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La crise au sujet de l’Ukraine : des enjeux multidimentionnels à l'échelle européenne

09/02/2022

Actualisé le 24/02/2022

Par Alexandre Negrus, président de l'Institut d'études de géopolitique appliquée


www.pixabay.com
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Les déplacements du président français Emmanuel Macron, qui s'est rendu à Moscou puis à Kiev, ne doivent pas susciter d'émotions excessives. Il est évident que ces déplacements étaient nécessaires et représentent une initiative diplomatique importante. Quand un rapport de force est engagé, il faut y répondre et savoir dialoguer avec son interlocuteur. Il convient toutefois de rester lucides sur les résultats, puisque les clefs de résolution de la crise ne sont pas dans les mains des européens. L'exécutif français le sait. 

La crise au sujet de l'Ukraine, un renforcement de la solidarité autour de l'alliance atlantique?

Si le concept d'autonomie stratégique ne fait pas l'unanimité dans les pays membres de l'Union européenne, il a toutefois été reconnu dans un certain nombre de textes européens officiels. Cette autonomie stratégique, pour devenir concrète, doit désormais se matérialiser dans les faits. La crise au sujet de l'Ukraine rappelle froidement la distinction entre « gestion de crise » et « défense collective ». Pour la première, l'Union européenne peut intervenir et en a les capacités. La seconde, qui consiste à dissuader et à éventuellement intervenir militairement de façon robuste, est du ressort de l'OTAN. La politique de défense européenne ne peut s'inscrire dans cette logique d'intervention militaire, ce qui renforce mécaniquement la solidarité des européens autour de l'alliance atlantique pour la sécurisation du flan oriental de l'Europe et même le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz, qui avait refusé de livrer des armes à l'Ukraine tout en se montrant discret sur le sort du gazoduc Nord Stream 2 en cas d'attaque de l'Ukraine, s'est finalement davantage investi.

Les tensions à la frontière de l'Ukraine représentent un enjeu majeur pour l'Europe. La question qui doit être posée en l'espèce n'est pas « envahira ? », « n'envahira pas ? ». En réalité, personne ne pouvait prétendre savoir et anticiper ce que souhaitait faire le président de la Fédération de Russie. Il s'agit davantage de comprendre les conséquences du spectre d'une guerre territoriale et d'un changement de frontière par la force puis d'envisager les conséquences à plus long terme de cette séquence diplomatique. Vladimir Poutine cherche à arrêter l'élargissement de l'OTAN et souhaite peser sur les questions de sécurité européenne. Sa stratégie pour y parvenir ? Faire de l'Ukraine une zone tampon. Cette stratégie présente toutefois des limites et les autorités russes en ont conscience. Ce qui ne les empêche pas de franchir les lignes rouges.

Si Moscou savait que les demandes formulées ne pourraient recevoir de suites favorables, elle pourra avoir comme élément de satisfaction d'avoir amené les Américains à la table des négociations sur un sujet qu'ils n'avaient pas forcément prévu dans leurs échéances diplomatiques, dans une période charnière ils souhaitent poursuivre leur implication dans l'Indopacifique, zone fondamentalement stratégique pour les Etats-Unis. Ces derniers cherchent, par leur posture et la rhétorique employée à l'égard de la Russie, à rassurer les Etats européens les plus proches de l'OTAN, à savoir les Etats d'Europe centrale et orientale. En tout état de cause, c'est un test pour l'administration américaine sur sa capacité à gérer une crise majeure avec la Russie.

Moscou, en formulant des demandes qu'elle savait inaccessibles, cherche par ailleurs à obtenir des concessions sur d'autres dossiers. Il en va ainsi de la consolidation de ses acquis dans le Donbass. Après avoir soutenu les séparatistes pro-russes du Donbass en 2014 dans l'établissement des deux républiques populaires, Vladimir Poutine a reconnu l'indépendance des séparatistes puis a annoncé l'envoi de blindés pour y maintenir la paix. Un véritable processus de déstabilisation, laissant craindre une volonté de progresser par des gestes militaires, ce qui finalement été le cas après de longues semaines d'incertitudes. La Fédération de Russie cherche aussi à s'imposer dans les négociations en matière de contrôle des armements, figurant parmi les contre-propositions américaines.

La nécessité de développer une stratégie face aux menaces de guerres hybrides

Si la Russie déploie des dizaines de milliers de troupes aux frontières de l'Ukraine, il est impératif d'avoir conscience des menaces d'actions hybrides et de déstabilisation par d'autres moyens. La Russie est d'ailleurs bien plus encline à performer en la matière, bien que militairement elle ait renforcé ses capacités. La Russie a, ces dernières années, renforcé sa puissance en investissant dans la modernisation de ses équipements et dans la préparation de son armée au combat. Mais elle n'est toujours pas complètement apte à combattre de manière adaptée dans les configurations des conflits contemporains.

Bien qu'une action militaire ait été engagée en Ukraine par les autorités russes, il convient de préciser que l'Ukraine est davantage expérimentée que par le passé et l'effet de surprise que Moscou cherchait initialement est amoindri. Malgré cela, en intervenant, la Russie s'expose à une résistance solide qui causerait un certain nombre de pertes si elle venait à s'engager durablement au sol. Ce serait également une opération de facto coûteuse mais les événements récents nous démontrent que tout est possible.