Chine - États-Unis : des tensions à l’apaisement ?
Par Nicolas Driouech, responsable du département Amérique du Nord de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.
Citer cette publication
Nicolas Driouech, Chine - États-Unis : des tensions à l'apaisement ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 20 février 2024.
Avertissement
Les propos exprimés n'engagent que la responsabilité de l'auteur.
L'image d'illustration est libre de droits.
Le 15 novembre 2023, Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping se rencontraient à Woodside, en Californie, pour la première fois depuis 2022 et le sommet du G20. Cette rencontre a permis aux leaders des deux premières puissances mondiales d'échanger sur de nombreux sujets. Les deux dirigeants ont appelé de vive voix à la stabilité dans les relations politiques et économiques entre les deux pays. Pourtant, Joe Biden n'a pas hésité à qualifier le président chinois de « dictateur » lors d'un point presse dans les jours qui ont suivi la rencontre, sous le regard circonspect du secrétaire d'État Antony Blinken. Cette sortie médiatique souligne la complexité des rapports qui subsistent entre les deux géants mondiaux.
Un an après leur dernière rencontre en Indonésie, Joe Biden et Xi Jinping se retrouvaient lors du sommet de la coopération économique pour l'Asie-Pacifique, terme d'une longue série de rencontres entre officiels américains et chinois qui ont amorcé une reprise des échanges diplomatiques. La position ambiguë de la Chine sur certains dossiers pousse l'administration Biden à s'en rapprocher afin de la rallier à sa cause.
Qu'attendre de la rivalité sino-américaine en 2024 ?
L'année 2023 a été sans répit pour les grandes puissances sur la scène internationale. Les tensions entre Pékin et Washington s'inscrivent dans un contexte géopolitique sensible. Dès le début de l'année 2023, la présence d'un ballon espion chinois dans l'espace aérien états-unien avait provoqué l'ire de la classe politique outre-Atlantique puis conduit à sa destruction par les forces américaines. Les tensions en mer de Chine méridionale et plus particulièrement autour de Taïwan n'ont cessé d'être exacerbées par les positions conflictuelles qu'entretiennent les deux puissances au sujet de l'île.
La situation à Taïwan constitue l'un des plus grands enjeux stratégiques dans la rivalité qui oppose Pékin et Washington. L'île se situe au centre d'archipels qui barrent l'accès de la Chine aux grands espaces maritimes, entre le Japon et les Philippines, tous deux alliés des États-Unis [1]. La posture de plus en plus autoritaire voire belliqueuse du président Xi Jinping éveille les craintes du rival américain, lequel entretient des relations privilégiées avec Taipei. Les États-Unis condamnent les velléités chinoises et fournissent à Taïwan le soutien militaire nécessaire pour que la province insulaire assure sa propre défense. Pour autant, il est difficile d'envisager la réaction qu'aurait l'administration au pouvoir en cas d'attaque de la Chine sur le territoire taïwanais. Entre les 4 et 7 août 2022, Pékin avait rapproché de manière inédite ses zones d'exercices militaires à munition réelles, au large des côtes taïwanaises. De nombreux missiles en direction des eaux territoriales taïwanaises avaient été tirés depuis la Chine continentale, sans toutefois les atteindre. Depuis, les démonstrations de force se multiplient [2].
L'élection présidentielle taïwanaise de janvier 2024 était très attendue. L'opposition entre Lai Ching-te, candidat investi par le parti au pouvoir et finalement élu, et Hou Yu-ih, candidat du Kuomintang (KMT) promettait de faire bouger les lignes en fonction du résultat final. Une victoire du Kuomintang, parti favorable à un rapprochement avec Pékin, aurait pu souffler sur les braises et avoir un impact négatif sur la situation conflictuelle qui subsiste entre les deux rives du détroit.
Outre la situation géopolitique dans les eaux de la mer de Chine méridionale, l'une des particularités de la rivalité systémique entre la Chine et les États-Unis réside dans la dépendance mutuelle entre les deux puissances économiques commerciales. Pékin fut en effet pendant longtemps le premier partenaire commercial de Washington et vice versa. Un changement manifeste est toutefois intervenu à l'été 2023. Le Mexique, pays signataire de l'ALENA jusqu'à la dissolution de 2020, est redevenu le premier partenaire commercial des États-Unis à l'aune de chiffres calculés sur une période de douze mois, c'est-à-dire entre les mois de juillet 2022 et juillet 2023. Outre son poids dans le classement de leurs partenaires commerciaux, les États-Unis tentent de limiter l'influence qu'a la Chine sur leur propre production. À titre d'exemple, nous pouvons mentionner le projet de transférer les chaînes d'approvisionnement américaines de Chine aux pays voisins qui ont des rapports « amicaux » avec Washington. Ce projet fait référence au concept de « découplage conscient », lequel fut intronisé par Gwyneth Paltrow en 2014. Il se caractérise par une baisse des importations américaines de produits manufacturés provenant d'Asie. Selon des chiffres avancés par Mike Bird, le pourcentage de ce type d'imports depuis la Chine a baissé de 15 points entre 2018 et 2022, la Chine ne totalisant plus qu'un résultat total de 50% au lieu des 65% initiaux [3]. Cela étant dit, il est quand même difficile pour Washington de se séparer complètement de la production chinoise malgré ses nouveaux partenaires commerciaux et les différents outils utilisés pour se détacher de sa dépendance à son rival.
Dans le domaine des technologies critiques, Chine et États-Unis se livrent une lutte sans merci pour le leadership dans ce secteur clef. Le bras de fer entre les deux puissances voit la Chine se rapprocher voire dépasser les États-Unis dans certains secteurs. En 2023, la Chine était déjà leader dans 37 des 44 domaines recensés par l'Australian Strategic Policy Institute [4]. La Chine est en effet en pole position dans le secteur des matériaux avancés (impression 3D, revêtements), de l'intelligence artificielle (communication radio et optiques avancés, cybersécurité), de l'énergie (batteries électriques, photovoltaïque, recyclage des déchets nucléaires) ou encore de la défense (robotique avancée, robots collaboratifs). Face à cette montée en puissance de Pékin, les sénateurs américains ont réagi en mars 2023 en élaborant un projet de loi, le RESTRICT Act, visant à interdire sur le territoire américain toutes technologies d'information et de communication de pays étrangers rivaux tels que la Chine [5]. Déjà, en 2022, Washington avait restreint les exportations de semi-conducteurs vers la Chine, privant ainsi son rival d'un élément indispensable pour le développement de l'IA. Cette lutte à couteaux tirés pourrait se poursuivre en 2024, notamment si le RESTRICT Act ou toute autre loi similaire venait à être adopté par la chambre haute du Congrès. Au-delà des restrictions, la multiplication des sanctions imposées par les États-Unis est un frein réel pour l'économie chinoise [6].
Enfin, l'Armée populaire de libération (APL) a effectué, en novembre 2023, les premiers essais en mer de son premier porte-avions géant, le « Fujian ». Premier porte-avions de conception entièrement chinoise, ce navire vient s'ajouter à l'arsenal de la marine chinoise, laquelle, selon certains experts américains, aurait déjà surpassé l'U.S. Navy. De manière générale, l'APL se dote de capacités de projections toujours plus importantes qui lui permettent de réduire l'écart qui la sépare de l'U.S. Air Force. S'il est difficile de se fier aux chiffres officiels du budget militaire chinois, il convient de noter la hausse significative qui s'est opérée lors de la dernière décennie en matière de dépenses dans ce secteur. Lors de la période 2019-2023, la Chine a augmenté son budget de défense d'environ 30 milliards de dollars. Cette politique massive visant à renforcer son armement ne saurait cacher les intentions militaires du régime chinois. Elle conditionne également un lent rapprochement avec les États-Unis, ces derniers étant largement au-dessus du niveau de dépenses de la Chine (877 milliards de dollars contre 292 milliards). Elle s'inscrit, de manière plus générale, dans une augmentation mondiale des dépenses militaires.
[1] Valérie Niquet, Taïwan face à la Chine. Vers la guerre ?, Tallandier, 2022, pp. 13-14.
[2] Voir carte dans le Hors-Série du Monde, « Un monde fracturé », p. 26.
[3] Mike Bird, "Conscious decoupling", The World Ahead 2024, The Economist, novembre 2023, p.110.
[4] Infographie pages 32-33 dans le hors-série Chine. Le temps de l'affrontement, Le Point « Géopolitique », 2023.
[5] https://www.congress.gov/bill/118th-congress/senate-bill/686
[6] In La Chine va-t-elle dominer le monde ?, Alternatives économiques, n. 442, janvier 2024, p. 27.