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Okinawa. Une île au cœur de la géopolitique asiatique

20/09/2023

Recension effectuée par Yohan Briant, directeur général l'Institut d'études de géopolitique appliquée.

La recension n'engage pas la responsabilité des auteurs de l'ouvrage. 


À propos de l'auteur

Emilie Guyonnet est spécialiste du Japon, journaliste indépendante et collaboratrice régulière de médias tels que Japon Infos, ActuaLitté et le Monde diplomatique, pour lequel elle a notamment rédigé plusieurs articles et recensions soulignant les problématiques sociales d'un Japon moins idyllique qu'il y paraît. 


À propos de l'ouvrage

L'influence réciproque entre populations civiles, enjeux sociétaux, politique intérieure et relations internationales s'incarne précisément sur l'archipel d'Okinawa. L'île éponyme, la plus grande et la plus peuplée, compte 1,4 million d'habitants, répartis sur une surface d'environ 1280 km² qu'ils partagent avec 32 bases et installations militaires, abritant 23 000 militaires américains et 21 000 civils membres de leurs familles. Cette cohabitation est le résultat d'une bataille qui se déroula entre avril et juin 1945, de l'une des plus meurtrière de la guerre du Pacifique, la bataille d'Okinawa, dont la coûteuse résolution aurait précipité la décision des États-Unis de recourir à l'arme atomique dans le but d'éviter l'invasion des principales îles de l'archipel japonais.

Passé l'introduction, l'ouvrage débute donc par une rapide présentation de la bataille, de ses enjeux et de son influence, avant que l'autrice ne laisse la parole à madame Kiyogo Miyagi, témoin direct des événements de 1945. On retrouve cette structure dans les six chapitres qui composent l'ouvrage. Chaque fois, une présentation très sourcée contextualise le témoignage à venir présente les différents acteurs en présence et explicite les enjeux, avant qu'un nouveau témoin direct ne vienne apporter expérience, son ressenti et ses propres considérations sur la situation d'Okinawa. Du 1er avril 1945 à nos jours, Emilie Guyonnet suit le fil qui relie les États-Unis à Okinawa, au reste du Japon et aux intérêts géostratégiques qui agitent l'ensemble de la région depuis la fin du second conflit mondial. Soulignant la position centrale de l'archipel, coupable d'une proximité géographique avec la Chine, la péninsule coréenne et Taiwan, et dont le contrôle représente l'un des principaux atouts de Washington dans sa lutte contre la tyrannie des distances qui gouverne les relations dans le Pacifique. Victime expiatoire des crimes de l'Empire du Japon, le petit archipel restera sous domination américaine jusqu'en 1972, vingt ans après la fin officielle de l'occupation du pays par les États-Unis. Si l'autrice reconnaît dès l'introduction que la relation entre ces deux parties de l'archipel japonais dépasse le cadre de son ouvrage, elle évoque en filigrane la position difficile de Tokyo, prise entre les intérêts stratégiques de son puissant allié et les considérations plus prosaïques de la (faible) population d'Okinawa : insécurité, problématiques de développement, dégâts environnementaux, perte d'identité, ou encore mise sous tutelle d'une économie contrainte d'évoluer autour des vestiges d'une occupation étrangère. La convergence des préoccupations géopolitiques des États-Unis et du Japon conduit au doublement prévu du budget militaire de l'archipel et par le renforcement global de la présence militaire américaine dans la région, ce qui se traduit par une réduction des troupes stationnées sur Okinawa. Pour autant, l'île abrite encore le plus important contingent de militaires américains présents hors du pays.

Qu'il s'agisse du viol sordide d'une adolescente par trois militaires américains, de la contestation des loyers versés en échange des terres abritant les bases et que les propriétaires jugent trop bas, ou encore des stigmates persistantes dont souffrent les enfants amérasiatiques, les problématiques socio-économiques servent régulièrement de catalyseur au mouvement de lutte contre les bases américaines. L'approche d'Emilie Guyonnet prend alors tout son sens : souligner l'impact concret des relations internationales sur l'humain, interroger en quoi les populations contribuent à l'évolution des terrains géopolitiques et témoigner de l'évolution de la situation stratégique dans la région ; tout cela en s'intéressant au point de vue des habitants d'un confetti perdu dans l'océan Pacifique. Une perspective sensible qui place l'ouvrage dans la droite ligne de la collection « Témoignages » dans lequel son éditeur, Géorama, l'a fait paraître.

Situé à mi-chemin entre l'article de presse et l'essai de géopolitique, Okinawa. Une île au cœur de la géopolitique asiatique est une réponse simple à une question complexe : pourquoi l'archipel d'Okinawa est-il si important ? L'ouvrage, à travers sa construction et sa bibliographie étayée, offre également toutes les clefs au lecteur désireux d'explorer plus en profondeur tel ou tel aspect de sa problématique principale. Il n'en reste pas moins que la conclusion de l'ouvrage, nuancée sans tomber du côté de l'indécision, clôt avec satisfaction le chemin parcouru sur une centaine de pages.