La Chine face au monde : une puissance résistible
Ouvrage écrit par Emmanuel Lincot et Emmanuel Véron, paru chez Capit Muscas Edition (Paris, 2021), disponible ici
La recension n'engage pas la responsabilité des auteurs de l'ouvrage.
À propos des auteurs
Emmanuel Lincot est Professeur à la Faculté des Lettres de l'Institut catholique (ICP). Historien, sinologue, il est également chercheur-associé à l'Institut des Relations internationales et stratégiques (IRIS) où il dirige la revue Asia Focus. Il a créé le Master Stratégies muséales et gestion de projet - Asie et a réalisé le premier MOOC sur la géopolitique de la Chine, en partenariat avec France Université Numérique.
Emmanuel Véron est docteur en géographie et spécialiste de la Chine contemporaine et de relations internationales. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l'INALCO. Il est enseignant-chercheur associé à l'UMR IFRAE (Inalco) et à l'Ecole navale. Il est délégué général du Fonds de Dotation Brousse dell'Aquila (FDBDA).
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Cet ouvrage, paru le 8 septembre 2021 chez Capit Muscas Edition, est agréable à lire et tout aussi plaisant en main en raison de son format. Sa lecture est recommandée pour comprendre la façon dont la Chine cherche à recentrer le monde sur elle-même. Les ruptures structurelles dont elle est à l'origine sont mises en avant par les auteurs qui évoquent une « Chine prédatrice » tout en la caractérisant de « puissance hégémonique et singulière », sinon « dangereuse ». L'histoire de la Chine y est abordée de sorte à comprendre comment son passé façonne aujourd'hui sa politique intérieure et étrangère, les deux étant profondément liées. Du fait de son développement technologique et de la nature de ce régime « révisionniste » et « revanchard », la Chine est aujourd'hui définie par Emmanuel Véron et Emmanuel Lincot de « cybercrature totalitaire ». Mais, force est de constater que « la Chine n'est plus l'atelier du monde ».
Identité chinoise : histoire, régime et singularité
Les auteurs, pour caractériser le régime chinois, invoquent sa « poutinisation » en ce que « défendre la patrie revient à défendre les intérêts du Parti ». L'occasion pour eux d'évoquer la diplomatie agressive de la Chine dans les relations internationales contemporaines et de mettre en avant le concept de « loups combattants » pour la décrire. Il en est ainsi à l'égard des intimidations visant les spécialistes de la Chine, notamment les universitaires occidentaux. Si la puissance est une obsession chinoise en raison de son « passé amnésique », cela explique les dérives totalitaires du régime, en « quête d'unicité ». Le régime cherche à obtenir une sinisation par la force, « à l'image de celle exercée à l'encontre de la minorité ouïgoure dans le Xinjiang ». Les technologies numériques sont plus que jamais un outil dont se sert le régime chinois pour tenter de maîtriser l'information et dépeindre une réalité fictive. Pour cette stratégie de formatage de la pensée, le régime peut s'appuyer, nous informent les auteurs, sur dix millions de fonctionnaires.
Les auteurs évoquent dans cette partie le « sharp power » de la Chine : un « pouvoir qui perce, pénètre et perfore l'environnement politique et informationnel des pays-cibles ». Il s'agit, ici, de caractériser la « propagande subversive et corrosive » de la Chine.
S'agissant du volet relations internationales dans cette partie, les auteurs dévoilent la stratégie de la Chine qui consiste à pénétrer un maximum d'organisations internationales stratégiques, notamment les institutions onusiennes. La Chine est en quête de définition de nouvelles règles du système international, remettant en cause le droit international au profit du droit chinois, notamment en droit des investissements. La Chine cherche à imposer ses propres normes, conduisant les auteurs à évoquer un objectif de « sinisation des relations internationales » de la part du régime chinois.
Cette agressivité de la Chine s'explique en partie par la restructuration actuelle de son économie.
La puissance chinoise : de l'Asie à la conquête de l'espace
Bien que la montée en puissance de la Chine modifie les équilibres stratégiques en Asie Pacifique, la RPC demeure une « fragile puissance globale ». En Asie, son leadership lui est disputé par le Japon. Aussi, le rival indien, qui entretien des relations avec le voisin pakistanais, est une menace pour la Chine dans son environnement régional.
Les mers de Chine orientale et méridionale sont l'objet d'importantes convoitises et la montée en puissance chinoise entraîne de facto des litiges territoriaux. Aussi, force est de constater que l'éventuelle prise de Taïwan par la Chine demeure un dossier fortement suivi par les chancelleries des grandes puissances, étant donné que « la prise par la force de l'île n'est pas exclue ».
La compétition sino-américaine dans la zone est forte et s'est accentuée avec l'arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche. La puissance américaine, eu égard à la modernisation du dispositif militaire chinois, continue d'accroître sa présence en Asie, nouveau nœud stratégique des relations internationales. La Chine tente, par tous moyens, de limiter cette présence américaine et de limiter la suprématie américaine tant au niveau diplomatique que militaire. Cela passe inévitablement par des alliances de circonstances de chacune de ces puissances.
Cette partie est aussi l'occasion pour les auteurs d'aborder le rapport de l'Union européenne à la Chine. L'Union européenne a pris conscience du danger chinois et de la nécessité de protéger ses sites industriels « stratégiques ou critiques ». Les auteurs suggèrent qu'un « filtrage des investissements étrangers (permettrait) à l'UE de mieux protéger son industrie, sa compétitivité et son indépendance stratégique ». La Chine est en effet, rappellent les auteurs en reprenant les propos de la Commission européenne en 2019, un « rival voire une menace systémique ». De bonnes raisons pour, précisent-ils, « tenir le partenaire chinois à bonne distance ». Il convient d'ajouter que les relations sino-européennes sont profondément asymétriques. La Chine craint un alignement de l'UE sur les positions américaines à son égard mais qu'à cela ne tienne, Paris souhaite « maintenir le lien tant avec la Chine qu'avec les États-Unis ».
Une puissance résistible : deux décennies pour agir
Bien que la Chine soit un acteur hégémonique, qui cherche à imposer un système normatif bien précis ainsi que ses valeurs, elle demeure une puissance résistible, dans la mesure où elle est caractérisée par une inexpérience de la guerre, a contrario des États-Unis. Cependant, elle est actuellement fortement présente dans les organisations internationales et notamment dans le système onusien, qu'elle cherche à pénétrer au maximum afin d'imposer ses normes et ses valeurs à l'échelle internationale. Notamment, elle entend contrôler les réseaux de communication dans le monde, maîtriser les données et développer l'intelligence artificielle à grande échelle. Cette compétition technologique est « l'un des principaux facteurs de rivalité stratégique durable avec les États-Unis et plus largement l'Occident », estiment Emmanuel Lincot et Emmanuel Véron.