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La diplomatie européenne en République démocratique du Congo

04/02/2020

Entretien réalisé par Alexandre Negrus, président des Ambassadeurs de la Jeunesse et Anna Merkuryeva, chargée de mission auprès de la Direction Générale, avec Jean-Marc Châtaigner, Ambassadeur de l'Union européenne en République Démocratique du Congo.

© Photos : Jean-Marc Châtaigner, Délégation de l'Union européenne en RDC.


Ambassadeurs de la Jeunesse : Vous avez récemment pris vos fonctions d'ambassadeur de l'Union européenne en République démocratique du Congo. Quels sont les axes de coopération entre l'Union européenne et la République démocratique du Congo et quelles sont vos priorités ?

Jean-Marc Châtaigner : L'Union européenne (UE) en République démocratique du Congo (RDC), au-delà de la délégation que j'ai l'honneur de diriger (près de 80 personnes, Européens et Congolais) et des institutions européennes que je représente, c'est tout d'abord l'action de nos États membres, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque et la Suède, qui ont des Ambassades à Kinshasa. L'UE en RDC, c'est aussi un formidable instrument de coopération et de partenariat, le 11ème Fonds européen de développement (FED). Le FED représente pour le pays et la période 2014-2020 un engagement de 672 millions d'euros (environ 745 millions de dollars). Il convient d'y ajouter les ressources additionnelles importantes qui transitent par les programmes multilatéraux, régionaux et humanitaires. La programmation du FED pour la RDC comporte quatre grands secteurs de concentration choisis conjointement avec le Gouvernement congolais. En premier lieu, le renforcement de la gouvernance démocratique, des droits humains et de l'État de droit, la transparence des finances publiques, en second lieu la santé, en troisième priorité l'environnement, l'agriculture durable et la sécurité alimentaire, enfin, les infrastructures, dont la réhabilitation de la Route nationale N° 1, épine dorsale qui relie l'ouest à l'est de la RDC. Ce sont des projets qui sont conduits à travers tout le pays avec des partenaires congolais et au service premier des populations.

L'année 2020 sera un moment fort pour les relations entre la République démocratique du Congo et l'Union européenne. 

En effet le 9 mai 2020, fête de l'Europe, nous allons célébrer les 60 ans de la présence de l'Union européenne à Kinshasa (qui remonte à 1959). Le 30 juin 2020, nous célébrerons le 60ème anniversaire de l'indépendance de la République démocratique du Congo. C'est l'occasion de recourir au génie créateur des 60 artistes congolais qui exposeront 60 œuvres d'art sur cette « histoire d'amour » entre congolais et européens avec toutes les péripéties qui caractérisent évidemment les vieux couples fidèles. Nous profiterons du 60ème anniversaire de notre présence pour organiser à Kinshasa au Musée National une journée « portes ouvertes » pour y présenter nos activités et nos programmes, débattre ouvertement de nos actions et mieux faire connaître l'Europe dans toutes ses dimensions.

Nos partenaires et collègues qui travaillent à la réhabilitation de la RN1 expliqueront aux visiteurs congolais comment, depuis la réhabilitation du tronçon Kinshasa-Kikwit-Tshikapa, le prix du trajet en bus, qui se fait maintenant en 48 heures au lieu de 14 jours, a été divisé par 10 par rapport à l'avion. Les ingénieurs de la Régie des voies fluviales feront le point sur l'amélioration de la navigabilité sur le fleuve Congo. Les bateaux peuvent désormais naviguer en toute sécurité car le parcours est balisé entre Kinshasa et Kisangani et sur la rivière Kasaï, sans oublier le lac Tanganyika. Le commerce s'améliore entre l'arrière-pays et les grands centres de consommation. La coopération entre l'UE et la RDC, c'est également tout l'appui apporté pour préserver la riche biodiversité des 5 aires protégées, la formation et échanges interuniversitaires sur les forêts du bassin du Congo ainsi que la construction de centrales hydroélectriques qui permettent de développer de petites unités de production de café, savon, huile de palme...

L'UE a également développé des partenariats avec la société civile. L'une des organisations que nous soutenons a mis en place un système de microfinance géré uniquement par des femmes avec un modèle de « crédit groupé » et compte plus de 10 000 adhérentes à ce jour dans 3 provinces. Les 150 femmes de Nlemba au Kongo central ont réussi à exporter en Angola du manioc transformé (Chikwangue) et brassent chaque week-end l'équivalent de 20 000 dollars. Elles ont toutes construit des maisons en dur dans leurs villages et leurs maris ont même adhéré à leur association, à l'origine féminine. Au Katanga, le club handisport a permis la réinsertion sociale de personnes vivant avec un handicap et participe à plusieurs championnats grâce à l'encadrement d'une religieuse. Ce qui me frappe à travers tous ces projets que nous appuyons, parfois très petits ou plus importants comme la construction de centrales hydroélectriques à la lisière du parc naturel des Virunga pour alimenter en électricité Goma, c'est que la RDC est un pays avec des opportunités et des potentiels qui sont exceptionnels dans tous les domaines. 

On me parle souvent du secteur minier ou de possibles perspectives pétrolières, mais pour moi ce n'est pas vraiment là que se joue l'avenir du pays. Ce qui compte, ce sont les hommes et les femmes du Congo, dont les idées, les énergies, les intelligences ne demandent qu'à être libérées et à s'exprimer. Ce qui compte, c'est la formation, l'accès aux droits les plus essentiels comme la santé et l'éducation, la liberté ensuite d'entreprendre et d'agir pour le bien commun.

Ambassadeurs de la Jeunesse : Au-delà de la République démocratique du Congo, comment l'Union européenne entend-elle travailler avec les pays africains ?

Jean-Marc Châtaigner : Les relations entre l'UE et la RDC, et plus largement entre l'UE et les pays dit ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) sont régies par un accord de partenariat signé à Cotonou en 2000, révisé en 2005 et 2010, et qui a succédé aux conventions précédentes dites de Lomé. L'accord de Cotonou a été bâti sur les acquis de ces Conventions de Lomé, notamment ceux de la prévisibilité de l'aide et le caractère contractuel du partenariat, c'est-à-dire avec des engagements et des responsabilités mutuelles. Mais il intègre en outre une dimension plus politique pour répondre de manière plus globale à nos défis partagés, au premier lieu desquels la lutte contre la pauvreté et la promotion du développement durable. Comment faire en sorte par exemple que la forêt du bassin du Congo qui est le second poumon mondial, après celui de l'Amazonie, soit mieux préservée et que ses vraies richesses, comme la biodiversité, bénéficient aux populations ? En outre, cet accord de Cotonou a intégré au cours de ses 20 ans d'existence, des révisions visant à mieux refléter l'évolution des contextes ACP, prenant en compte par exemple la dimension sécuritaire en 2005 ou favorisant une meilleure participation de la société civile et des autorités locales. L'inclusion effective de toutes les parties prenantes, dans un souci de consultation, de transparence et d'évaluation réciproque de nos actions, reste pour moi le défi le plus important.

Nous sommes aujourd'hui à la fin de cet accord et l'UE et les pays ACP réfléchissent ensemble à leur futur partenariat après 2020. C'est ce que nous appelons dans notre jargon européen le « post-Cotonou ». 

Les acquis mentionnés perdureront très vraisemblablement. Et comme cela a été le cas par le passé, de nouvelles dimensions seront intégrées dans la réflexion. 

L'Alliance Afrique-Europe initiée en septembre 2018 par Jean-Claude Juncker, qui vise notamment à favoriser la mobilisation du secteur privé, à développer des nouvelles formes d'investissement et à générer de nouveaux emplois, apporte une réponse aux besoins de développement économique du continent africain. Celle-ci sera certainement prise en compte. Nous devrons aussi sans doute tirer les conséquences du pacte vert pour l'Europe (« the European Green Deal ») qui constitue la feuille de route du mandat de notre nouvelle Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et son impact possible pour l'Afrique. 

De mon point de vue notamment, Afrique et Europe ont un même intérêt commun, que je qualifierai de vital, dans les jeux actuels de rivalités de puissances mondiales comme les États-Unis ou la Chine, au développement d'un système multilatéral solide et influent. 

À mes yeux, ce dernier est le seul à même, contrairement aux visions réductrices purement nationalistes, de préserver les intérêts de nos Nations et peuples. Le retour à la loi de la jungle internationale voulue par certains serait la recette infaillible pour préparer les conflits et les désastres de demain.

Tout cela explique la détermination européenne à maintenir et renforcer un partenariat privilégié avec l'Afrique et cela suppose d'être toujours plus à l'écoute des autorités et des populations des différents pays concernés, je pense en particulier à la parole indispensable des femmes et de la jeunesse. Nous devons développer ensemble, à travers la codécision et la coconstruction, des formes radicalement innovantes de coopération qui ne soient plus à sens unique. 

Pour moi, l'Europe a aujourd'hui autant à apprendre de l'Afrique que l'Afrique de l'Europe.

Ambassadeurs de la Jeunesse : Tous les États membres de l'Union européenne n'ont pas les mêmes intérêts à coopérer avec les États africains, ne serait-ce en fonction des positions géographiques de chacun. Partant, peut-on dire qu'il existe une diplomatie européenne pour l'Afrique ?

Jean-Marc Châtaigner : Dès ses prémices, je me réfère notamment à la déclaration fondatrice de Robert Schuman du 9 Mai 1950 lors de la création de Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA), la construction européenne avait déjà comme objectif affiché de contribuer au développement du continent africain et portait l'idée d'un destin partagé.

S'il est vrai que les États membres, en raison de leurs histoires respectives mais aussi de l'intensité variable des liens culturels et humains, peuvent avoir à titre bilatéral des rapports différents au continent et aux États africains, je suis convaincu qu'à l'échelle européenne nous parlons de plus en plus d'une seule voix.

Il faut savoir à cet égard qu'en matière de politique étrangère, les décisions européennes qui sont mises en œuvres sont décidées à l'unanimité. Cela n'interdit pas les débats en amont, dans lesquels des différences peuvent être perceptibles. Mais la grande force de la diplomatie européenne, c'est d'intégrer cette dimension pluraliste, de rechercher la synthèse parmi des sensibilités différentes pour aboutir à des décisions communes et les défendre systématiquement ensemble. 

À travers les agendas et les engagements de ces dernières semaines de notre Président du Conseil européen, Charles Michel, et de notre Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, Josep Borrell, il est d'ailleurs difficile de ne pas constater l'intérêt diplomatique majeur que l'Afrique représente pour l'Europe.

Ambassadeurs de la Jeunesse : En Afrique, l'Union européenne est-elle perçue comme un exemple d'organisation d'intégration ?

Jean-Marc Châtaigner : De mon expérience professionnelle dans les différents États du continent, en Côte d'Ivoire, à Madagascar, au Sahel et aussi dans la quarantaine de pays africains dans lesquels j'ai eu la chance de me rendre tout au long de ma carrière, je retiens en effet cet intérêt réel que suscite l'histoire de la construction européenne. Je constate également la bonne connaissance des débats d'actualité qui animent la vie européenne par de nombreux citoyens africains.

Sans nier évidemment les difficultés rencontrées, le sentiment momentané de recul que peut sembler traduire la récente décision britannique de se retirer de l'Union européenne, je retiens pour ma part que la construction européenne demeure largement vue comme un facteur inspirant de paix et de stabilité, d'équilibre et de respect entre des pays qui s'étaient fait la guerre pendant des siècles, mais qui ont décidé de se mettre ensemble pour bâtir un avenir commun, de compléter leurs forces pour peser davantage dans le monde. L'UE est aussi perçue comme un facteur de développement économique et social, d'échanges et de liberté, incarné en particulier par la liberté de circulation des biens et des personnes que beaucoup sur le continent africain considèrent comme un exemple à suivre. 

Dès lors, sans être naïf sur les défis institutionnels et humains que posent la construction européenne, et ils sont encore nombreux, je crois que l'Afrique peut s'en inspirer dans sa propre démarche d'intégration. Il faut évidemment qu'elle y apporte ses spécificités et qu'elle tire peut-être parfois parti de l'expérience européenne pour ne pas répéter les mêmes erreurs. 

Il me semble notamment parfois que nous aurions eu avantage à plus construire l'Europe à partir du niveau local, en associant davantage nos concitoyens au processus de décision, en expliquant aussi pédagogiquement l'Europe, pas seulement dans ses impacts réglementaires ou normatifs, les plus visibles et perceptibles, mais aussi dans sa dimension profondément protectrice des droits et des libertés individuelles.

Ambassadeurs de la JeunesseComment l'Union européenne coopère-t-elle avec le République démocratique du Congo sur les plans sécuritaire et humanitaire ?

Jean-Marc Châtaigner : L'Union européenne est un acteur engagé sur les plans sécuritaire et humanitaire en RDC depuis de nombreuses années.

En ce qui concerne notre appui au secteur de la sécurité, je crois tout d'abord très important de clarifier un point clé qui explique parfois quelques malentendus dans mes discussions avec mes amis congolais : l'Union européenne n'a pas de mission de maintien de la paix en RDC. 

C'est la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo (MONUSCO) qui joue ce rôle sous l'égide du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous n'avons pas d'opération ou de mission en cours. Nous en avons eu comme l'opération ARTEMIS en Ituri en 2003 pour empêcher le développement d'un conflit intercommunautaire dans cette province ou encore l'opération EUFOR pour accompagner la sécurisation du processus électoral de 2006, mais nous n'en avons plus. Les missions de soutien à la police nationale (EUPOL) et aux forces armées congolaises (EUSEC) ont respectivement pris fin en 2014 et 2016. L'absence d'opération ou de mission en cours ne veut évidemment pas dire que nous nous désintéressions de la situation sécuritaire à l'Est du Congo, des agissements criminels de certains groupes terroristes comme les ADF (« Allied Democratic Forces ») au Nord Kivu, mais notre coopération a pris une forme différente, moins opérationnelle et plus structurelle avec notamment le programme PROGRESS financé par le FED. Notre appui actuel permet de continuer à accompagner la réforme des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) et de la police nationale congolaise (PNC), singulièrement dans leurs composantes de gestion financière et administrative et de ressources humaines. Les partenariats bilatéraux de nos États membres contribuent aussi à la poursuite de la réorganisation des forces de sécurité, indispensable condition du futur retrait dans les années à venir de la MONUSCO.

Le retour de la paix et d'une sécurité durables dans l'Est de la République démocratique du Congo passe par la combinaison d'un triple effort politique, sécuritaire et de développement, que seul le Gouvernement congolais peut légitimement coordonner et que l'Union européenne est disposée à soutenir durablement, y compris à travers le financement d'actions de médiation et de rapprochement des communautés, de mise en place d'alternatives économiques pour les anciens combattants des groupes armés désireux de se réinsérer, du redéploiement du système judiciaire, des FARDC et de la PNC sur l'ensemble du territoire de la République. La souveraineté, l'indépendance, l'unité et l'intégrité territoriale de la République démocratique du Congo sont pour nous des principes intangibles et irréfragables.

Notre aide humanitaire en RDC est quant à elle conduite sous l'égide de l'équipe de notre Direction Générale ECHO (Protection Civile et Operations d'Aide Humanitaire Européennes), de son bureau régional de Kinshasa et de ses bureaux de terrain de Goma et Bukavu. 

L'Union européenne met en œuvre de nombreux projets et programmes pour faire face aux enjeux humanitaires que connaît la RDC. 

La violence dans l'Est a conduit au déplacement interne d'au moins trois millions de personnes. Plus de 870 000 congolais se sont réfugiés dans les pays voisins. Les conflits empêchent aussi les populations de cultiver et d'accéder aux marchés : on estime actuellement que plus de 15 millions de congolais pâtissent de pénurie alimentaire et 4,3 millions d'enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition. Le pays est en proie à plusieurs épidémies, dont la plus connue est évidemment celle d'Ebola qui s'est déclarée en août 2018 et dont nous espérons en 2020 la fin. En 2019, l'aide humanitaire apportée par l'UE à la RDC s'est chiffrée à 64 millions d'euros contribuant à aider les congolais victimes de la violence, de la malnutrition et d'Ebola. Nous travaillons en ce moment même au meilleur rapprochement de nos actions humanitaires et de développement pour renforcer dans la durée notre appui au système national de santé. Notre aide n'est pas uniquement financière ou matérielle : elle vise à chaque fois à renforcer les capacités de nos partenaires nationaux et à apporter notamment dans le cadre d'Ebola les expertises scientifiques nécessaires à l'éradication de la maladie.