Le Panama serre à droite avec l’élection de José Raul Mulino
Par Emma Giuliano, responsable du département Amérique latine de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.
Le 5 mai 2024, trois millions de panaméens étaient appelés aux urnes pour élire leur président, renouveler les 71 députés du parlement et les gouvernements régionaux. Cette élection à un tour et à la majorité simple s'est caractérisée par un taux de participation très fort, le plus élevé des trois décennies. 77% de la population a exercé son droit de vote. José Raul Mulino a remporté les élections, où huit candidats s'affrontaient, de façon confortable et dans la continuité des sondages d'opinion.
Mulino n'est pas inconnu de la sphère politique. Avocat de carrière, il a préalablement assuré les fonctions de ministre de la Sécurité, ministre des Affaires étrangères et ministre de la Justice. Sa popularité n'est pourtant pas due à ses précédentes fonctions, bien au contraire. Il peut d'ailleurs sembler difficile à concevoir que la population soit majoritairement favorable à un candidat dont le mandat comme ministre de la Sécurité est marqué par la répression politique à l'encontre des mobilisations sociales, dans les années 2010.
Le succès de Mulino provient plutôt de sa
proximité avec la figure la plus populaire du pays, l'ancien président
Martinelli. Si ce dernier était dans l'incapacité de se représenter à la suite
d'une condamnation pour blanchiment d'argent, il a fait de Mulino son successeur.
L'actuel président panaméen n'a donc pas tellement investi dans une campagne
politique combative et il s'est contenté de récupérer la base
électorale de son parrain politique. L'électorat de Martinelli est une minorité
consolidée qui a expérimenté la dynamique économique fructueuse lors de son
mandat (2009 – 2014). Mulino incarne le parti Realizando
Metas, fondé par son mentor.
Identifié par la presse internationale comme ambassadeur de la droite
conservatrice, il déclare se situer au centre-droit dans un pays où la gauche
politique est inexistante.
- Contexte des élections
Ces élections sont marquées par plusieurs crises exogènes. La sécheresse dévastatrice a réduit le trafic maritime dans le canal de Panama, impactant négativement les rentes. En 2023, un demi-million de migrants ont transité par le fameux bouchon du Darién, à la frontière entre la Colombie et le Panama en destination des États-Unis. Les sondages témoignent que la majorité de la population réclame une politique autoritaire de « mano dura » pour lutter contre la criminalité organisée. Elle demande également que la migration soit traitée comme un problème de sécurité publique, des valeurs qui font écho à celles de Mulino.
- Propositions de campagne
Le nouveau président a promis de rétablir les conditions socio-économiques propices à la croissance, comme sous le mandat de Martinelli. Pour atteindre son objectif, Mulino prévoit de créer des emplois, améliorer l'accès aux services publiques et améliorer les conditions sécuritaires du pays. Le projet d'agrandissement et de modernisation des infrastructures est un axe structurant de sa campagne. Le Panama est le seul pays d'Amérique centrale à bénéficier d'un métro, que le président souhaite agrandir. Il souhaite davantage de routes pour relier l'intérieur du pays à la capitale. En termes de politique extérieure, Mulino souhaite explorer la possibilité que son pays rejoigne le MERCOSUR, une initiative vivement soutenue par Lula.
- Les défis auxquels il est confronté
Les ambitions de rétablissement des conditions socio-économiques propices à la croissance se heurtent à un socle économique fiable et instable. Au Panama, près de 45% des emplois sont dans le secteur informel et le taux de chômage frôle les 10%. Si le PIB du pays est l'un des plus élevés de l'Amérique latine et centrale, c'est aussi l'un pays des plus inégalitaire au monde. Il est prévu que la croissance du PIB ralentisse, passant de 7,23 en 2023 à 2,5 en 2024 (données du FMI), en partie en raison de la fermeture d'une mine de cuivre et de la réduction du trafic maritime dans le canal de Panama. Mulino a explicitement manifesté le souhait d'arrêter les flux de migrants dans la région du Darien et de renvoyer les migrants dans leurs pays respectifs, dans le respect strict des droits humains. Cette ambition est un défi central, autant sur le plan technique que symbolique, qui s'inscrit dans la continuité de la problématique migratoire et sécuritaire si caractéristique de l'Amérique centrale. Mulino fait d'ores et déjà face à un défi d'envergure qui est celui de gouverner sans majorité législative, dans un pays en proie à la récession économique, aux mobilisations populaires et caractérisé par un paysage social fortement inégalitaire.