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Les enjeux sécuritaires pour Israël : actualité et perspectives

11/10/2023

L'Institut d'études de géopolitique appliquée s'est entretenu avec Ely Karmon, politologue israélien, chercheur principal à l'Institut de lutte contre le terrorisme (ICT) de l'Université Reichman de Herzliya. Il y donne également des cours sur le terrorisme et la guérilla dans les temps modernes.


Institut d'études de géopolitique appliquée - Un nouveau groupe, « fosse aux lions », a fait son apparition au cours de l'année 2022. Ce dernier ne semble affilié à aucun autre mouvement traditionnel (Fatah, Hamas, Djihad islamique) et a déjà perpétré plusieurs attaques. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce nouveau groupe ? Peut-il continuer à prendre de l'ampleur en ralliant notamment des membres des mouvements traditionnels ?

Ely KARMON - La « fosse aux lions » est un groupe palestinien apparu en août 2022 dans la ville de Naplouse. Certains membres de ce nouveau groupe appartenaient à la brigade al-Aqsa, utilisée notamment durant la seconde intifada par le Fatah. On retrouve aussi des membres du Djihad islamique mais également du Hamas. Au sein de la « fosse aux lion » on retrouve une sorte de coalition avec des éléments très proches socialement qui vivent généralement dans le même quartier et qui partagent cette volonté d'attaquer Israël. Selon certaines informations, le Hamas aurait aidé à financer le groupe à ses débuts.

Jusqu'à la fin de l'année 2022, le groupe a été très actif et il a été responsable de nombreuses fusillades contre des forces israéliennes mais également contre des civils. Les attaques par armes à feu se sont multipliées, ce qui a contraint Tsahal a réagir très rapidement.

Dans le même temps, il y a eu un dialogue avec l'Autorité palestinienne dans la mesure où une partie des membres du groupe « fosse aux lions » appartenait au Fatah. Suite à cette discussion, une vingtaine de personnes a déposé les armes en échange de sommes d'argent. Un arrangement a eu lieu entre certains membres du groupe « fosse aux lions » et l'Autorité palestinienne et par conséquent, le nombre d'attaques a diminué assez rapidement. Le centre de gravité des actions terroristes s'est concentré sur la ville de Jénine où il y a eu plusieurs opérations dont certaines de grande ampleur. Le résultat est toutefois mitigé car beaucoup avaient déjà quitté le camp de réfugiés de Jénine. Après l'opération, il y a eu un accord avec l'Autorité palestinienne qui devait reprendre le contrôle de Jénine, une ville toujours considérée comme rebelle.

Le groupe « fosse aux lions » est parvenu à acquérir une visibilité et du succès grâce à ses actions de propagande en dépit du fait que des combattants de ce groupe ont finalement accepté de déposer les armes après l'intervention de l'Autorité palestinienne.

Iega - Comment expliquez-vous la recrudescence de violence amorcée depuis 2022 ? Que peut-on craindre pour les mois à venir ?

E. K - Pour répondre à cette question, il est indispensable d'analyser les événements passés car ils expliquent l'état actuel de la situation et la recrudescence de la violence.

Lors des premiers mois de l'année 2021, Mahmoud Abbas, le chef de l'Autorité palestinienne, avait promis des élections. Il n'y en a pas eu depuis 2005, ni en Cisjordanie ni à Gaza. Il a été jugé par Mahmoud Abbas que l'organisation d'élections était finalement une stratégie trop dangereuse pour lui et son parti. Il a donc renoncé à en organiser, ce qui a provoqué la colère du Hamas. Suite à cette annulation, le Hamas a décidé de tout mettre en œuvre pour déstabiliser l'Autorité palestinienne tout en s'attaquant à Israël. Les membres du Hamas ont décidé, en mai 2021, de s'ériger en défenseurs de la mosquée d'Al-Aqsa et de la ville de Jérusalem.

Il convient en effet revenir au mois de mai 2021, lorsqu'a eu lieu l'opération israélienne à Gaza, « Gardien des murs » contre le Hamas en réaction aux salves de roquettes dirigées contre Israël et notamment Jérusalem. En réponse à ces attaques, l'État hébreu a lancé l'opération avec pour objectif principal d'amoindrir, via des frappes aériennes, les capacités militaires du groupe à Gaza. Suite à cette intervention israélienne, le Hamas s'est présenté comme le défenseur de la ville sainte et la propagande du groupe en Cisjordanie a été plus active, si ce n'est plus écoutée voire influente.

Conjointement à cela, un phénomène nouveau a eu lieu dans l'histoire des relations entre Palestiniens et Israéliens, caractérisé par des actions violentes de la part d'arabes Palestiniens dans les villes mixtes où cohabitent des juifs et des musulmans. Cela s'est traduit par des attaques et des lynchages à l'endroit de la population israélienne et par des réactions violentes de juifs israéliens, entraînant inévitablement un cycle de violence inédit. Pour le Hamas, ces incidents sont bénéfiques car ils lui permettent d'accroître sa popularité à court et long terme dans la mesure où il se présente comme le défenseur des citoyens Arabes.

En définitive, à partir de mai 2021 on assiste à une recrudescence de violences et d'actions terroristes qui s'étendent en 2022 puis en 2023. De très nombreux attentats au couteau et à la voiture bélier contre des soldats et des civils israéliens ont eu lieu. En 2022 de plus en plus d'attentats avec des armes à feu automatiques ont été perpétrés. On assiste à une sorte de nouvelle intifada. Cette violence s'est concentrée essentiellement sur les villes de Jénine et Naplouse mais des attentats ont également eu lieu dans la région d'Hébron.

Cette escalade de violence explique la situation d'aujourd'hui. Depuis 2021, beaucoup d'arrestations et de décès de terroristes impliqués dans les attentats côté palestinien ont eu lieu, ce qui a entraîné l'élargissement du cercle des familles impliquées et motivé ce nouveau cycle de violence. Durant les neuf derniers mois, le gouvernement israélien s'est trouvé dans une situation délicate en raison d'une part de la contestation des citoyens et des militaires contre la réforme judiciaire souhaitée par le Premier ministre Benjamin Netanyahou et, d'autre part, du cycle de violence difficile à endiguer. Aujourd'hui, le Premier ministre et sa coalition tentent de stabiliser la situation par une meilleure coordination avec l'Autorité palestinienne et actions sur le plan économique, mais la tension reste palpable en Samarie, dans le nord de la Cisjordanie.

Iega - Depuis son élection au pouvoir, Benjamin Netanyahou a entrepris une réforme du système judiciaire qui a bousculé la société israélienne, majoritairement hostile à celle-ci. Le Premier ministre souhaite en effet réduire les prérogatives de la Cour suprême qui détient, selon lui, trop de pouvoir. Cela a donné lieu à de nombreuses manifestations dans le pays. Depuis, Israël semble s'engouffrer dans une crise politique. Où en est-on exactement dans cette volonté de réforme ? Benjamin Netanyahou pourrait-il aller jusqu'au bout de celle-ci ?

E. K - Actuellement, il y a une véritable crise en Israël. Celle-ci est à la fois politique, sociale, juridique et constitutionnelle. Cette réforme judiciaire souhaitée par Benjamin Netanyahou et sa coalition d'extrême droite met en danger la démocratie israélienne. Suite à cette réforme annoncée, il y a eu de très nombreuses manifestations dans le pays. On ne dénote pas moins de 150 groupes protestataires. Pendant 40 semaines, ces groupes ont réussi à s'organiser pour protester et mettre en place cette contestation. Benjamin Netanyahou souhaite réduire les prérogatives de la Cour suprême en raison de son propre procès actuellement en cours. Cela le conduit à tenter une réforme, au moins partielle, portant notamment sur la question de l'élection des juges suprêmes. Le ministre de la Justice tente également d'adopter une ligne plus agressive sur ces questions juridiques et notamment sur cette question de l'élection des juges suprêmes.

Outre cette question, une autre loi a aussi pour objet d'accorder des concessions aux ultra-orthodoxes afin qu'ils n'aient pas à effectuer le service militaire ni même le service civil. Les militaires israéliens, notamment dans les forces d'élite, s'opposent fermement à cette loi car ils craignent un autoritarisme et une entrave aux principes démocratiques.

Parallèlement à cela, il y a aussi des pressions de la part des États-Unis et de l'opposition qui ne souhaitent pas cette réforme. Certains membres du Likoud sont également contre celle-ci mais ils ne sont pas nombreux. À ce stade, il est difficile d'entrevoir la suite car la situation est complexe et évolutive.

Ce cadre politique et stratégique change complètement avec l'attaque du Hamas de Gaza contre Israël le 7 octobre 2023. Les pogroms et massacres ont été commis à une échelle jamais connue depuis la naissance de l'État hébreu : presque 1000 jeunes, femmes, enfants et personnes âgées ont été assassinés à bout portant ou brulés vifs dans leur habitation et plus de 3000 personnes ont été blessées au cours d'un festival de musique champêtre. Selon toute probabilité, Israël va mener une opération terrestre à Gaza dans l'objectif de détruire complétement le pouvoir militaire du Hamas. Autrement, le peuple juif ne pourra pas vivre dans cette région où règne la violence, avec notamment le Hezbollah et l'Iran qui souhaitent la destruction totale d'Israël.