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Viêt-Nam, Afghanistan, Mali : déterminisme technologique et victoire stratégique dans la guerre irrégulière ?

02/11/2021

Par Tewfik HAMEL, docteur en Histoire militaire et études de défense (Université Paul-Valery, Montpellier 3) et Caroline FIRCHE, chercheur au sein du pôle Armées de l'Institut d'Études de Géopolitique Appliquée

Comment citer cette publication :

Tewfik HAMEL, Caroline FRICHE, Viêt-Nam, Afghanistan, Mali : déterminisme technologique et victoire stratégique dans la guerre irrégulière ?, Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, Paris, 2 novembre 2021. Lien URL : cliquer ici


Pixabay.com
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Les développements récents soulèvent des questions cruciales. Sommes-nous en train de combattre des guerres différentes où plutôt de combattre des guerres différemment ? Les théoriciens des « nouvelles guerres » exagèrent lorsqu'ils affirment que telles guerres sont « nouvelles », mais ont raison de noter que, alors que la guerre conventionnelle entre États avancés passe à l'arrière-plan, la forme prédominante de conflit armé sera les opérations de contre-insurrection, de stabilité et d'édification de la nation. Les événements des deux premières décennies du XXIe siècle ont révélé que les guerres, en particulier irrégulières, n'ont rien perdu de leur importance historique. La guerre irrégulière, par opposition à la guerre régulière, peut se présenter sur le plan tactique et opérationnel, sous différentes formes : guérilla, guerre asymétrique, résistance, guerre non-conventionnelle, terrorisme, opérations spéciales. Elle concerne tous les continents dans l'histoire et la contemporanéité.

C'est un terme qui se développe depuis le début de la guerre froide et qui englobe une large vision de la guerre. La guerre irrégulière est utilisée « comme un moyen de minimiser les avantages de l'ennemi, qu'il s'agisse de sa supériorité numérique ou de sa supériorité technologique » [1]. Ce ne sont plus seulement les nations dites du « Sud » qui sont concernées. Plusieurs exemples montrent que c'est un volet indispensable dans la stratégie militaire des puissances internationales. Elle incite la pensée stratégique à se renouveler en raison de sa réversibilité. Pensons à la manœuvre révolutionnaire qui peut transformer un outil paramilitaire irrégulier et défensif en une armée régulière et offensive. Les exemples du Viêt-Nam, de l'Afghanistan dans toute son histoire et plus récemment du Mali sont autant de cas d'étude pour tirer des conclusions intéressantes sur l'interprétation à avoir des guerres d'aujourd'hui.

Une question à considérer est celle du déterminisme technologique dans la guerre. Les solutions mécanistes technologiques aux problèmes complexes posés par la guerre sont illusoires. Ceux qui les prônent négligent les relais entre conflits armés et ne s'avouent pas les limites des nouvelles technologies et des capacités militaires émergentes. Les concepts reposant sur le déterminisme technologique selon lequel « la guerre est complètement imprégnée par la technologie et régie par elle » [2] et sur la capacité à frapper l'ennemi avec des munitions de précision à longue portée, séparent la guerre de ses contextes politiques, psychologiques et culturels, et réduisent la guerre à un simple exercice de ciblage. Au mieux une telle entreprise ne peut que partiellement réussir. Selon ce point de vue, un équipement supérieur fonctionne de façon décisive au combat et pourrait expliquer pourquoi et comment une bataille a été gagnée. À l'ère actuelle de la technologie de pointe, il existe une tendance naturelle à surestimer le rôle des armes et sous-estimer l'environnement plus général dans lequel la technologie opère.

Dans son poème « The Modern Traveller », Hilaire Belloc écrit : « Quoi qu'il arrive, nous avons la mitrailleuse Maxim et eux non ». Cependant, les meilleures armes gagnent-elles vraiment les batailles ? Une obsession de la technologie militaire peut déformer l'image générale de la guerre dont le caractère dans un cas donné est le produit de facteurs multiples - politiques, sociaux, économiques aussi bien que technologiques. S'il est vrai que de meilleures armes peuvent gagner des batailles, il faut les replacer dans le contexte plus large d'une guerre donnée, en particulier la qualité des hommes qui les contrôlent et les manient. Historiquement, « la maîtrise des épreuves du combat est partout fondamentalement fonction de la supériorité en matière d'armement et de compétences physiques. » Une caractéristique commune du déterminisme technologique est l'absence de définition rigoureuse des armes, combinée à une tendance à surestimer des éléments technologiques spécifiques comme des ingrédients actifs dans l'élaboration des résultats militaires. En somme le déterminisme est le résultat d'un manque de définitions précises des nombreux éléments impliqués dans la guerre, en particulier les armes [3].


[1] J. P. Kutger, "Irregular Warfare in Transitionˮ, in F. M. Osanka, Modern Guerrilla Warfare, New York, The Free Press of Glencoe, 1964, p. 3. p. 39

[2] Martin van Creveld, Technology and War: From 2000 B.C. to the Present, Free Press, London, 1991, p. 1.

[3] George Raudzens, "War-Winning Weapons: The Measurement of Technological Determinism in Military History", The Journal of Military History, vol. 54, n°. 4, 1990, pp. 403-434.