Les nouvelles rivalités de puissances. Quelle place pour l’Union européenne ?
Par Alexandre Negrus, Président de l'Institut d'Études de Géopolitique Appliquée
Alexandre Negrus, Les nouvelles rivalités de puissances. Quelle place pour l'Union européenne ?, Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, Paris, Septembre 2021
L'équilibre du monde a changé. Depuis quarante ans, la Chine a une croissance très forte. Cette dynamique économique alimente une ambition stratégique de plus en plus assumée. Cette ambition doit aboutir en 2049 pour le centenaire pour la République populaire de Chine. Cela implique un déplacement des équilibres stratégiques et pousse l'actuelle première puissance mondiale, les États-Unis, à repenser son leadership. Les deux puissances se livrent à une compétition mondiale.
Plusieurs observations peuvent être exposées pour comprendre le basculement qui s'est opéré dans les relations internationales puis pour se rendre compte qu'il restent encore beaucoup à accomplir pour que l'Union européenne puisse peser dans cet environnement stratégique.
D'abord, du fait du déplacement de la production de richesses, la Chine est le premier partenaire économique des États-Unis mais aussi son principal rival stratégique. Par ailleurs, la Chine a développé un autoritarisme numérique qu'elle entend exporter à plus grand échelle dans le monde, véritable stratégie pour retrouver la centralité historique qui a toujours été la sienne. Sur le plan militaire, la mer de Chine est le centre de gravité des nouvelles conflictualités et il faut s'attendre à une situation très tendue entre, dans les années à venir, entre la Chine, les États-Unis mais également entre la Chine, le Japon, la Corée du Sud et du la Corée du Nord. Il est tout aussi important de soulever que les États-Unis ont investi des moyens considérables dans l'indopacifique, en déployant un impressionnant dispositif militaire. Son objectif est de freiner l'expansion chinoise dans la zone et de perturber son projet de Belt and Road Initiative. Ainsi, l'Asie du Sud-Est se retrouve au cœur des rivalités sino-américaines. Aussi, le cas de Taïwan est une grande source d'inquiétudes dans les chancelleries en cas d'épreuve de force entre les principaux protagonistes.
En matière de cyber, on est en situation de guerre ouverte entre les États-Unis, la Chine, la Russie et quelques pays européens en termes d'espionnage et de manipulation de l'information. Force est de constater que le cyber est devenu le terrain d'affrontement privilégié des principales puissances et toute entité politique ambitionnant de peser dans les relations internationales doit se doter d'une véritable stratégie en matière de cyber. Cela constitue un défi de taille pour l'Union européenne, fragile organisation sui generis qui, à l'heure des nouvelles formes et des nouveaux terrains d'affrontements, semble déboussolée dans un monde qui n'a pas évolué comme elle l'avait imaginé.
En matière de sécurité et de défense, les Européens semblent plus que jamais vulnérables. Contrairement à d'autres puissances qui s'arment ou se réarment, les Européens ont continuellement diminué leurs dépenses militaires depuis la chute du Mur, alors même que nous sommes dans un nouveau cycle de conflictualités et dans une logique de transformations de la guerre. En ce sens, nul ne peut écarter de potentiels affrontement inter-étatiques.
Après le départ de Donald Trump de la Maison-Blanche, les Européens avaient des attentes et principalement le retour au multilatéralisme. Une partie des attentes a été satisfaite, avec le retour des États-Unis dans l'Accord de Paris sur le climat et l'annulation de la procédure de retrait de l'Organisation mondiale de la santé, puis la manifestation de son intention de revenir dans l'accord sur le nucléaire iranien. Mais sur le plan commercial, les dossiers épineux sont nombreux et il convient de ne pas oublier l'engagement pris par Joe Biden consistant à ne pas signer de nouvel accord commercial avant d'avoir réalisé des investissements massifs en faveur des travailleurs américains. Entre les droits de douane imposés par les États-Unis sur l'acier et l'aluminium puis les conflits entre l'Union européenne et les États-Unis dans le secteur aéronautique, voilà la Commission européenne confrontée à d'importants dossiers.
Dans leur confrontation avec la Chine, les États-Unis cherchent à discipliner leurs alliés dans la définition d'une position dure et ferme vis-à-vis de la Chine. L'Union européenne a d'ailleurs qualifié la Chine de « rival systémique » et des mesures ont été adoptées pour contrer les stratégies d'influence économique de la Chine sur le continent. Loin de jouer les bons élèves des États-Unis, les Européens ne s'alignent pas en totalité sur les États-Unis et assument une « autonomie stratégique ouverte » pour défendre leurs propres intérêts économiques et stratégiques, tout en demeurant vigilants à l'égard de la Chine.
Face à cette confrontation sino-américaine et au basculement des équilibres géopolitiques, l'Union européenne demeurera en net recul tant qu'elle n'aura pas défini une véritable stratégie géoéconomique.