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Les États-Unis dans le conflit entre Israël et le Hamas : engagés malgré eux

03/11/2023

Par Nicolas Driouech, responsable du département Amérique du Nord de l'Institut d'études de géopolitique appliquée.


Comment citer cette publication

Nicolas Driouech, Les États-Unis dans le conflit entre Israël et le Hamas : engagés malgré eux, Institut d'études de géopolitique appliquée, 3 novembre 2023.

Avertissement

Les propos exprimés dans ce texte n'engagent que la responsabilité de l'auteur. L'image est libre de droits et illustre des bâtiments détruits à Gaza, avant le 7 octobre 2023.


L'attaque terroriste du 7 octobre 2023 a poussé les États-Unis d'Amérique à redevenir un acteur majeur au Proche-Orient. L'assassinat par les commandos terroristes du Hamas de 1400 personnes (chiffres du 1er novembre 2023) sur le territoire israélien et la prise d'otages qui résulte de cette attaque pousse l'État hébreu à réagir avec fermeté. Ce dernier a reçu le soutien inconditionnel de Washington, bien que l'esquisse d'une légère nuance s'installe dans les débats outre-Atlantique et le discours de Joe Biden face au lourd bilan en pertes humaines suite à la riposte de Tsahal dans les territoires palestiniens. Déjà empêchés de regarder sans obstacles vers l'Indopacifique depuis l'invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie le 24 février 2022, les États-Unis sont désormais rattrapés par la manche au Moyen-Orient. L'ouverture de ces fronts simultanément et leur engagement qui en résulte témoignent toutefois de leur prédominance, à défaut d'avoir conservé leur statut de puissance hégémonique. L'un des premiers enseignements est la capacité américaine à relier différents théâtres de conflits.

Au soutien d'un allié inconditionnel

Washington a rapidement réagi pour manifester son soutien à Israël dans son objectif de mettre tous les terroristes du Hamas hors d'état de nuire. Les actes ont tout de suite suivi les mots. Militairement, l'une des mesures prises fut d'envoyer le porte-avions USS Gerald R. Ford dans les eaux orientales de la mer Méditerranée. Ce navire de guerre, le plus important des onze porte-avions que possèdent les États-Unis, peut transporter 75 appareils [1]. Il est l'un des symboles de la puissance militaire américaine et il n'a pas été choisi de manière fortuite.

Ce soutien s'inscrit dans la continuité de la politique proche-orientale du département d'État, même si celui-ci ne fut pas toujours de mise par le passé. Si le président Harry Truman donna une certaine impulsion à la création d'un État juif en Palestine auprès des mandataires britanniques en 1947, il fallut attendre l'arrivée au pouvoir du président John Fitzgerald Kennedy pour que Washington se range derrière Israël, faisant fi de ses préoccupations initiales à l'égard des États arabes. Depuis lors, la relation bilatérale entre les deux pays fut très étroite et les États-Unis se sont imposés comme le plus grand allié d'Israël. Depuis 1948, Tel-Aviv a reçu 260 milliards de dollars d'aides de la part des États-Unis dont 124 milliards d'aide militaire [2]. Ces derniers ont d'ailleurs souvent utilisé leur veto aux Nations unies pour protéger Israël. La position géographique et stratégique de l'État hébreu explique cet intérêt appuyé des différentes administrations au pouvoir à Washington depuis plusieurs décennies. La lutte contre le terrorisme, justifiée par « l'axe du mal » mis en relief par le président George W. Bush en janvier 2002, a renforcé ce lien tant les États-Unis se réjouissaient de pouvoir compter sur l'expérience israélienne en la matière. Outre les intérêts stratégiques des États-Unis dans la région, un puissant lobby pro-israélien et le regret de certaines inactions pendant la Shoah permettent ces rapports très étroits [3].

Le soutien de Washington est solide mais il a tout de même des limites. L'administration Obama a condamné à plusieurs reprises la colonisation de certains territoires palestiniens. Dans le contexte actuel, le président Biden a réitéré, compte tenu de l'expérience américaine en Irak en 2003 que Tsahal devait tout mettre en œuvre afin que les civils Palestiniens soient épargnés. Il existe un débat outre-Atlantique entre ceux qui soutiennent la riposte d'Israël face à l'attaque de grande ampleur que l'État hébreu a subie et ceux qui militent en faveur de la paix et veulent éviter une escalade qui embraserait la région. D'autres opinions plus tranchées émergent.

Dans la foulée du bombardement dans la cour de l'hôpital Al-Ahli Arabi le 17 octobre 2023, initialement attribué à Israël avant que des preuves tangibles en sources ouvertes permettent de confirmer la thèse d'un tir de roquette raté du Djihad islamique, la Jordanie a reporté sine die le sommet quadripartite prévu à Amman entre les États-Unis, l'Égypte, l'Autorité palestinienne (AP) et elle-même. L'impact de cet événement et la guerre de propagande entre les deux parties, l'une rejetant la responsabilité du drame sur l'autre, ont conduit le président Biden à réduire sa visite dans la région au strict minimum. Ces nombreuses données soulignent sa volonté inextinguible de soutenir Israël mais aussi sa prudence et finalement, son impuissance face au conflit actuel.

Regain de tension au Proche-Orient et au Moyen-Orient

Au-delà de la situation bouillante en Israël et dans les territoires palestiniens, la région semble être en état d'alerte comme l'atteste l'évacuation du personnel non essentiel de son ambassade en Irak, ordonnée par Washington le 22 octobre. Des attentats contre des intérêts américains sont redoutés après les cinq attaques au drone qui ont touché des bases irakiennes, dans l'ouest du pays. Ces dernières abritaient des troupes américaines. Depuis le 17 octobre, les forces de la coalition internationale contre l'organisation État islamique ont été la cible d'au moins seize attaques en Syrie et en Irak. Cette situation ravive les souvenirs des deux dernières décennies, durant lesquelles les États-Unis ont dû à la fois combattre le terrorisme dans la région mais aussi y voir leur cote de popularité diminuée. La guerre d'Irak (2003) et celle contre l'État islamique (2014) ont laissé des traces vivaces dans l'esprit des Américains.

Mais dans le contexte actuel, les tensions avec la République iranienne sont à prendre en considération. Acteur tiers du conflit israélo-palestinien, le pouvoir iranien est sans aucun doute en lien direct ou indirect avec les attaques perpétrées par le Hamas. Le rapprochement entre Israël et l'Arabie saoudite, sous l'égide des États-Unis, venait mettre à mal le récent rapprochement entre Riyad et Téhéran, sous l'égide de la Chine. En réponse à ces attentats et plus particulièrement au discours belliqueux du Premier ministre Benyamin Netanyahou, l'Arabie saoudite a mis fin aux discutions avec Israël et les États-Unis. Depuis l'arrivée au pouvoir de Joe Biden, les États-Unis adoptent une politique de « containment » à l'égard de l'Iran. De fait, l'Iran ne faisait plus partie des principales préoccupations des États-Unis, largement accaparés par leur confrontation avec la Chine. L'Iran reste toutefois un dossier d'importance pour Washington, l'administration Biden ayant tenté, dès son arrivée au pouvoir, de relancer l'accord sur le nucléaire iranien. Pat Ryder, porte-parole du Pentagone, désignait l'Iran comme soutien des milices [4] opérant en Syrie et en Irak contre les forces américaines et la coalition internationale. Une thèse que défend Gilles Kepel de manière générale en désignant le Hamas comme « un pion dans le système iranien [5]. » Une question peut désormais se poser : l'Iran redeviendra-t-il une priorité pour les États-Unis au fil de l'avancée des hostilités ? La menace qu'il constitue actuellement préoccupe suffisamment l'administration Biden pour qu'elle déploie de nombreux équipements de défense dans la région afin de prévenir toute autre attaque.

L'Ukraine grande perdante ?

Les événements au Proche-Orient s'inscrivent dans une actualité internationale déjà dense. Depuis vingt mois, la Russie conduit une guerre sur le sol ukrainien. Prompts à soutenir l'Ukraine puis à lui fournir l'armement nécessaire, les États-Unis seront-ils désormais davantage tournés vers Israël et la Méditerranée orientale que vers Kiev et le Donbass ? À l'évidence, les événements récents au Proche-Orient ont accaparé la lumière médiatique et mobilisent les discours des responsables politiques en Occident. Le temps des médias n'est toutefois pas le temps de l'action politique et des enjeux géopolitiques. Il convient malgré tout de relever que la Chambre des représentants, à majorité républicaine, est de moins en moins encline à apporter des fonds à l'armée ukrainienne, préférant réserver ces aides à Israël. Dépourvue d'un Speaker jusqu'à l'élection récente du républicain Mike Johnson, la chambre basse du Congrès n'a pu valider les aides militaires pour Israël et l'Ukraine souhaitées par Joe Biden. Toutefois, ce sont les élus républicains qui sont les plus enclins à privilégier Israël par rapport à l'Ukraine. À cet effet, les parlementaires du parti refusent d'accorder de nouveaux crédits militaires à Kiev.

Outre la loi de « mort-kilomètre » et la proximité temporelle de l'événement qui est survenu en Israël, l'Ukraine ne peut rivaliser face à la proximité diplomatique et culturelle qui subsiste entre Washington et Tel-Aviv. Issue de l'éclatement de l'Union soviétique, la jeune nation ukrainienne ne jouit pas d'un partenariat historique avec les États-Unis. Israël, pour sa part, défend des valeurs similaires et a fortiori partage de nombreux points communs avec ce pays pourtant si éloigné, mais toujours prêt à le défendre, quelles qu'en soient les conséquences. D'un point de vue stratégique, les États-Unis n'ont pas intérêt à lâcher l'Ukraine. Ce qui est en jeu, désormais, est leur capacité à relier les théâtres dans la durée. Une autre inconnue est celle de leur avenir politique dans la mesure où en 2024 se tiendra leur scrutin présidentiel.


[1] Chine. Le temps de l'affrontement, Hors-série, Le Point, Coll. Géopolitique, octobre 2023, p. 16.

[2] S. GODELUCK, « Les Américains plus prompts à aider Israël que l'Ukraine », Les Echos, 20 octobre 2023.

[3] Voir F. ENCEL, F. THUAL, « États-Unis d'Amérique », in Géopolitique d'Israël, Éditions du Seuil, 2004, (3e ed.) 2011, pp. 138-145.

[4] https://www.lemonde.fr/international/live/2023/10/27/en-direct-guerre-israel-hamas-les-forces-americaines-et-leurs-allies-ont-ete-la-cible-d-au-moins-16-attaques-en-syrie-et-en-irak-depuis-le-17-octobre_6196539_3210.html

[5] Propos tenus sur RTL le 30 octobre 2023.