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Le jihad en France (2012-2022)

17/11/2022

Recension effectuée par Manon Chemel, responsable du département radicalisation et terrorisme de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.

La recension n'engage pas la responsabilité de l'auteur de l'ouvrage. 


Ouvrage écrit par Alexandre Rodde, paru aux éditions du Cerf, (Paris, 2022) 471 pages.


À propos de l'auteur

Diplômé de la George Washington University Law School, Alexandre Rodde est consultant sûreté et chercheur, spécialisé sur les questions de terrorisme. Il intervient auprès des unités d'intervention de la Gendarmerie et de la Police nationale depuis plusieurs années. Il a publié de nombreux articles universitaires ainsi qu'un précédent ouvrage sur les tueries de masse en milieu scolaire.

À propos du contenu de l'ouvrage

L'ouvrage d'Alexandre Rodde, « Le jihad en France : 2012 - 2022 » dresse un panorama très complet de l'évolution de la menace terroriste en France, avec la nouvelle vague amorcée en 2012 par Mohamed Merah, jusqu'à aujourd'hui.

Une partie des éléments du livre provient d'entretiens réalisés par l'auteur avec des professionnels du domaine de la sécurité/défense et des secours (policiers, gendarmes, pompiers, militaires et médecins) qui, par leur expérience ont livré leur expertise et leur vécu des attaques survenues ces dix dernières années.

L'ouvrage démontre parfaitement l'évolution de la menace terroriste ainsi que la dangeureuse capacité d'adaptation des jihadistes.

Bien que la France ait été épargnée de 1996 à 2012 par les attaques terroristes sur son sol, l'année 2012 marque, avec les attentats perpétrés par Mohamed Merah, le retour d'une nouvelle vague terroriste en France - menace qui ne cessera de prendre de l'ampleur les années suivantes.

Comme l'explique l'auteur « après seize années sans avoir été visée, la France renoue avec le jihadisme lors des attaques de Mohamed Merah. Trois attentats sur une période de huit jours, menant à la mort de sept personnes, sont un signal fort que les efforts de la mouvance salafiste ont payé sur le sol national ».

Alexandre Rodde démontre parfaitement au fil de l'ouvrage comment la menace terroriste, à la fois protéiforme et évolutive, a pris de l'ampleur tout en se transformant dans le temps.

Tout en décrivant les différents attentats commis sur le sol français, le livre évoque les parcours de vie des différents groupes et individus ayant fomenté ou exécuté une action violente en France. Alexandre Rodde retrace par exemple le parcours radical du terroriste Mohamed Merah, avec des détails précis sur son parcours de vie, ses voyages, l'influence de son frère et la taqiyah (dissimulation) qu'il a mise en œuvre pour tromper les services de renseignement.

L'auteur met également en exergue la stratégie de la propagande amorcée par Merah et l'impact médiatique qui découle des attaques. Les répercussions d'un attentat et les retombées médiatiques participent de facto à inciter d'autres sympathisants à la mouvance djihadistes à passer à l'action. Comme le démontre l'auteur, le terroriste Mehdi Nemmouche a décidé de passer à l'action en commettant l'attentat au Musée juif de Bruxelles, ayant fait 4 morts, après avoir été inspiré par l'action de Mohamed Merah.

Avec l'avènement de l'internet et des différents réseaux sociaux, la menace terroriste prend une ampleur considérable. L'auteur met également en exergue les nouveaux vecteurs de radicalisation à la faveur des différents réseaux sociaux et messageries cryptées qui jouent un rôle à la fois opérationnel, de recrutement et de communication.

Cette communication de masse va encourager de nombreux individus à rejoindre la zone irako-syrienne près des groupes terroristes.

Comme l'explique Alexandre Rodde « avant 2012, rejoindre un sanctuaire jihadiste à l'étranger n'était possible que pour une minorité de jihadistes disposant de recommandations et d'un réseau international développé »[1]. Pour la majorité des islamistes, un séjour à l'étranger se résumait à étudier l'islam ou l'arabe en Egypte ou au Maghreb[2].

Dès 2013-2014, le groupe Etat Islamique va parvenir à se sanctuariser et créer un proto-Etat qui permettra aux combattants d'acquérir les rudiments nécessaires à la guerre et fomenter des actions violentes depuis le théâtre syro-irakien.

La menace projetée (lorsque le groupe envoie, depuis la zone irako-syrienne, des opérateurs pour frapper le sol européen) est de plus en plus prégnante au sein du territoire français.

De février à octobre 2015, la France subit la première période du jihad d'ampleur - l'Hexagone ayant été désigné comme cible prioritaire par l'Etat Islamique. Ce choix s'explique par plusieurs facteurs comme l'explique Alexandre Rodde : « l'organisation dispose en France et en Belgique de relais qui peuvent faciliter la préparation et l'organisation de ces attaques. C'est donc une combinaison de facteurs stratégiques (haine de la France, opposition à la coalition militaire qu'elle dirige...) et pratiques (accessibilité et relais locaux) qui va motiver les attentats ». [4]

En 2017, l'Etat Islamique perd son emprise territoriale avant de perdre son dernier bastion en 2019. Il se retrouve incapable de projeter des opérateurs sur le sol européen laissant place à un jihad essentiellement organisé depuis le sol national. Par ailleurs, selon l'auteur, « la chute du califat a revigoré les assauts des jihadistes contre le pays qu'ils considèrent responsable, la France »[3]. Cette période marque l'avènement d'une menace endogène portée par des acteurs présents en France et n'ayant jamais rejoint la zone irako-syrienne.

En outre, la menace terroriste liée à des actions projetées n'est plus et l'on évoque une « menace inspirée » lorsqu'un individu agit par lui-même sans soutien logistique de la part d'un groupe terroriste mais répondant à la propagande véhiculée par l'Etat Islamique [5]. Bien qu'il puisse exister des échanges entre des combattants en zone irako-syrienne et le terroriste, cela n'influe pas l'organisation de l'attaque.

Les sympathisants au jihad se retrouvent dès lors sans véritable direction tout en conservant l'envie de passer à l'acte. On passe généralement à un terrorisme low cost avec des armes rudimentaires comme des armes blanches.

Après les revers essuyés par le groupe Etat Islamique et la perte de son dernier bastion à Baghouz en 2019, l'attention des services de renseignement se porte essentiellement sur le retour des combattants « revenants de Syrie » ayant pu acquérir sur zone un véritable savoir-faire militaire combinant techniques de guerre, maniement des armes et utilisation d'explosifs.

La prison demeure quant à elle un incubateur qui ne réduit en rien la dangerosité ni l'idéologie radicale des individus incarcérés pour terrorisme.

Outre la détection des personnes radicalisées et la mise en œuvre de dispositifs pour empêcher les passages à l'acte, l'autre défi pour les services de renseignement est la gestion des « sortants » radicalisés de prison. Chaque année, des individus radicalisés ayant purgé leur peine sortent de prison et l'enjeu est d'éviter la récidive.

Alexandre Rodde montre, enfin, l'hétérogénéité des profils djihadistes en retraçant le parcours de chacun d'eux. Il met en exergue les parcours de vie des différents terroristes, confirmant qu'il n'existe aucun profil type.

Face à une menace en constante mutation, l'objectif est donc de faire évoluer les méthodes des forces de sécurité intérieure.

[1] P. 69.

[2] Ibid.

[3] P. 217.

[4] P. 135.

[4] Ibid


Pour aller plus loin

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