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Les Racines du chaos : Irak, Syrie, Liban, Yémen, Libye

08/03/2022

Recension effectuée par le département Proche-Orient, Moyen-Orient & Afrique du Nord de géopolitique appliquée.

La recension n'engage pas la responsabilité de l'auteur de l'ouvrage. 


Ouvrage écrit par Pierre-Jean Luizard, paru aux éditions Tallandier, Paris, 10 février 2022, 240 pages.


Pierre-Jean Luizard, historien, est directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste des islams au Moyen-Orient et membre du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL, CNRS/EPHE/PSL). Il est notamment l'auteur de Chiites et sunnites la grande discorde en 100 questions (2017).

Dans son ouvrage, Pierre-Jean Luizard dresse un constat de l'effondrement de cinq États arabes (Irak, Syrie, Liban, Yémen, Libye). Pour certains, cela fait suite à l'échec des « Printemps arabes » pourtant porteurs d'espoir et de changement et qui, en définitive, ont entraîné une véritable dégénérescence confessionnelle.

Comme le démontre l'auteur, la faillite de ces États a entrainé des guerres civiles sans fin avec pour corolaire une partition du territoire sur des bases ethniques, confessionnelles ainsi que des interventions étrangères.

Dans son ouvrage, l'auteur nous apporte un éclairage sur les prémices de ces bouleversements ayant plongé ces États arabes en faillite. Pour ce faire, il remonte à l'origine de l'histoire afin de saisir pleinement les enjeux auxquels sont aujourd'hui confrontés ces États.

Il montre par ailleurs les similitudes plus que saisissantes entre ces États faillis aussi bien au niveau de la corruption, de la répression, de la situation économique ante « Printemps arabes » et actuelle ainsi que le confessionalisme qui décime le pouvoir central au sein de ces systèmes autoritaires et répressifs.

Le livre permet de saisir la multiplicité d'acteurs aujourd'hui impliqués dans ces États et montre qu'à travers l'histoire, la confrontation chiite/sunnite telle qu'on la connaît actuellement a parfois été rythmée par des alliances.

En Irak, la révolution de 1920 en est un parfait exemple puisque chiites et sunnites se sont unis afin de se soustraire à l'autorité britannique dont un mandat a été attribué lors de la conférence de San Remo en 1920 - avec pour objectif de partager le Moyen-Orient entre la France et la Grande-Bretagne.

Concernant le mandat britannique, l'objectif était de parvenir à la formation d'un État-nation s'inspirant du modèle européen et de le mettre sous tutelle d'une grande démocratie pour ensuite parvenir à une indépendance.

Cette révolution donna à cet égard une forme d'identité nationale irakienne. Parallèlement à cela, cela s'est traduit par l'influence des différents nationalismes bien que le monopole ait été par la suite aux mains des élites issues de la communauté arabe sunnite. Tour à tour, les minorités en seront les victimes.

Par la suite, on assiste à un conflit larvé entre chiites et sunnites avec une alternance confessionnelle dans le monopole de pouvoir. La chute du régime de Saddam Hussein en 2003 donne une nouvelle impulsion qui sera marquée par un changement de gouvernance, cette fois-ci à la faveur des chiites qui occuperont les principaux postes de pouvoir. Ce bouleversement entraîne une radicalisation religieuse au sein des anciennes élites sunnites du pouvoir déchu entraînant par la suite une guerre confessionnelle.

Depuis, l'Irak se caractérise par une instabilité politique associée à un communautarisme structurel.

Les « Printemps arabes » ont redessiné les contours de certains de ces pays.

La Syrie, dont l'origine du conflit est à la fois politique et économique bascule rapidement vers un conflit confessionnel. Les affrontements deviennent communautaires. Les minorités en revanche restent fidèles au pouvoir car elles redoutent un pouvoir aux mains des sunnites.

S'agissant du Yémen,l'ONU considère que la guerre au Yémen a entraîné la pire crise humanitaire dans le monde.

La conséquence des Printemps arabes est également l'entrée de nouveaux acteurs, l'État islamique et al-Qaïda qui ont su profiter du chaos pour se faire une maison dorée en Syrie et en Irak par exemple.

La pandémie de Covid-19 et ses répercussions

Bien que la crise sanitaire a largement précipité l'effondrement économique de ces pays, elle a pour corollaire de nombreuses répercussions qui ont affecté non seulement l'économie mais également la sécurité de ces États.

Du point de vue économique, la pandémie liée à la Covid-19 a entraîné le pays du Cèdre dans sa pire crise économique depuis la guerre civile. Le pays ne pourra pas rembourser ses dettes. L'inflation et le chômage connaissent quant à eux une hausse spectaculaire imputables au manque de stabilité politique. Par ailleurs, l'explosion survenue le 4 août 2020 a précipité le pays au fond de l'abîme et le pays peine à se relever. La pandémie de Covid-19 a par ailleurs accentué les crises au sein de ces pays déjà bien fragilisés. En raison du coronavirus, des millions de réfugiés sont menacés et encore plus vulnérables.

En Syrie et en Irak, la crise sanitaire a entraîné un gel des activités de la coalition contre l'État islamique, qui concentre dorénavant une activité insurrectionnelle. Par ailleurs, comme en Irak/Syrie, l'affaiblissement des services de renseignement permet la résurgence des djihadistes qui échappent de fait aux contrôles.

En définitive, l'auteur apporte un éclairage sur la situation chaotique dans laquelle évoluent ces différents pays issus de la création coloniale - à l'exception du Yémen, bien que le sud du Yémen ait vécu une expérience coloniale puisqu'avant 1990, les communistes en avaient le contrôle. Ces différents pays embourbés dans des conflits multidimensionnels avec de nombreuses zones rivales peinent à s'extirper du chaos. Par ailleurs, ces États sont confrontés à la menace terroriste qui ne cesse de regagner du terrain en dépit de la forme insurrectionnelle actuelle.

Les revendications citoyennes et les demandes de changement dans des pays confrontés à la corruption et aux inégalités croissantes, qui ont abouti au mouvement des « Printemps arabes » ont finalement entraîné ce que l'auteur appelle la « dégénérescence confessionnelle » et engendré une internationalisation des conflits pour le Yémen, la Libye ou encore la Syrie et l'Irak.

Ce livre illustre également l'échec de l'État nation qui ne parvient pas à éclore au sein de ces pays fragmentés.

Aujourd'hui, l'impossibilité de parvenir à une stabilité et à former un gouvernement dans certains pays, implique, comme en Libye, la continuité des trafics en tous genres, de l'esclavage et permet aux groupes terroristes de se restructurer militairement dans ces pays.