Guerre Israël/Hamas : un plan de paix plus américain qu’israélien
Par Michel Makinsky, chercheur associé à l'Institut d'études de géopolitique appliquée et à l'Institut prospective et sécurité en Europe.
Citer cette publication
Michel Makinsky, Guerre Israël/Hamas : un plan de paix plus américain qu'israélien, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 4 juin 2024.
Avertissement
Les propos exprimés n'engagent que la responsabilité de l'auteur.
L'image d'illustration est libre de droits.
Le président des États-Unis a rendu public le 31 mai 2024 un plan de paix « israélien » en trois phases « pour une paix durable au Moyen-Orient » [1] destiné à mettre un terme aux sanglants affrontements armés à Gaza. Son ambition est volontairement limitée à organiser un cessez-le- feu et la libération des otages sans aborder l'esquisse d'un règlement politique. La 3e phase évoque un plan de reconstruction dont on voit mal qu'il puisse être esquissé et encore moins mis en œuvre sans solution politique. Cette proposition présente l'intérêt d'être assez difficile à refuser par le Hamas dont elle reprend plusieurs revendications. Le Hamas a d'ailleurs reconnu qu'elle comportait des points positifs. Il est vrai que l'offensive de Rafah a contribué à affaiblir le Hamas à partir du moment où l'armée israélienne s'emploie à couper les voies de communication (notamment les tunnels) qui permettent l'approvisionnement en armes et munitions. La dévastation de la bande de Gaza et le sort tragique des populations toujours privées de nourriture et médicaments du fait du blocage persistant de l'aide humanitaire pèsent sur le Hamas et entretiennent le mécontentement des habitants conscients de ce qu'Israël n'en est pas le seul responsable. Le Hamas fait monter les enchères et envoie d'ailleurs des signaux contradictoires en se déclarant prêt à négocier un accord complet incluant un échange de prisonniers si Israël cesse la guerre [2].
On perçoit que cette proposition ne fait pas l'unanimité du cabinet israélien qui ne peut pourtant pas la désavouer. Benyamin Netanyahu a rappelé qu'elle ne signifie pas la fin de la guerre avec le Hamas. Il a déclaré à ce titre, lors d'une réunion de la commission de la défense et des affaires étrangères de la Knesset : « je ne suis pas prêt à arrêter la guerre ». Cela n'est pas cohérent avec le processus supposé s'engager si le cessez-le-feu est appliqué. Ce plan pose un important problème politique au Premier ministre israélien dont il complique la survie déjà compromise [3]. Soumis au chantage des « durs » de la coalition, Netanyahu multiplie les réserves : son bureau a fait savoir qu'il n'y aura pas de cessez-le-feu permanent tant que ses objectifs ne seront pas remplis, dont la destruction des moyens militaires et administratifs du Hamas. Netanyahu a ajouté qu'il n'y aurait pas de cessez-le-feu permanent tant que ces conditions ne seront pas remplies. On devine que cette exigence n'est pas acceptable pour le Hamas.
D'aucuns se demandant si cette négociation très fortement poussée par Joe Biden ne lui donnerait pas l'occasion de faire « sauter » le « verrou » Netanyahu. Le cabinet de guerre de Tel-Aviv, bien que divisé, a donné son feu vert aux négociateurs israéliens. Or au sein de la coalition (en voie d'éclatement) qui constitue la très fragile majorité du gouvernement Netanyahu, les ultras extrémistes n'accepteront jamais ce plan. C'est également vrai chez plusieurs factions du Likoud. Le raidissement croissant du Premier ministre confirme à quel point il a compris que signer l'accord risque de signifier sa « mort politique », les ministres ultras ayant clairement annoncé leur volonté de démissionner en ce cas. Il a peut-être aussi perçu que Biden lui avait éventuellement tendu un piège. Yaer Lapid, chef de l'opposition, a proposé à Netanyahu un « filet de sécurité », c'est-à-dire un soutien parlementaire à la Knesset au cas où les ultras de la coalition s'opposeraient à l'accord en menaçant de démissionner. Il adjure le Premier ministre d'envoyer une délégation au Caire afin de finaliser cet accord pour avoir la possibilité de faire libérer les otages [4].
Il est fort probable qu'au sein de l'armée, la perspective d'un cessez-le-feu soit également mal vue par un certain nombre d'officiers. Beaucoup veulent « terminer le job », notamment pour restaurer une crédibilité écornée par l'attaque du 7 octobre 2023. En sus, les colons, totalement opposés à une trêve, bénéficient de soutiens dans de larges segments de l'opinion [5].
On peut penser, par analogie, que la pression des familles d'otages pour obtenir leur retour commence à devenir politiquement coûteuse pour Netanyahu et que, s'agissant de Biden, la libération des otages est devenue un objectif politique de plus en plus important.
Ce plan est officiellement affiché et qualifié d'Israélien. Ce qualificatif mériterait sans doute d'être précisé et nuancé. Il semble surtout le fruit d'une entente, convergence de vues et collaboration très étroite entre le Mossad et la CIA, avec un soutien personnel très vigoureux de Biden [6] et de Blinken. N'oublions pas un facteur personnel non négligeable : le directeur de la CIA, Bill Burns, est avant tout un remarquable diplomate doté d'une très grande expérience et d'une capacité de vision stratégique [7]. La composante militaire du cabinet de guerre israélien a sans doute des réserves et frustrations, mais elle peut difficilement contester la position du Mossad (en dépit de rivalités traditionnelles) qui repose, elle aussi, sur une évaluation stratégique. La nouvelle proposition, qui contient des éléments déjà acceptés par le Hamas, a certainement bénéficié d'une façon ou d'une autre de l'aide du Qatar, de l'Égypte et éventuellement d'autres acteurs.
La proposition promue par Biden n'est peut-être pas un plan américain' imposé à Netanyahu, même s'il en a le parfum. Elle offre la possibilité à d'autres composantes israéliennes de privilégier une voie plus réaliste. Si, au passage, cette négociation permettait d'écarter le perturbant Premier ministre israélien (qui envisage de se rendre au Congrès), ceci faciliterait la tâche de Biden. Pour les raisons expliquées supra, cela ne signifie aucunement l'abandon par le locataire de la Maison-Blanche d'une ligne dure à l'égard du Hamas. Elle est assortie de l'exigence d'une réforme de l'Autorité Palestinienne. Si Biden parvient à obtenir un accord officiel des deux adversaires sur ce plan il engrangera un capital politique utile. Par un heureux hasard il intervient au moment où Donald Trump vient d'être condamné (à l'unanimité du jury) sur tous les chefs d'accusation par le tribunal pénal de Manhattan.
On saluera, une fois n'est pas coutume, le fait que le dernier round de négociations se soit déroulé à Paris, ce qui est une contribution utile de la diplomatie française sur une crise moyen-orientale qui n'a pas été toujours traitée avec une vision convaincante. Le dossier palestinien est assurément un épouvantable sac de nœuds d'une complexité sans pareille, où il est impossible à quiconque de ne pas commettre d'erreur. On en mesure encore la difficulté à propos de la question de la reconnaissance d'un État Palestinien. La position française, telle qu'on la comprend, est favorable au principe de cette reconnaissance, mais estime que le moment n'est pas propice et qu'il faut attendre un certain nombre d'évolutions. Elles se situent sur deux plans : le processus de négociations pour un cessez-le-feu et pour la phase d'après-guerre, mais aussi la réforme de l'Autorité Palestinienne [8]. Emmanuel Macron refuse d'annoncer la reconnaissance de l'État Palestinien (à laquelle il est philosophiquement favorable) dans la foulée de l'Espagne, l'Irlande et de la Norvège « sous le coup de l'émotion » et dit vouloir attendre un moment propice. Sur le papier, cette réaction n'est pas dépourvue de pertinence. Une décision de cette importance ne se décide pas d'un coup de tête. Dans un dossier aussi volatile que celui-ci, il n'y a toutefois pas de véritable moment favorable. Les évolutions espérées peuvent nécessiter de longs délais, voire ne pas aboutir. Annoncer sans plus attendre une reconnaissance de l'État palestinien serait un moyen de pression politique crédible sur Israël. Il convient de se demander si la véritable raison de cette volonté d'attendre serait que Paris ne voudrait pas que le Hamas soit partie prenante dans l'administration de Gaza en particulier et des territoires palestiniens en général, ce qui suppose que non seulement une Autorité Palestinienne soit effectivement prête à gouverner, mais aussi que le Hamas en soit exclu, au moins d'un point de vue formel. Nous en sommes encore loin. Une équation hasardeuse qui risque de faire perdre de la crédibilité à la position française malgré son utile contribution [9].
[1] Remarks
by President Biden
on the Middle East,
Briefing Room, The White House, May 31, 2024.
[2] Hamas says it is ready for a 'complete agreement' if Israel stops war, Reuters, May 30, 2024.
[3] Israeli minister says Netanyahu 'failing,' calls for elections, Reuters, May 30, 2024.
[4] Mohammad Sio, « Accords d'échange de prisonniers avec le Hamas : Lapid propose un « filet de sécurité » à Netanyahu », AA, 3 juin 2024.
[5] Israel official says Gaza ceasefire proposal announced by Biden is 'victory to Hamas', Middle East Monitor, May 31, 2024.
Michael Hernandez, « What to know about the deal presented by Israel to end its war on Gaza », AA, June 1st, 2024.
[6] Justin Sink and Fares Akram, Biden Raises Pressure on Israel, Hamas for Deal to End War, Bloomberg News, May 31, 2024.
[7] Le Monde, « Guerre Israël-Hamas, jour 232 : le chef de la CIA attendu à Paris ; poursuite des bombardements israéliens à Gaza », 25 mai 2024.
[8] Communiqué de l'Élysée, Entretien avec Mahmoud Abbas, Président de l'Autorité palestinienne, 29 mai 2024.
[9] Georges Malbrunot, « Comment l'Élysée veut changer les « paramètres » du dossier palestinien », Le Figaro, 31 mai 2024.