Le lien armée-jeunesse en 2022 : quel esprit défense chez les nouvelles générations ?
Andréa Laquet, responsable du département Armées de l'Institut d'études de géopolitique appliquée, s'est entretenue avec Sandrine Ollivaud, lieutenante de réserve de l'Armée de l'Air et de l'Espace.
Comment citer cet entretien :
Sandrine OIlivaud (entretien avec Andréa Laquet), « Le lien armée-jeunesse en 2022 : quel esprit défense chez les nouvelles générations ? », Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, Novembre 2022, URL : https://www.institut-ega.org/l/le-lien-armee-jeunesse-en-2022-quel-esprit-defense-chez-les-nouvelles-generations/
Avertissement :
La photographie d'illustration est un choix de la rédaction de l'IEGA et n'engage que cette dernière.
L'intitulé de l'entretien a été déterminé par l'IEGA.
Malgré la suspension de l'appel au drapeau depuis 1997, la défense ne cesse d'agir pour la jeunesse. Le projet « égalité des chances » tente de remettre à l'ordre du jour l'aide auprès des jeunes en grande précarité et en risque de rupture sociale. Véritable vecteur d'équité, ce projet pousse les portes de l'orientation future au sein des quartiers prioritaires. En 2022, au cœur des conflits naissants sur la scène internationale et avec une baisse du recrutement de la réserve opérationnelle, le dialogue armée jeunesse semble prendre un autre tournant. D'un côté, avec une continuité du projet « égalité des chances », la Commission Armée-Jeunesse mais surtout la mise en avant des stages et apprentissages des étudiants au sein des différents corps, l'armée fascine. De l'autre côté, un certain rejet des forces de l'ordre naît dans de plus en plus d'esprits de la jeunesse. On parle en effet d'un défi majeur pour fidéliser la génération Z. Qu'en est-il réellement et quelles sont les propositions ?
Andréa Laquet - Depuis
1955, la Commission Armée-Jeunesse (CAJ) vise à créer et renforcer un lien
entre les nouvelles générations et la défense. Prônant le terme de citoyenneté,
la CAJ a à cœur de préparer les jeunes à l'esprit de défense. En
2019, le Service National Universel (SNU) est mis en place par Edouard
Philippe, succédant indirectement au service militaire. En tant que lieutenante
de réserve au sein de l'Armée de l'Air et de l'Espace,
voyez-vous une réelle adhésion des nouvelles générations à cet esprit défense
lors de l'accueil des volontaires au SNU ?
Sandrine Ollivaud - Depuis la fin du service militaire en 2001, il était devenu impératif de créer un lien entre les jeunes et la défense. En effet, la place des armées dans l'espace public a tendance à se réduire car de moins en moins visible sur le territoire national. Pourtant, outre l'apprentissage des responsabilités militaires dictées aux citoyens pour participer à la défense éventuelle du pays, le service militaire était un outil d'intégration sociale et d'éducation de la citoyenneté. Ces thématiques sont aujourd'hui plus que jamais d'actualité, et il est primordial de pouvoir les faire subsister. Pour répondre à ces défis, et répondre au besoin toujours croissant de recrutement, les armées cherchent de plus en plus à aller vers les jeunes afin de réveiller ou développer leur conscience et, dans une certaine mesure, faire naître des vocations.
La population accueillie pendant le SNU est une population plus jeune que celles accueillies lors des PMIP-DN et FMIR. Ils ne connaissent pour la plupart rien au monde militaire et à sa rigueur. Pourtant, il s'agit de jeunes qui ont pour la grande majorité choisi de faire cette deuxième phase, qui plus est dans le domaine de la défense et à la sécurité. Ceci dénote pour moi une démarche très positive et un réel intérêt pour nos institutions. Ils viennent avec beaucoup de curiosité et une réelle envie de découvrir notre institution.
Cet intérêt se concrétise lors de la formation. En effet, il est satisfaisant de voir que de nombreuses questions sont posées, qu'un réel intérêt est porté notamment sur la réserve ou l'active. Les interventions des Cirfa sont de ce fait très appréciées. Même s'il est illusoire de penser que tous concrétiseront leur intérêt pour l'armée par un engagement dans la réserve ou l'active, il est évident que des graines sont plantées et que certaines germeront très certainement.
A.L - Après les attentats de Charlie Hebdo mais aussi du Bataclan, la réserve opérationnelle a lancé un appel à l'engagement, au même titre que l'appel des forces armées d'une manière globale. Cette réserve militaire permet aux jeunes de s'inscrire dans une volonté d'aide sans pour autant s'engager définitivement. Cet appel a-t-il eu un impact sur l'engagement des volontaires ? À quel niveau ?
S.O - Depuis 2015, les attentats ont montré que notre culture, notre façon de vivre, de penser, étaient en danger au sein même de notre pays. Les valeurs de notre république ont été attaquées en son cœur. Ceci a provoqué une réelle prise de conscience de la fragilité du monde dans lequel nous vivons et du besoin de le défendre. C'est pourquoi, de nombreuses demandes pour intégrer la réserve dans les armées ou la police ont été observées.
En effet il est devenu évident pour beaucoup qu'il n'était plus temps d'observer mais d'agir, chacun à son niveau, pour défendre nos valeurs. La réserve a été pour beaucoup, et j'en fais partie, un moyen de donner pour son pays et de répondre à cette prise de conscience. Le volume des effectifs intégrés dans la réserve a ainsi nettement évolué à la hausse, porté par une volonté politique de répondre à cet élan et à cette demande en augmentant les budgets alloués pour la réserve.
Passé ce premier élan, le véritable enjeu est en mon sens de garder intact cette envie de servir. En effet, il est certes satisfaisant de former et d'intégrer des promotions toujours plus importantes de nouveaux réservistes. Un travail important et de qualité par les personnels de réserve et d'active est d'ailleurs fourni pour atteindre ces objectifs. Cependant, la réalité montre un taux important d'attrition parmi les réservistes. Or pour les fidéliser, il est impératif de pouvoir bien les employer. Bien employer nos réservistes signifie pouvoir utiliser leurs compétences au juste niveau, leur proposer des missions attractives et à plus forte valeurs ajoutées. Il s'agit d'un axe d'effort important sur lequel travailler, si l'on souhaite monter nos réservistes en expérience et atteindre les objectifs de doublement des effectifs des réservistes RO1 annoncé par Emmanuel Macron cette année (2022).
A.L - Le SNU et la réserve opérationnelle se basent ainsi sur une idée de volontariat. Vous accueillez, soit en Formation Militaire Initiale du Réserviste, soit en Préparation Militaire Initiale, soit en Service National Universel. Que pourriez-vous dire du public accueilli et leur esprit en fin de formation en 2022 ?
S.O - Comme évoqué en amont, la démarche entreprise par les jeunes pour effectuer un SNU ou intégrer une PMI et FMIR est volontaire et donc très positive. Cela dénote un état d'esprit particulier, tourné vers des valeurs républicaines et une volonté de servir. Le public accueilli est donc pour la grande majorité très ouvert et désireux d'apprendre afin de réussir sa formation.
Fait assez nouveau, la moyenne d'âge des futures réservistes a sensiblement augmenté. La volonté de servir son pays à travers un engagement dans la réserve concerne en effet des personnes ayant de plus en plus d'expérience et complétement vierges de toute expérience militaire. Il est de ce fait très intéressant de voir se côtoyer dans les promotions des profils jeunes, étudiants avec des personnes expérimentées et déjà établies dans la vie. Le mariage entre plusieurs générations fonctionne très bien ! Ce phénomène est d'autant plus important que les armées, et notamment l'armée de l'air et de l'espace, recherchent de plus en plus des compétences spécifiques et clés pour aider les forces au plus près (cyber sécurité, administration).
Ceux qui vont au bout de la formation ont pour la plupart renforcé leur envie de servir. Bien évidemment tous ne continuent pas vers un engagement à plus long terme. Pour autant, ils sont conscients d'avoir vécu une expérience extraordinaire et concrétiseront très certainement un projet de volontariat dans les armées ou ailleurs.
A.L - Au lendemain de l'invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie, on parle d'un « grand réveil militaire de l'Europe ». Les armées des États membres de l'Union européenne semblent augmenter leur budget et se préparer. En tant que réserviste au sein de l'Armée française mais aussi salariée en Allemagne, que pourriez-vous dire sur l'engagement des jeunes au sein de la défense entre ces deux pays ?
S.O - Les Allemands ont hérité de leur histoire une réticence à l'utilisation militaire. Aujourd'hui, compte tenu du contexte de la guerre en Ukraine, il semble que cette réticence ne soit plus de mise. Au contraire, l'Allemagne a déclaré sa volonté d'assumer une plus grande part de responsabilité dans la construction d'un ordre multipolaire, répondant ainsi en particulier aux attentes de ses partenaires et alliés au sein des Nations unies, de l'Union européenne et de l'OTAN. Cela inclut la mise à disposition de forces militaires adéquates s'inscrivant dans le cadre d'une contribution crédible à la dissuasion et au maintien de la paix en Europe et dans le monde. L'Allemagne a montré ses ambitions en mettant en place un fonds exceptionnel de 100 milliards d'euros pour moderniser son armée. Travaillant dans l'industrie de l'armement en Allemagne, cette volonté se fait déjà sentir de manière concrète par les budgets alloués.
Aujourd'hui l'Allemagne compte environ trois à quatre fois moins de réservistes qu'en France. Néanmoins, la Bundeswehr sait qu'elle devra également s'appuyer sur ses réservistes pour accompagner la montée en puissance de son armée. La notion de réserve pour renforcer la disponibilité opérationnelle, accroître la capacité de durer et en tant que médiateur au sein de la société est belle et bien présente. Il s'agit du moins de ma première vision. Il me reste néanmoins encore beaucoup de choses à découvrir, vivant en Allemagne que depuis l'année dernière.