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Emmanuel Macron en Algérie : qu’attendre du projet de « partenariat renouvelé » ?

06/09/2022

Par Michel Makinsky, Directeur général d'Ageromys international et chercheur associé à l'Institut d'études de géopolitique appliquée


Avertissement

Les propos exprimés dans ce texte n'engagent que la responsabilité de l'auteur. L'intitulé du texte a été écrit par la rédaction de l'IEGA

Comment citer cette publication

Michel Makinsky, Emmanuel Macron en Algérie : qu'attendre du projet de « partenariat renouvelé » ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 6 septembre 2022


www.pixabay.com
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« On juge l'arbre à ses fruits »

Ce qui va sans le dire va encore mieux en le disant (Talleyrand, au Congrès de Vienne, 1814).

On a (beaucoup) parlé du voyage du président de la République française Emmanuel Macron en Algérie. Gilles Kepel, qui conseille Emmanuel Macron, a publié une analyse à tonalité fortement positive [1]. Il n'est pas aisé de se faire une opinion sur ce bilan, au vu de l'historique compliqué des relations bilatérales.

Evidemment, il faudra juger l'arbre d'après ses fruits. Il est inutile de se précipiter et de tomber dans le piège classique consistant soit à qualifier ceci de poudre aux yeux, tactique photoshop, exercice de naïveté ou frénésie publicitaire, ou alternativement de tournant historique dans les relations bilatérales, qui va modifier le paysage stratégique méditerranéen et par ailleurs permettre à la France d'exercer un certain leadership au Maghreb, voire ressusciter le rêve Sarkozien.

On l'a bien compris, il va falloir faire preuve de patience pour voir concrètement comment les différents dossiers, notamment concernant le terrorisme, la sécurité et la stabilité du Maghreb, mais aussi les conditions d'accès des entreprises françaises au marché algérien face aux rentes de situation et à l'inorganisation du pays, évolueront. On note que rien n'a filtré (mais cela ne veut pas dire qu'il n'a pas été évoqué lors de la rencontre entre services de renseignements des deux parties) sur le dossier de l'enquête sur la mort des moines de Tibhirine. La levée des obstacles posés par les autorités algériennes à la poursuite de l'enquête sera un test révélateur.

L'analyse de Kepel évoque l'éloignement progressif de la vieille génération. Un élément décisif dans l'appréciation de la situation algérienne est d'identifier précisément si l'appareil militaire algérien corrompu dont l'emprise économique et politique d'un pays rentier est jusqu'içi perçue comme considérable, a perdu significativement du terrain (ou pas) et si le nouvel exécutif a un véritable contrôle du pays et peut repousser ses pressions. Cette question semble essentielle sous peine d'illusion d'optique. En effet, certes, l'Algérie a beaucoup changé et continue de changer. La population (muselée) souhaite ce changement. Une nouvelle génération d'entrepreneurs, souvent talentueux, a émergé. La présence dans la délégation française de jeunes startupeurs algériens établis en France, est un autre signe. Mais attention, il peut être trompeur. S'ils sont une « vitrine » rassurante sur le potentiel algérien, quel est leur poids réel dans le paysage politique et économique du pays ? Il ne faudrait pas tomber dans le piège consistant à croire que ces fort sympathiques entrepreneurs sont suffisamment influents par rapport à l'establishment FLN/armée. Ce dernier, malgré les déconvenues enregistrées depuis le décès de Bouteflika, n'a pas disparu de la scène. Il conviendrait donc d'évaluer précisément l'état du rapport de forces entre le bloc armée/FLN et ceux qui appuient le président ainsi que l'aile « modérée » et « moderniste ».

Dans le domaine énergétique, il n'y a pas grand-chose à attendre de spectaculaire de l'Algérie (qui a signé un accord avec le groupe italien ENI) car les capacités de production sont limitées par un manque critique d'investissements. La récente annonce de la découverte de trois gisements de pétrole et de gaz par la Sonatrach en juillet 2022 améliorera à terme la situation algérienne mais il faudra attendre encore pour la mise en production.

Soyons donc patients et lucides, sans préjugé dans un sens ni un autre.


[1] Gilles Kepel, Que faut-il retenir du voyage d'Emmanuel Macron en Algérie ?, Le Grand Continent, Paris, 29 août 2022.