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Les relations diplomatiques sino-américaines. Quelle impulsion avec l’administration Biden ?

11/05/2021

Constance Rousselle, chargée d'études au sein de la Direction générale de l'Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, s'est entretenue avec Jean-Philippe Béja, directeur de recherche au CNRS et chercheur au CERI de Sciences Po, spécialiste de la politique chinoise.

Comment citer cet entretien

Jean-Philippe Béja « Les relations diplomatiques sino-américaines. Quelle impulsion avec l'administration Biden ? », Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, Mai 2021. URL : cliquer ici


Les sujets de tensions se multiplient depuis quelque temps entre la Chine et les États-Unis : appel au boycott de TikTok ou Huawei, guerre économique, question du respect des droits de l'Homme... Les sujets de discorde sont variés et révèlent la complexité de cette relation.

(Lintao Zhang/Reuters)
(Lintao Zhang/Reuters)

La question de Taïwan a toujours été un sujet épineux. Initialement, les États-Unis fournissaient une assistance militaire à l'île nationaliste, mais cela a entraîné de vives protestations de la part de Pékin. Les États-Unis ont alors accepté de ne pas vendre à long terme des armes à Taïwan et prônent le statu quo. Le statut de Taïwan, que la Chine considère comme partie intégrante de son territoire, est un des principaux points de conflit entre les États-Unis et la Chine. En janvier 2021, l'ex Secrétaire d'État américain Mike Pompeo avait annoncé la levée des restrictions qui avaient été imposées aux responsables américains en contact avec leurs homologues taïwanais, ce qui n'a pas manqué d'être perçu par la Chine comme une provocation de plus. La question de Taïwan pourrait-elle entraîner une escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine ?

En réalité, les relations entre les États-Unis et la Chine ont été rétablies en 1971/1972 avec le voyage du président américain Richard Nixon à Pékin. Pour les États-Unis, alors englués dans la guerre du Vietnam, se rapprocher de la Chine permettait d'affaiblir le parti communiste vietnamien et son soutien soviétique. On peut donc dire qu'il y avait une certaine alliance de fait, qui a par la suite a été concrétisée en 1979 avec l'établissement des relations diplomatiques. De 1971 à 1989 au moins, les relations entre les États-Unis et la Chine ont été plutôt bonnes. La question de Taïwan revient lors des moments de tensions entre les deux grandes puissances. Formellement, les dirigeants chinois se sont toujours opposés à une reconnaissance officielle de Taïwan, mais en réalité, depuis les années 1980, il y a eu de nombreux contacts directs entre Taïwan et Pékin, ce qui aurait été inimaginable du temps de Mao Zedong. Taïwan n'a donc pas toujours été la pomme de discorde entre la Chine et les États-Unis. En ce moment, c'est parce qu'il y a des tensions entre les deux pays que la question de Taïwan revient sur le tapis. Xi Jinping souhaite « réunifier la Chine », mais il convient de rappeler que Taïwan n'appartenait pas à la Chine jusqu'à la dynastie des Qing, qui du reste, n'était pas chinoise mais mandchoue. Ainsi, l'idée que Taïwan appartient de tout temps à la Chine est un mythe. Dans le contexte de tensions entre la Chine et les États-Unis, le président américain Donald Trump a resserré les relations avec Taïwan parce qu'il n'est pas parvenu à s'entendre avec Xi Jinping, et non pas l'inverse. 

Contrairement à ce qu'on affirme souvent, Taïwan n'a pas toujours été au centre des relations sino-américaines : c'est seulement lorsque les relations entre les États-Unis et la Chine sont tendues que cette question revient sur le devant de la scène.

La rivalité entre les États-Unis et la Chine se cristallise aussi autour de Hong-Kong. En 2019, lors des manifestations pro-démocratiques à Hong Kong, Donald Trump a décidé de signer une loi en faveur des manifestants, ce qui n'a bien sûr pas plu à la Chine, qui a riposté en appliquant des sanctions à l'exécutif américain. Plus récemment, en janvier 2021, en réponse à l'arrestation de militants hongkongais pro-démocratie, les États-Unis ont imposé des sanctions à six responsables chinois ou hongkongais. Quel intérêt représente Hong Kong pour les États-Unis ?

Tout d'abord, Hong Kong est une importante place financière puisqu'elle était la troisième au monde. La plupart des contrats entre les multinationales et leurs partenaires chinois sont signés à Hong-Kong car la Région administrative spéciale dispose d'un système judiciaire indépendant. L'autonomie de Hong Kong était donc un élément indispensable pour les États-Unis car la plupart des multinationales sont américaines. Cependant, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de liberté politique à Hong-Kong que celles-ci partiront, elles partiront seulement si le judiciaire est totalement dépendant du pouvoir.

Avec la loi de sécurité nationale et la réforme du système électoral de Hong-Kong, la Chine viole les engagements qu'elle avait pris dans la déclaration conjointe sino-britannique de 1984 et dans la loi fondamentale qui régit le fonctionnement de Hong-Kong adoptée en 1990. La Chine montre qu'elle aussi peut violer des accords. Souvenons-nous que le président américain Donald Trump a eu une attitude fluctuante par rapport à Hong-Kong. En effet, au moment des premières manifestations du 09 juin et du 16 juin 2019, il a affirmé qu'il s'agissait d'une affaire intérieure de la Chine et qu'il faisait confiance à Xi Jinping pour la régler. Cependant, il s'est rendu compte des désavantages qu'entrainerait la suppression des avancées démocratiques de Hong-Kong. Il a alors accepté de signer le Hong-Kong Relations Act. 

L'importance de Hong Kong n'est toutefois pas uniquement économique : la région a toujours été une sorte de laboratoire de l'avenir de la Chine, ainsi qu'un refuge pour les forces politiques persécutées sur le continent. Si ce laboratoire disparaît, la réflexion sur l'avenir de la Chine sera d'autant plus affaiblie.

Par ailleurs, la perte d'autonomie de Hong-Kong serait aussi une perte pour Pékin, car dans une période de tension et de guerre commerciale comme actuellement, ce territoire qui dispose d'une autonomie douanière permet à la Chine de contourner les sanctions. Si son autonomie n'est plus reconnue, cela entraînera une perte économique très nette pour la Chine, mais ce n'est pas ce qui importe le plus à Xi Jinping.

La mer de Chine méridionale est également un sujet de tension récurrent entre les États-Unis et la Chine. Les États-Unis s'opposent en effet aux revendications territoriales chinoises dans cette zone. Pourquoi la mer de Chine méridionale est-elle tant convoitée par la Chine et quelles sont les actions des deux puissances dans cette zone ? Les tensions pourraient-elles dégénérer ?

En chinois, la mer de Chine n'est pas appelée « mer de Chine » mais « mer du sud » simplement. La mer de Chine est importante car le pétrole qui vient du Moyen-Orient vers le Japon passe par là. Si elle venait à être entièrement contrôlée par la Chine, ce serait très mauvais pour le Japon et pour d'autres pays d'Asie du Sud-Est comme le Vietnam, la Malaisie, ou les Philippines. Les États-Unis se sont posés en protecteurs du Japon mais aussi des pays de l'ASEAN. Ces derniers sont inquiets des tensions en mer de Chine méridionale car ils ne sont pas très forts militairement et ils ne veulent donc pas prendre position pour ne pas être les victimes de cette tension. Les Français ont également envoyé des navires pour des manœuvres. Il s'agit donc d'une zone où les tensions sont très fortes, et lorsqu'il y a des tensions il y a toujours des risques de dérapage. De plus, Taïwan est au centre de cette mer de Chine du Sud.

Le président américain Donald Trump a décidé de résister aux ambitions chinoises, au cours des deux dernières années de son mandat, et il existe aujourd'hui un consensus bipartisan aux États-Unis sur ce sujet. 

La différence entre Donald Trump et Joe Biden c'est que Biden, au contraire de Trump, cherche à mobiliser ses alliés dans son combat et à leur donner une certaine voix. La première personne que Joe Biden a reçue est d'ailleurs Yoshihide Suga, le premier ministre japonais.

L'Union européenne a décidé le 22 mars 2021 de sanctionner quatre dirigeants de la région du Xinjiang et une entité. Suivant cette décision, les États-Unis ont annoncé des mesures similaires. De plus, l'ex secrétaire d'État américain Mike Pompeo avait annoncé que les États-Unis considèrent désormais que la Chine commet un génocide contre les minorités dans la région du Xinjiang. Quelles autres sanctions ont été prises par les États-Unis contre la Chine sur ce sujet et comment les États-Unis pourraient-ils réagir si la Chine ne prend pas en compte ces avertissements ?

En réalité, les premières sanctions avaient été américaines, car les États-Unis avaient déjà ciblé un certain nombre de dirigeants du Xinjiang - sans cibler d'ailleurs le secrétaire du comité du parti de la région autonome, ce qui est quelque chose de très étonnant. Ce qui est remarquable c'est la réaction de la Chine aux sanctions européennes car elle a été beaucoup plus forte que vis-à-vis de la Grande-Bretagne et du Canada. Les sanctions américaines ont visé un certain nombre de responsables chinois du Xinjiang et de Hong-Kong. Cependant, ce n'est pas le gouvernement américain qui a appelé au boycott du coton du Xinjiang, cela résulte de la pression de la société civile sur les multinationales du textile. En dehors des sanctions, ce qui est le plus visible c'est que les États-Unis cherchent à renforcer leurs relations avec Taïwan. Rappelons du reste que c'est une entreprise taïwanaise qui est le principal fabricant de puces au monde.

Quelle sera la politique de Joe Biden concernant la Chine ? Continuera-t-il la guerre économique lancée par son prédécesseur Donald Trump ?

Au niveau stratégique, aux États-Unis, il y a ce consensus bipartisan sur le danger que la Chine fait courir aux États-Unis. La politique de Joe Biden consiste à renforcer les États-Unis plutôt qu'à affaiblir la Chine, et il souhaite mobiliser ses alliés. Le président Joe Biden aura, je pense, une politique beaucoup plus dure que lorsqu'il était vice-président et donc plus dure que la politique d'Obama. Cette politique sera sans doute aussi ferme que celle de Donald Trump mais sera beaucoup plus prévisible. 

Il y aura probablement des tensions dans les négociations, mais il semble aujourd'hui que sur les questions du Xinjiang, de Hong Kong et peut-être aussi des droits de l'homme en Chine, le président Biden soit beaucoup plus ferme et solide que Trump. 

Il semble qu'actuellement il n'est pas prêt à être flexible juste pour obtenir un avantage économique. À court terme, je pense donc que Joe Biden continuera à mener une politique de fermeté vis-à-vis de la Chine, et qu'il continuera à mobiliser ses alliés. Il faut aussi considérer ce qui se passera lors du vingtième congrès du parti communiste chinois en 2022, pour voir si Xi Jinping sera reconduit au poste de secrétaire général. Cela aura naturellement des conséquences très importante sur la politique américaine vis-à-vis de la Chine.