde par les grandes puissances mondiales ? Quel rôle joueront chacune d'entre elles ? Quels sont les nouveaux acteurs émergents durant cette crise ? Comment cela s'articulera sur le long terme ?

La crise met en évidence ce que nous savions déjà : la Chine tente d'établir et d'imposer son propre système alternatif à celui des Etats-Unis. Les Occidentaux, déjà bien « secoués » par un Brexit éprouvant politiquement et l'élection de Donald Trump, sont marqués d'un pessimisme inquiétant. Il conviendra de ne pas laisser les doutes s'installer puis de transformer cette crise en opportunités. Au-delà des différends entre les Etats-Unis et la Chine, cette crise confirme que la Russie, en raison de sa faiblesse économique, n'est pas un sujet en mesure d'imposer un quelconque leadership.

Le duel Etats-Unis/Chine : une réalité, mais pas une fatalité


Si d'une part il convient de ne pas minimiser l'affrontement entre les Etats-Unis et la Chine, qui se livrent à une véritable lutte d'influence économique et diplomatique - les deux disposant d'une capacité à peser sur les équilibres stratégiques, il est impératif, d'autre part, de ne pas se contenter d'admettre cet affrontement. La France mais surtout l'Union Européenne doit se positionner pour peser et ne pas être reléguée à un rang d'observateur ou bien pire encore, de subir le poids de cette rivalité. Cela résulte d'une prise de conscience collective afin de permettre l'émergence de nouvelles méthodes, de nouveaux outils et, bien sûr, de nouveaux acteurs. 

La diplomatie doit être capable d'explorer des horizons nouveaux et de faire la place à de nouvelles initiatives.

L'avenir de l'Union Européenne apparaissait fragile bien avant la crise liée au Covid-19. Signe de sa fragilité, le triomphalisme de certains observateurs lors de l'annonce d'un plan de relance par la Commission européenne. Ce plan procède d'une solidarité européenne qui devrait être une évidence mais qui est présentée comme une exception. C'est sur la base de solides relations franco-allemandes que doit se créer une dynamique positive et se dessiner une nouvelle trajectoire. Avec en sus, une indispensable prise de conscience de l'importance des relations euro-méditerranéennes et euro-africaines, l'Union a une fois de plus son destin en mains. 

Cela semble être une évidence eu égard aux ambitions chinoises et américaines. Les premiers sont à la conquête de la première place mondiale depuis un certain temps. Ils savent exploiter les situations pour en tirer des bénéfices. La crise du Covid-19 a mis plus en avant son rôle dans les organisations internationales ainsi que son agressivité, jusqu'à créer des incidents diplomatiques. La Chine sait faire preuve de patience en misant sur le long terme et en comptant sur la solidité de son modèle économique. Les seconds, à l'instar des Européens, connaissent des turbulences politiques. D'aucuns estiment que ce bras de fer mènera à une inversion des puissances d'ici une à deux décennies.

Un déclin américain à relativiser


S'agissant des Etats-Unis, ne nous trompons pas. Ils disposent toujours d'un pouvoir structurel très fort. En dépit de leur déclin annoncé et qui reste à relativiser, ils parviennent à s'imposer dans le monde. Ils projettent leur vision avec toujours autant d'influence. On pense notamment à l'hégémonie du dollar, mais aussi à leur puissance juridique qui leur permet de maîtriser leurs dossiers avec beaucoup de poids. En effet, l'étendue de la législation américaine, les sanctions économiques qu'ils imposent et l'extraterritorialité des lois sont des facteurs de la puissance américaine. Ajoutons à cela leur maîtrise du cyber dans toutes ses composantes.

Il serait contreproductif d'annoncer leur déclin définitif au profit de la Chine ou d'autres sujets émergents.

La prépondérance des questions environnementales dans les relations internationales


Les questions environnementales, qui saupoudraient les relations internationales depuis quelques années, sont davantage mises en avant en cette période d'incertitudes globales. En ce sens et là encore, la crise du Covid-19 met en relief des enjeux bien ancrés dans l'actualité et l'agenda diplomatique. Affirmer le contraire serait oublier les précédentes initiatives à l'échelle internationale, dont l'Accord de Paris sur le climat signé en décembre 2015. Qu'il faille en faire davantage et poursuivre des efforts encore insuffisants est un autre débat que ces temps difficiles nous permettront d'avoir. En particulier, peut-être serait-il venu le moment d'envisager bien plus concrètement un Pacte mondial pour l'environnement, voire pour les plus optimistes une Organisation mondiale de l'environnement aussi puissante que l'OMS, dotée de véritables moyens juridiques. 

L'enjeu du réchauffement climatique est pris au sérieux à l'échelle politique depuis quelques années grâce à une mobilisation des milieux scientifique et associatif. Profitons de cette dynamique pour renforcer leur poids et s'appuyer davantage sur eux dans d'autres secteurs stratégiques. Cela n'implique pas nécessairement de concurrencer les Etats dont la souveraineté est à préserver.

Si cette crise a permis de mettre en évidence le rôle de l'Etat puis de le renforcer en certains points, elle a aussi fait apparaître quelques failles.

La crise liée au Covid-19 est à voir comme un accélérateur des transitions et parfois de certaines dérives, avec à la clé des changements plus ou moins marqués. Aussi sera-t-elle le motif de quelques contretemps. Le multilatéralisme est remis en question. Il est important d'infléchir cette trajectoire car ce n'est que celui-ci qui permettra, demain, de sortir renforcés des crises d'aujourd'hui.