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La sécurité collective en Ukraine : facteurs d’échec du système de prévention de l’Organisation des Nations unies

21/07/2022

Par Maska Elmahjoub, docteur en sciences politiques et relations internationales


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Maska Elmahjoub, La sécurité collective en Ukraine : facteurs d'échec du système de prévention de l'Organisation des Nations unies, Institut d'études de géopolitique appliquée, 21 juillet 2022.


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Les guerres ont dilacéré l'humanité au point de devenir un problème central dans les rapports internationaux. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l'Organisation des Nations unies fut créée. Celle-ci est chargée de prévenir la guerre et de restaurer la paix. Ces objectifs étaient initialement ceux de la Société des Nations mais cette dernière n'avait pas pu concrétiser cet espoir. Pour apaiser les tensions, l'ONU mettait en place un système de sécurité collective plus inclusif.

La sécurité collective « vise à maintenir la paix à travers une organisation des États souverains qui s'engagent à s'allier contre toute attaque » [1]. C'est aussi « un engagement universel et réciproque de tous pour chacun et de chacun pour tous contre quiconque, parmi eux, mettrait en danger la sécurité commune. Elle prend appui sur la conviction que la sécurité internationale est un bien commun à tous les États : elle englobe tous les acteurs concernés et les inclut dans une gestion commune de la sécurité. La sécurité collective s'inscrit ainsi dans une démarche d'inclusion à laquelle échappe l'alliance militaire » [2].

L'alliance militaire peut dès lors se distinguer par le fait qu'elle est exclusive. Elle ne donne guère la possibilité à d'autres États - autres que ses membres - d'y adhérer. Il est fait une grande distinction entre d'une part les États membres et, d'autre part, les États tiers, perçus comme des conquérants, qui peuvent menacer les intérêts de ce groupe restreint. L'OTAN en est l'exemple. Cette organisation n'intervient militairement qu'en cas de menace visant la stabilité et la sécurité de ses membres. L'Ukraine n'est pas signataire du traité fondateur et une opération de défense collective ne peut être engagée, à moins que l'ONU délègue ses compétences opérationnelles à une force régionale qui répond au système d'alerte rapide qui demande le soutien ou le renfort d'une armée multinationale dont la doctrine voire l'équipement sont jugés à même d'imposer le cessez-le-feu.

Le système de l'ONU est plutôt inclusif, assuré par tous contre chacun, dans lequel la communauté internationale peut utiliser la force en cas d'atteinte à la paix et la sécurité internationales. Son système, tel qu'il a été conçu en 1945, repose sur deux principes : l'interdiction du recours à la force dans les relations internationales et l'obligation du règlement pacifique des différends.

L'interdiction de l'usage de la force vise à maîtriser l'emploi de la force et à établir une réglementation internationale de la violence. Celle-ci est devenue multiforme. Dans la période antérieure à l'élaboration de la Charte des Nations unies, il y a eu quelques tentatives peu concluantes de rédaction de textes en ce sens. La Charte consacre le principe de l'interdiction de l'usage de la force, qui est devenu une règle fondamentale dans les relations internationales contemporaines. C'est l'un des piliers du système de sécurité collective. Il a pour fondement l'article 2 paragraphe 4, lequel dispose : « les membres de l'organisation s'abstiennent dans leurs relations internationales , de recourir à la force ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout autre état, soit de toute autre manière incompatible avec tous les buts des Nations unies ».

L'interdiction du recours à la force armée est un principe de jus cogens [3] et sa violation représente une agression armée [4]. Afin d'épargner aux générations futures les affres de la guerre, l'organisation tente d'éviter les conflits à travers l'action préventive, sur laquelle s'appuie son action opérationnelle dans sa lutte pour la pacification des relations interétatiques.

La prévention est la pierre angulaire de la sécurité collective, en ce qu'« aucune tâche ne revêt autant d'importance pour l'ONU que la prévention et le règlement des conflits meurtriers » [5]. Il est moins couteux de prévenir que de guérir. Dans sa résolution 51/242 intitulée « Supplément à l'Agenda pour la paix », l'Assemblée générale de l'ONU a réitéré l'importance de mieux coordonner les mesures de prévention au sein du système des Nations unies. Cependant, la réaction de l'ONU vis-à-vis de l'escalade des hostilités dans un certain nombre de foyers de tensions est mitigée et la guerre russo-ukrainienne est un exemple manifeste qu'il n'y a pas de bonne planification, ni de bonne coordination entre les membres de l'organisation.

Le fiasco de l'ONU en Ukraine

L'action préventive de l'ONU connaît aussi bien des succès que des échecs. Elle peut amorcer le dénouement de certaines crises si certains facteurs sont réunis. Néanmoins, l'invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie marque un échec patent du système de sécurité collective, au moins dans sa phase actuelle.

La prévention proactive porte ses fruits lorsque les parties sont acquises à l'idée de la paix. Dans le cas Ukrainien, l'ONU a échoué à prévenir le déclenchement du conflit. Elle ne fut pas en mesure de mettre en place des plans de conciliation et de médiation.

Quant à la prévention réactive, l'ONU peut profiter, durant le déroulement des hostilités, du soutien indirect de l'opinion internationale et des médias internationaux, surtout lorsque les belligérants ont recours à des armes interdites. Cependant, les opinions publiques et les médias, bien qu'ils accroissent la pression sur les États, y compris sur les membres permanents du Conseil de sécurité, ne sont pas en mesure d'empêcher les violations du droit international. L'agresseur russe détient le droit de véto, ce qui dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne complique les tentatives du Conseil de sécurité.

Aujourd'hui, les Nations unies ne sont pas en mesure de permettre la fin des hostilités par un cessez-le-feu et par un retour à la table des négociations. Le droit de véto empêche en l'espèce le Conseil de sécurité de remplir sa mission principale, à savoir le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Qu'en est-il de la pratique Acheson ? Y-a-t-il une chance de l'appliquer dans le conflit en Ukraine ?

La pratique de la résolution Acheson et les opérations de paix robustes

Il est admis que les responsables de l'ONU doivent éviter les conflits. Ils aspirent à ce que les différends ne se transforment pas en conflits ouverts. Cette volonté a vu le jour suite à des changements remarquables au niveau du rôle des organes de l'ONU et de leurs stratégies, ceci à travers l'octroi d'un pouvoir décisionnel subsidiaire à l'Assemblée générale. Le rôle de ce dernier est devenu complémentaire du Conseil de sécurité, à partir de la résolution 377(V). Ce qui lui a permis de procéder à des actions préventives, sous la direction du Secrétaire général. Elle assurait des missions d'interposition en vue de prévenir l'extension d'un conflit dans l'attente d'un règlement diplomatique. De nos jours, l'ONU est en mesure d'intervenir d'une manière plus ou moins efficace pour protéger les civils à travers une nouvelle génération des opérations de maintien de la paix. La doctrine de l'organisation a changé pour remplir sa mission, l'adapter à l'évolution des opérations et au caractère ubiquitaire des conflits, ainsi que pour la rendre capable d'affronter le fléau de la guerre. Dans ce sens, une nouvelle philosophie s'est emparée de l'esprit de ses responsables qui vise surtout à doter les forces d'un pouvoir coercitif légal. Cela pourrait rendre ses soldats « en mesure d'affronter sur place les forces rémanentes de la guerre, avec les moyens et la volonté de les vaincre » [6]. C'est le maintien de la paix robuste dont la mise en place est nécessaire pour créer des zones de sécurité qui peuvent faire face à l'invasion Russe. Ce faisant, depuis le rapport Ibrahimi, les opérations de paix ont « tendance à être déployées dans des situations où la guerre n'avait apporté la victoire à aucun des protagonistes » [7]. Ceci dit, dans le contexte de la guerre en Ukraine, l'ONU doit engager une opération et pour que l'intervention soit efficace, les missions doivent s'efforcer d'être multilatérales. Les opérations avec une large représentation nationale seront toujours moins efficaces, mais la diversité est la clef de la légitimité. Aussi, l'action opérationnelle de l'ONU doit mettre en place un système d'échange de données d'expérience internationale, et un cadre d'action avec un début clair et un point final décisif.

Que l'ONU parvienne à désamorcer les crises et à assurer un retour à la normalité après l'épuisement des belligérants, cela semble compromis puisque la configuration du conflit prend la tournure d'affrontements sur le long terme. L'ONU ne peut pas œuvrer unilatéralement et elle dépend du soutien des membres permanents. Dans le conflit russo-urkrainien, l'une des parties au conflit, à savoir la Russie, est un membre permanent du Conseil de sécurité, ce qui rend l'ONU dysfonctionnelle en tant que forum de négociations.


[1] Roland N.Stromberg, Collective security , Encyclopedia of the New American Nation, Collective security Forum, 20017. Disponible sur le site suivant: https://www.americanforeignrelations.com/A-D/Collective-Security.html#ixzz4HEzF5q5V

[2] Alexandra de Hoop Scheffer, Alliances militaires et sécurité collective, contradictions et convergences, La Découverte, Paris, 2007. p. 1.

[3] « Aux fins de la présente Convention, une norme impérative de droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. » article 53 de la convention de Vienne.

[4] « La forme la plus grave et la plus dangereuse de l'emploi illicite de la force, qui renferme, étant donné l'existence de tous les types d'armes de destruction massive, la menace possible d'un conflit mondial avec toutes ses conséquences catastrophiques », préambule de la résolution 3314(XXIX) de l'Assemblée générale, §5.

[5] Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies (1997, 2006).

[6] A/55/305, S/2000/809 (Lettres identiques datées du 21 août 2000, adressées au Président de l'Assemblée générale et au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général).

[7] A/55/305 S/2000/809 (Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'organisation des Nations unies dit « rapport Brahimi »).