Que retenir du sommet du G7 de 2023 ?
Par Yohan Briant, directeur général de l'Institut d'études de géopolitique appliquée et Alexandre Negrus, président fondateur de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.
Du 19 au 21 mai 2023 s'est tenu à Hiroshima au Japon la 49è édition du G7, conférence diplomatique réunissant l'Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l'Italie, le Japon et le Royaume-Uni. Ce sommet est intervenu plus d'un an après l'invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie et, selon certains observateurs, avant une éventuelle contre-offensive ukrainienne pour regagner des positions face à l'armée russe.
D'aucuns attirent l'attention sur le contexte de la guerre d'Ukraine, d'autres sur la montée en puissance des BRICS, à savoir le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Dans les faits, c'est une vision plus large qu'il convient d'adopter, afin de mieux réaliser la façon dont le modèle occidental et les règles établies post Seconde Guerre mondiale sont de plus en plus contestées par les émergents. La Chine affiche ses ambitions et a pu se targuer de quelques récents succès diplomatiques, à l'instar de la médiation irano-saoudienne qui, symboliquement, marque son engagement au Moyen-Orient là où les américains ont davantage pris de recul.
Si les puissances du G7 réfléchissent à la façon dont l'Ukraine doit et peut être aidée, les BRICS et en premier lieu la Chine et la Russie cherchent à contrebalancer le système de gouvernance pour concurrencer l'hégémonie américaine. Pour ce faire, Pékin est à l'initiative, bien avant la guerre d'Ukraine, d'une campagne pour fédérer les pays dits du « Sud » pour peser davantage face à l'Occident. Si cette opposition systémique entre les principaux rivaux est largement commentée, il convient nécessairement de replacer ce sommet dans le contexte de ce que l'Élysée qualifie de « superposition des crises ». La guerre d'Ukraine a accéléré certaines tendances, identifiées par les Européens en amont du 24 février 2022 mais dont les conséquences furent sûrement négligées si ce n'est parfois ignorées. L'état de sidération provoqué par l'invasion, maintes fois commenté et analysé, ne doit pas faire de l'ombre aux nombreux enjeux. La diplomatie française a de nombreux atouts pour se positionner comme leader de la géopolitique du changement climatique. Ses nombreuses initiatives lui confèrent une légitimité et une place de choix dans les instances multilatérales sur cette thématique. En matière de défense, elle est à l'initiative en Europe du difficile réveil des européens, pour tenter de les convaincre d'investir massivement dans les armées et l'industrie de défense après de (trop) nombreuses années de désarmement. Bien que le retard pris en la matière soit irréversible en période de guerre, il est important de souligner la démarche et la dynamique qui ne produiront des effets que si l'effort est soutenu à long terme et multiplié à l'échelle collective.
Le sujet des inégalités au niveau mondial a également été à l'ordre du jour du dernier sommet du G7, au même titre que la fragmentation des chaînes de valeurs et l'émergence des technologies de rupture. La ligne directrice des travaux du G7 est d'œuvrer à la paix. Le dialogue est une solution et les États invités ont un rôle de premier plan en la matière, particulièrement cette année avec la présence du président ukrainien qui a rappelé tout le soutien dont l'Ukraine a besoin pour défendre ses droits et ses valeurs. Comment aider l'Ukraine à combattre la Russie, ailleurs que sur le terrain militaire ? De nouvelles mesures pour éviter le contournement des sanctions par la Russie ont été évoquées. L'Inde et le Brésil, dans le bloc des BRICS, étaient invités à Hiroshima pour envisager des actions communes pour une paix durable. Ce sont deux États aux ambitions élevées sur la scène internationale, que la France, à tous niveaux – tant diplomatique que de la recherche – gagnerait à davantage intégrer dans ses analyses. La doctrine diplomatique de l'Inde est d'ailleurs aujourd'hui formellement identifiée : nourrir le dialogue avec tout le monde, pour en tirer des avantages dans ses relations bilatérales avec chaque partenaire. Elle prend donc ses distances avec l'approche des blocs. Elle ne choisit ni un « bloc occidental », ni un « bloc » qui serait constitué par la Chine et la Russie. Depuis le 1er décembre 2022 et jusqu'au 30 novembre 2023, l'Inde assume la présidence du G20, ce dont elle profite pour développer sa politique étrangère sur la base d'une doctrine qualifiée de « multi-alignement ».
Face à la diplomatie de plus en plus agressive de certains pays, les puissances du G7 ont fort à faire pour endiguer la fracturation du monde et la contestation des règles de droit international, dont le respect constitue l'élément central de la rhétorique du camp occidental et alignés – ce qui fut rappelé avec insistance lors du colloque de l'Institut d'études de géopolitique appliquée sur la mer de Chine méridionale, organisé au Sénat le 26 mai 2023. C'est en tout cas ce qui transparaît à la lecture du communiqué publié le 20 mai dernier, dans lequel les dirigeants du G7 expriment leurs préoccupations au sujet des revendications chinoises en mer de Chine orientale et méridionale.
Carte extraite de l'Atlas stratégique des armées françaises, publié le 30 mars 2023 par l'Institut d'études de géopolitique appliquée avec le soutien de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées (cliquer sur la carte)
L'essentiel des remontrances adressées à la Chine le sont au titre que les positions de Pékin ne sont basées sur aucun fondement légal ; la Corée du Nord, l'Iran et l'Afghanistan notamment, sont interpellés sur les mêmes critères de non-respect du cadre légal international. En marge des critiques adressées à la Chine, le communiqué rappelle également la volonté de coopération des dirigeants du G7, donnant à l'ensemble l'aspect d'une version policée de la stratégie de la carotte et du bâton. Cette approche maladroite est le reflet des indécisions qui règnent au sein du sommet, entre partisans d'une ligne dure et soutiens d'une approche plus souple envers la Chine et le reste du camp illibéral.
Le G7 peut donner l'impression de n'être qu'un énième club occidental, un reliquat contesté de la guerre froide inapte à saisir les dynamiques et les enjeux contemporains. Fondé en 1975 avec l'ambition d'incarner un espace de dialogue et de partenariat entre les grandes puissances les plus avancées au monde, le G7 ne compte ni la Chine, ni l'Inde, mais continue de convier le Canada et l'Italie, respectivement au huitième et neuvième rang mondial. La totalité de ses membres partage une alliance défensive avec les États-Unis, de façon bilatérale ou dans le cadre d'une adhésion à l'OTAN, et la majorité d'entre eux (États-Unis, Japon, Royaume-Uni, Italie) a soutenu ou participé à l'invasion, illicite en vertu du droit international, de l'Irak conduite par Washington en 2003. À cela s'ajoute les nombreuses critiques envers l'institution, contestée en raison de son orientation néolibérale. La réponse chinoise est élaborée en partie grâce à ces éléments, Pékin accusant le G7 d'ingérence, d'inhiber le développement de pays tiers et remettant en cause la crédibilité internationale de l'institution.
En dépit de son passif et malgré ses fragilités, les arguments du G7 ne manquent pas de pertinence. Le rappel de la décision de la Cour permanente d'arbitrage quant au différend opposant Pékin et Manille, non reconnue par la Chine qui lui oppose un droit historique et naturel, souligne également l'ambivalence des positions chinoises quant au respect du droit international. S'il existe des permanences, stratégiques, diplomatiques, il faut garder à l'esprit le caractère évolutif des gouvernements. George W. Bush n'est ni Barack Obama, ni aucun de ses successeurs, Tony Blair n'est pas Rishi Sunak et la temporalité des démocraties n'est pas celle des régimes autoritaires. Le fait qu'une institution pétrie de paradoxes telle que le G7 puisse aboutir à un communiqué signé conjointement par sept des plus importants acteurs internationaux suffit à témoigner de sa pertinence. Tout formel et normatif qu'il soit, ce communiqué demeure un acte politique fort en faveur du multilatéralisme et de l'importance du dialogue, à l'heure où les tensions dégénèrent rapidement en conflit armé. Un signal qui a son importance alors que le 1er juin 2023 s'est ouvert le deuxième sommet de la jeune mais ambitieuse Communauté politique européenne.