fr

Quel rôle pour l’Afrique dans la gouvernance mondiale ?

11/06/2024

Par Lyse Da Costa Montfort, chargée de mission à la direction générale de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.


Avertissement

Cette publication est la synthèse du colloque co-organisé à l'Université Mohammed V de Rabat les 21 et 22 mai 2024 par l'Institut d'études de géopolitique appliquée, la faculté des sciences juridiques, économiques, sociales - Souissi (Université Mohammed V de Rabat) et le Centre d'analyse et de prospective sur les Afriques.


La reconnaissance des transformations récentes sur les plans politique mais aussi économique démontre un engagement de plus en plus prononcé de l'Afrique sur l'échiquier international. L'intégration récente de l'Éthiopie et de l'Égypte dans le bloc des BRICS ainsi que celle de l'Union africaine au G20 en témoigne. Ces développements soulignent un pivot stratégique significatif, où l'Afrique ne cherche pas seulement à participer mais également à exercer une influence sur les processus décisionnels mondiaux, alignée avec son Agenda 2063, axe central des thématiques abordées lors du colloque.

L'Afrique dans le spectre de la gouvernance mondiale

L'Afrique est confrontée à de divers défis, tels que la stabilisation régionale, la promotion de la paix, l'amélioration de l'éducation et de la sécurité alimentaire. Eu égard à leur potentiel, les États du continent doivent assumer les défis auxquels ils sont confrontés notamment à travers le développement de coopérations interétatiques.La question de la gouvernance mondiale met en évidence l'engagement des États africains à respecter le droit international et leur volonté de s'intégrer de manière déterminée dans un ordre mondial conçu à l'origine par et pour les grandes puissances. Cette approche témoigne de la reconnaissance par l'Afrique que, pour remodeler cet héritage et y exercer son influence, elle doit participer activement à l'architecture mondiale existante. Cette intégration se manifeste notamment par la contribution significative de troupes aux opérations de maintien de la paix de l'Organisation des Nations unies, ce qui positionne l'Union africaine comme la « 8e puissance » en termes de contribution militaire. L'égalité de droits proclamée cache souvent des inégalités de fait, à l'instar des États faillis ou fragiles, illustrant les défis à relever pour assurer un ordre international plus équitable et équilibré.

L'Afrique, face aux défis de la coopération

La récente exposition des défis inhérents à l'intégration régionale et à la coopération en Afrique a mis en évidence la nécessité critique d'établir des gouvernements performants, évalués principalement par des instruments tels que l'Indice de développement humain (IDH) et l'indice de perception de la corruption. Ces indices sont perçus comme des outils cruciaux pour promouvoir une croissance économique inclusive et stimuler la création d'emplois, soulignant l'importance de renforcer la transparence dans la gestion des ressources et de les utiliser comme indicateurs de progrès systématique. Le rôle pivot du parlement dans la diplomatie parlementaire a mis en lumière les obstacles significatifs à la coordination entre les 54 États membres, souvent exacerbés par des instabilités politiques variées. Quant à la réforme de l'Union africaine, elle confronte d'importants défis budgétaires malgré des ambitions élevées. L'exemple des relations bilatérales entre la France et le Maroc illustre la façon dont les interactions internationales peuvent influencer la coopération économique, tout en mettant en avant la difficulté à maintenir un équilibre et une confiance mutuels entre les nations.

L'Afrique, entre héritage et perspectives futures

La transition du continent africain est généralement abordée en se basant sur une perspective historique, allant de l'époque coloniale à l'émergence de formes de gouvernance autonome, tant au niveau régional qu'international. Cette dynamique se manifeste principalement à travers deux axes distincts mais complémentaires : un vecteur économique et un vecteur politique. Ces vecteurs ne doivent toutefois pas être généralisés, au risque d'occulter la diversité des stratégies de leadership et la profondeur des défis régionaux.

Sur le plan économique, la persistance de l'exploitation des ressources africaines a des implications directes sur la souveraineté politique. Le potentiel transformationnel porté par la jeunesse africaine estenvisagé comme un moteur crucial pour la redéfinition des trajectoires de développement économique du continent, dont il faut porter une attention particulière à la dimension régionale. En tant qu'acteur pivot de la stabilité en Afrique de l'Ouest, le Nigeria incarne une complexité souvent sous-estimée par les analyses conventionnelles. Ce pays, en tant qu'acteur central de la stabilité en Afrique de l'Ouest, illustre la dichotomie entre les « stéréotypes » lui étant traditionnellement associés et la réalité de son influence démographique puis de ses ressources naturelles, essentielles au sein de la CEDEAO. Concernant le vecteur politique, la situation interne d'un pays comme le Nigeria, souvent perçu comme un baromètre de la santé régionale, illustre la manière dont la stabilité nationale peut influencer de manière positive la stabilité de la région environnante et réciproquement. Les critiques des influences néocoloniales, illustrées par des exemples tels que l'implication de puissances européennes et principalement françaises dans les affaires africaines, sont fréquemment soulevées alors que d'autres poussent vers l'importance de dépasser la simple critique des anciennes puissances coloniales pour leur attribuer systématiquement la responsabilité des difficultés présentes, pour se concentrer davantage sur les réponses à apporter aux problématiques contemporaines.. Il est également pertinent de noter que, bien que certains leaders africains aient tenté de façonner la gouvernance mondiale, comme à l'ONU, en adoptant des principes de diplomatie préventive et de consolidation de la paix, ils ont rencontré des résistances internationales significatives. Cette réalité souligne les complexités de la diplomatie africaine et met en question la capacité effective d'influence de l'Afrique sur la scène mondiale, exposant un besoin de reconnaissance et de redéfinition des mécanismes de participation internationale.

Les contributions et la position de l'Afrique dans les systèmes de gouvernance globale mettent en lumière les défis et les perspectives du continent. Le trafic des êtres humains, les migrations, l'intelligence artificielle et la sécurité représentent des thèmes centraux. Ces voies de réflexion révèlent également les lacunes dans la capacité du continent à répondre efficacement à ces enjeux complexes, surtout dans un contexte de gouvernance mondiale où l'Afrique tente encore de redéfinir son rôle et d'affirmer son influence.

Eléments de recommandation

L'Afrique, est souvent perçue comme marginale sur la scène internationale, bien que des personnalités aient marqué de leur empreinte les organisations multilatérales.

Le continent reste confronté à des défis multidimensionnels, allant des instabilités sécuritaires exacerbées par des tensions socio-politiques et économiques à la compétition des puissances mondiales cherchant à asseoir leur influence.

Les initiatives régionales, comme la création de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), témoignent d'un effort pour renforcer la coopération et accroître l'autonomie, visant à transcender la dépendance traditionnelle aux exportations de ressources.

La complexité de la gouvernance africaine est cependant accentuée par des divisions internes et des politiques externes parfois contradictoires, questionnant l'efficacité du multilatéralisme en tant que levier pour une spécificité diplomatique africaine et la capacité du continent à surmonter ses nombreux défis, notamment un modèle économique largement extractiviste. En dépit de ces difficultés, l'Afrique continue d'explorer des modèles de gouvernance régionale qui reflètent mieux ses réalités et aspirations, pour se forger une identité diplomatique propre et promouvoir une stabilité accrue.

L'analyse des dynamiques politiques et économiques en Afrique met en lumière un continent confronté à l'héritage complexe du colonialisme et aux pressions contemporaines de la mondialisation où l'intervention de grandes institutions financières comme le FMI et la Banque mondiale, ainsi que l'impact considérable des multinationales, ont souvent exacerbé les instabilités.

Ces facteurs ont facilité des coups d'État, souvent justifiés par la nécessité de contrer des gouvernements peu crédibles et de résister aux influences néocoloniales.

En réaction, des mesures telles que le nouveau droit des investissements intra-africains tentent de lier le développement durable à la croissance économique, tout en renforçant le cadre légal nécessaire pour encadrer les interactions internationales.

Cette transition vers un cadre légal amélioré et un développement plus autonome soulève toutefois des questions critiques sur l'efficacité réelle de ces initiatives, étant donné que les structures actuelles pourraient ne pas être suffisamment robustes pour contrer l'influence des acteurs globaux dominants.

L'engagement des États africains dans la réforme des structures de gouvernance multilatérales, bien que louable, se heurte à des obstacles significatifs, notamment des défis institutionnels et des pressions externes, à l'instar des mandats de figures telles que Boutros-Ghali et Kofi Annan à l'ONU.

Leurs expériences soulignent les tensions avec des puissances comme les États-Unis, mettant en évidence les limites de l'autonomie africaine dans un système mondial encore largement inégal.

Des politiques de sécurité adoptées par des pays comme le Nigeria, qui visent à stabiliser et pacifier leur région, illustrent un effort pour renforcer le leadership africain sur les questions de sécurité sous-régionale.

La présence persistante de menaces endogènes et exogènes remet en question la viabilité de ces politiques et souligne le besoin urgent d'une coopération accrue.

Ces efforts doivent être intégrés dans une stratégie continentale cohérente, capable de naviguer efficacement dans un environnement international fragmenté pour promouvoir un développement durable et équitable.

Cette critique souligne non seulement les avancées mais aussi les défis considérables qui subsistent, mettant en garde contre une optimisme précoce et appelant à une évaluation continue et critique des progrès réalisés, afin de s'assurer que les gains en autonomie et en développement ne soient pas minés par des influences externes ou des dynamiques internes mal gérées.