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Le discours de Vladimir Poutine du 9 mai 2022 : Beaucoup de bruit pour rien ?

10/05/2022

Par Michel Makinsky, Directeur général d'Ageromys International et chercheur associé de l'Institut d'études de géopolitique appliquée


Avertissement

Les propos exprimés n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

Discours officiel prononcé par Vladimir Poutine le 9 mai 2022

Comment citer cette publication

Michel Makinsky, Le discours de Vladimir Poutine du 9 mai 2022 : Beaucoup de bruit pour rien ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, 10 mai 2022


www.pixabay.com
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La lecture du discours du 9 mai 2022 prononcé par Vladimir Poutine, inhabituellement court et surtout d'un contenu appauvri par rapport aux « fresques historiques » (!) précédentes, n'apporte que peu d'éléments qu'on peut rapidement commenter ainsi.

Vladimir Poutine prétend que l'offensive russe est une attaque « préventive » destinée à empêcher une attaque préparée selon lui par l'Ukraine en direction du Donbass, voire de la Crimée. C'est l'axe central de ce message qui présente la Russie comme co-victime d'une menace imminente à contrer urgemment au vu des « préparatifs » ukrainiens. Il confond (volontairement) la modernisation progressive de l'armée ukrainienne depuis 2014 (notamment grâce à l'aide des occidentaux) avec une tentation imaginaire de l'Ukraine d'une reconquête des territoires « perdus ». La position du président russe reflète aussi le vieux syndrôme de l'encerclement de la Russie également nourri des théories complotistes sur les visées de l'Occident rêvant à réduire/affaiblir la Russie. En déclarant le 26 mars que Poutine ne peut rester au pouvoir, Biden renforce cette perception, même si le secrétaire d'Etat A. Blinken a rapidement démenti toute tentation de regime change de la part de l'Amérique. Indépendamment de la compréhension que peut en avoir la Russie, cette déclaration pose problème car elle risque d'introduire une différence importante entre les objectifs des européens (soutien actif à la sécurité de l'Ukraine et renforcement de la protection de l'Europe, à commencer par celle des pays est-européens) et ceux de Washington (containment de la Russie). L'assistance militaire américaine qui s'accroît spectaculairement (renforcée grâce à l'adoption le 9 mai de la loi Ukraine Democracy Defense Lend-Lease Act, ou loi de « prêt-bail »), crée une situation de type proxy war sur le théâtre européen avec un risque pour les pays de l'Union d'en perdre la maîtrise. La Russie est ainsi encouragée à faire de son « combat » local/régional une lutte contre l'Occident en général ainsi naturellement désigné comme « ennemi » potentiel. Les européens ne pourront faire l'économie d'une clarification avec Washington sur les objectifs poursuivis.

L'association étroite, en fait une assimilation, de la « sécurité » du Donbass à celle de la Russie.

« Vous combattez aujourd'hui comme par le passé pour notre peuple dans le Donbass, pour la sécurité de notre Mère patrie, pour la Russie ». Le fait que la population du Donbass soit considérée comme « notre » (souligné par nous), donc faisant partie du peuple russe si on s'en tient au texte, est intéressant. Comment ce territoire reconnu comme indépendant par la déclaration du 21 février dernier peut-il voir sa population qualifiée par le président russe de « notre » peuple ? Lapsus volontaire ou involontaire ? Ceci préfigure-t-il une volonté russe d'annexer ultérieurement les territoires reconquis, le cas échéant en organisant des référendums dont le résultat aura été soigneusement « préparé » ?

Dans la même veine Poutine ajoute que les forces du Donbass et l'armée russe combattent pour « notre Mère Patrie ».

Sans surprise, la référence à la Grande Guerre Patriotique indique que l'actuel conflit est de même nature, un sursaut national face à un péril existentiel.

Plus intéressant, Poutine rappelle la proposition russe de système de sécurité européenne. On se souvient de ce que les occidentaux avaient commencé à la prendre en considération, et présenté des éléments de réponse. Ce processus a été interrompu par l'invasion russe. Aujourd'hui Poutine prétend que les occidentaux sont responsables de ce que ceci est resté sans suite. Or c'est la Russie qui a pris l'initiative d'un conflit armé. Le fait que le maître du Kremlin ressorte ses propositions est un point à suivre de près. Ceci veut-il dire qu'il souhaite rouvrir la porte des négociations au vu des échecs sur le terrain (par rapport à l'objectif initial de prise de contrôle rapide de l'ensemble de l'Ukraine via un renversement du président Zelensky) et de la situation très inconfortable d'une Russie isolée ? Le déroulement (difficile) des opérations en cours en vue de la prise de contrôle du Donbass pèsera sur les options suivantes de Moscou.