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La remise en cause du statut spécial de l'État Jammu-et-Cachemire

15/08/2019

Note rédigée par Aurélien Perrois, Délégué Asie des Ambassadeurs de la Jeunesse. Carte réalisée par Romain T. Bertolino, Directeur Général des Ambassadeurs de la Jeunesse.


Les 5 et 6 août 2019, le Premier ministre indien Narendra Modi ainsi que son gouvernement ont fait supprimer la disposition constitutionnelle accordant un statut spécial à l'État Jammu-et-Cachemire, partie du Cachemire historique administrée par l'Inde depuis 1947. Une promesse de campagne du parti ultraconservateur et hindou Bharatiya Janata Party (BJP) qui a remporté haut la main les élections du mois de mai, réduisant l'influence déjà amoindrie du parti d'opposition plus modéré.

Qu'est-ce que l'article 370 ?

Les résidents de cet État indien, à majorité musulmane, se sont longtemps opposés à la suppression des dispositions de l'article 370 (voulu par les nationalistes hindous depuis plus de 70 ans), une des conditions à laquelle une partie de l'État princier du Jammu-et-Cachemire (entité disposant à l'époque de l'entièreté du territoire cachemiri historique) avait accepté de rejoindre l'Inde lors de la partition d'après-guerre avec le Pakistan. À travers cet article, l'État indien actuel du Jammu-et-Cachemire était assuré d'avoir sa propre Constitution ainsi que des droits exclusifs dans tous les domaines hormis les affaires étrangères, les communications et la défense. Constitution complétée par la suite avec l'article 35A, une disposition ajoutée en 1954 qui habilite le Parlement de l'État en question à accorder des droits et privilèges spéciaux aux résidents permanents.

Quels effets pour les populations locales ?

À travers cette modification des statuts, l'État du Jammu-et-Cachemire serait désormais divisé en deux parties. D'un côté les zones administratives du Jammu (à majorité hindoue) et de Cachemire (à majorité musulmane) se retrouveraient associées au gouvernement de New Delhi tout en ayant une assemblée locale. De l'autre, Ladakh (à majorité bouddhiste; et initialement partie intégrante de l'État bien que son nom n'y soit pas indiqué) serait lui-aussi entre les mains de Delhi, mais sans avoir la possibilité de créer une législature locale [1].

Pour les habitants locaux, outre le changement majeur dans leur appartenance régionale, cela signifie aussi que les Indiens non-locaux pourront désormais acquérir des terres au même titre qu'eux. Dans un contexte de tensions religieuses et ethniques, l'arrivée de colons pourrait provoquer un exode des populations locales : une situation qui pourrait vite dégénérer.

Quelles sont les conséquences diplomatiques ?

Cette situation radicale fait des remous à l'étranger, particulièrement auprès des puissances nucléaires voisines qui se disputent cette région du monde au cœur de l'Himalaya.

D'un côté la Chine, à travers le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hua Chunying, voit la décision du gouvernement indien comme une attaque qui « porte atteinte à sa souveraineté territoriale » [2]. En effet, Beijing perçoit en la région majoritairement bouddhiste de Ladakh une base d'influence avancée dans une zone d'importance stratégique. Cette frontière disputée est ainsi un enjeu à la fois pour le développement économique vers l'ouest de l'empire du Milieu, mais aussi pour sa sécurité du fait de sa jonction avec ses territoires du Tibet et du Xinjiang.

De l'autre, le Pakistan, pays avec lequel l'Inde se dispute le Cachemire depuis 1947 et pour lequel trois guerres ont eu lieu, a annoncé le 7 août 2019 plusieurs mesures fortes de rétorsions. En premier lieu, le Ministre des Affaires étrangères a déclaré que l'ambassadeur indien à Islamabad allait être expulsé, et que le nouvel ambassadeur du Pakistan à New Delhi n'irait pas rejoindre son poste. Ces actions purement politiques sont ensuite renforcées par une sanction économique : la suspension du commerce entre les deux États. Enfin, la question de la mesure prise par le gouvernement indien sera soulevée devant le Conseil de sécurité des Nations Unies aussi tôt que possible [3].

La modification est-elle finale ?

La mesure doit encore être approuvée constitutionnellement et la nécessité d'un jugement de la Cour suprême sur sa légalité devrait retarder la mise en œuvre de celle-ci. En outre, plusieurs actions légales peuvent être entreprises par les divers groupes opposés au gouvernement (parti d'opposition, ONG, associations locales, etc.).

Des risques ?

Beaucoup de spécialistes de la région et de médias parlent d'un risque d'embrasement élevé dans une région déjà en proie à de nombreux affrontements journaliers entre les militaires indiens et les rebelles locaux et où les droits de l'Homme sont souvent bafoués. C'est d'ailleurs ce que le gouvernement craint avec l'envoi de plusieurs milliers de troupes ainsi que la mise en place d'un confinement (couvre-feu, barrages, blocage des communications) afin d'empêcher la tenue de manifestation ou d'attaques de militants rebelles cachemiris.

Cependant, la présence de renforts de l'armée indienne ne devrait permettre qu'un maintien de l'ordre momentané. À moyen et long-terme, nous pouvons aisément imaginer une hausse du nombre d'attaques de militants cachemiris dans un style de résistance « à la palestinienne », surtout si le Pakistan décide d'assister plus généreusement ceux-ci.

Pour aller plus loin...

Dans les archives de La Documentation Française, l'article intitulé « La question du Cachemire » (01/03/2007) résume parfaitement le contexte histoire et géopolitique de la région [4]


[1] : Franceinfo avec AFP, « Que signifie la fin de l'autonomie du Cachemire décidée par le gouvernement indien ? », Franceinfo, 06 août 2019, https://www.francetvinfo.fr/monde/inde/cinq-questions-sur-la-fin-de-l-autonomie-du-cachemire-decidee-par-le-gouvernement-indien_3566621.html

[2] : Reuters, «Factbox: Kashmir's history - India's revoking of special status in context », Reuters, 5 août 2019, https://www.reuters.com/article/us-india-kashmir-factbox/factbox-kashmirs-history-indias-revoking-of-special-status-in-context-idUSKCN1UV0RK

[3] : Al Jazeera and news agencies, «Pakistan to downgrade ties with India over Kashmir move», Al Jazeera, 7 août 2019, https://www.aljazeera.com/news/2019/08/pakistan-downgrade-ties-india-kashmir-move-190807134255247.html

[4]https://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/inde-pakistan/cachemire.shtml