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Éditorial - Qu’attendre du G7 en matière environnementale ?

19/02/2022

Par Bertrand Badie, professeur émérite des Universités à Sciences Po Paris


Avertissement

Ce texte est l'éditorial de la Revue Diplomatique n°16 de l'Institut d'études de géopolitique appliquée, disponible à la commande ici

Comment citer cette publication

Bertrand Badie, « Qu'attendre du G7 en matière environnementale ? » (éd.) in Revue Diplomatique n°16, 2021-2031 : Une décennie cruciale dans la géopolitique du changement climatique, Paris, Janvier 2022


Le G7 appartient à cette vieille tradition de la diplomatie de club, familière de notre histoire occidentale. Fidèle reflet du jeu de l'associé-rival, elle vise la concertation, à animer la compétition interétatique, mais aussi à la contenir dans des bornes raisonnables, à minimiser les périls dont elle est porteuse, tout en optimisant les gains que chaque membre du club peut retirer des effets de concurrence. Elle se distingue du multilatéralisme, en se faisant faiblement inclusive, voire oligarchique et donc peu portée sur la diversité des identités et des intérêts : le terme de « minilatéralisme » qu'on lui accole est, de ce point de vue, très évocateur ; celui de connivence exprime ces accords tacites et informels dont elle est coutumière (Badie, 2011).

C'est dire qu'a priori, le G7 s'accommode difficilement d'une gestion concrète et efficace des enjeux globaux, à l'instar des questions sanitaires ou environnementales. Portée sur la puissance et sa valorisation, l'instance n'est pas prompte à renoncer aux avantages liés à une telle posture. Défensive et conservatrice, elle se méfie de ce qui a trait à la mondialisation ou du moins qui défie son propre périmètre de puissance traditionnelle. Informelle, elle ne décide pas mais échange, s'informe sur la position de chacun : elle est peu encline à se mettre au service du multilatéralisme global qu'elle redoute et dont elle est même une sorte de contrepoint... Autant de traits qui ne facilitent pas son entrée dans le nouveau monde de la globalité, qui retiennent les questions débattues dans les sentiers étroits de l'entre-soi et des intérêts partagés, selon un déroulé qui s'est amorcé avec la sainte Alliance, pour se poursuivre avec le Concert européen et rebondir, dès 1975, avec l'affaiblissement de l'hégémonie américaine, la crise de gouvernance du camp occidental frappé par les péripéties du dollar, aboutissant à la création de ce qui était alors le G6.

Cependant, installée dans le jeu international, la diplomatie de club ne peut pas ignorer les crises qui s'y dessinent, au risque de perdre de son autorité : le G7 ne peut que difficilement éluder les grandes questions qui viennent à être publiquement débattues. Il a été ainsi progressivement amené à jouer une partie quelque peu inattendue, favorisant inévitablement la publicisation d'enjeux qui ne lui sont pas prioritaires, les inscrivant de facto sur l'agenda international, les captant même parfois pour servir les intérêts stratégiques de certains de ses membres. Cette logique de l'engagement forcé peut même conduire à des amorces de décision, plus déclaratives que réelles, mais passages obligés d'une gouvernance globale, à terme inévitable.

La difficile rencontre de la puissance et des biens communs

Rien n'est en fait plus antagonique que l'idée de puissance et celle de bien commun à laquelle s'apparentent les questions environnementales. La première s'est construite dans l'histoire sur l'idée de pourvoir chaque État d'une capacité suffisante pour satisfaire ses besoins, soit en protégeant ses propres ressources, soit en s'en dotant avec succès. Le pari incluait naturellement l'aptitude à imposer aux autres les externalités liées à cet exercice, y compris sous forme de nuisance. C'est bien dans cette ligne que les plus grandes puissances ont toujours été les plus grands pollueurs : les sept pays concernés sont à eux seuls responsables de plus du quart des émissions mondiales de CO2 tout en ne couvrant que 9 % de la population du globe ! Les seules centrales à charbon détenues par les pays du G7 émettent deux fois plus de ces gaz que ne le fait l'ensemble de l'Afrique (Oxfam, 2005).

À quoi s'ajoute un autre blocage : la puissance consacrée tend à réagir, le cas échéant, à l'exigence de gouvernance mondiale en s'arrogeant naturellement le rôle de médiateur international, de producteur de règles, en s'autoproclamant, selon la formule célèbre de Robert Gilpin, « benign leader » (leader bienveillant), assurant par elle-même la sécurité et le bien-être de tous (Gilpin, 1987). On peut émettre l'hypothèse que le coût lié à l'éventuelle recherche du bien commun est dès lors compensé par l'élargissement du projet hégémonique qui implique évidemment l'acquisition par le plus fort de nouveaux bénéfices individuels. On contourne le multilatéralisme (les États-Unis refusèrent d'adhérer au protocole de Kyoto), pour tenter de forger soi-même de nouvelles normes jugées avantageuses.

Dernière considération qu'on ne saurait négliger : la diplomatie de club est une diplomatie d'ajustement consistant à concilier les intérêts propres à chacun de ses membres. Or les sept n'ont évidemment pas les mêmes attentes en matière d'environnement. On doit noter que le Japon, le Canada et surtout les États-unis restent très dépendants d'un approvisionnement énergétique majoritairement d'origine fossile, dont la conversion est coûteuse non seulement financièrement mais aussi socialement : c'est bien ce constat qui a inspiré la politique populiste développée par Donald Trump, dont on voit mal comment son successeur pourrait s'affranchir totalement sans en payer un prix électoral élevé. Les trois Européens doivent de même compter avec les économies d'Europe centrale, très dépendantes du charbon et à même de bloquer toute politique de réduction drastique des GES au sein de l'Union. Autant de discordes qui installent, comme souvent, la diplomatie de club dans une prédisposition à la non-décision et au statu quo.

Le jeu subtil de la diplomatie déclaratoire

Conçu à l'origine pour tenter de surmonter la crise du dollar, le G7 a dû néanmoins élargir son agenda en fonction des contextes. Ainsi le vent néo-libéral, sous la pression notamment de Margaret Thatcher, l'a conduit à abandonner les questions de régulation économique au profit des questions stratégiques et géopolitiques dès l'aube des années quatre-vingt (Afghanistan à Venise en 1980, Euromissiles à Williamsburg en 1983, destin de l'URSS, à Londres, 1991). Les enjeux globaux mirent plus de temps à s'imposer : même si quelques références au climat apparaissent de façon récurrente, dès le Sommet de l'Arche, à Paris (1989) et surtout avec celui de Houston l'année suivante (Hajnal, 2008), il fallut attendre Lyon et les questions de développement (1996) pour aborder substantiellement les enjeux de sécurité globale, puis Gênes (2001) pour se saisir de la situation sanitaire en Afrique. On était alors dans un contexte nouveau, marqué en même temps par une montée remarquable de la mobilisation des sociétés civiles et des ONG (très présentes à Gênes, dans une ambiance d'affrontement), par les débats autour de la Déclaration du Millénaire conduisant bientôt à l'adoption par l'ONU des « objectifs du développement durable » (OMD) : Kofi Annan était d'ailleurs présent à ces sommets pour veiller au grain. La preuve était faite que la diplomatie de club devait suivre le mouvement, au moins de manière symbolique.

Mais ce n'est qu'en 2005 que les questions environnementales viennent réellement s'installer au cœur des travaux du groupe, à l'occasion du sommet de Gleneagles (Ecosse). L'échéance est remarquablement tardive pour le club quand on sait que la Commission Brundtland sur le « développement durable » s'était saisie de ces questions, dans le cadre onusien, dès 1983. Plusieurs facteurs expliquent que, trente ans après sa création, le G7 (alors G8) reconnaisse enfin les questions climatiques comme relevant de sa compétence : la pression croissante de l'opinion publique et des ONG environnementales, mobilisées à l'époque autour du thème de la déforestation et du « nuage brun d'Asie » ; l'impulsion multilatérale, l'ONU et la FAO s'étant saisies la même année de la première de ces questions, la qualifiant « d'alarmante » ; le choix diplomatique de la présidence britannique qui cherchait à s'afficher comme leader en la matière jusqu'à porter pour la première fois la question devant le Conseil de sécurité des Nations unies, en avril 2007. La diplomatie de club, selon son habitude, se trouvait ainsi dans une posture réactive, voire suiviste, contrainte, pour garder son leadership, de s'inscrire dans un air du temps qu'elle ne contrôlait plus vraiment mais qu'elle cherchait à canaliser en fonction de ses intérêts et sous la conduite de certains de ses membres qui tentaient de transformer ainsi une entrave en opportunité politique. Notons dès à présent que l'opération se renouvellera en 2021 en Cornouailles, lorsque la même présidence britannique mit les mêmes thèmes en avant, comme pour mieux préparer la future COP26 qui devait se tenir à Glasgow quelques mois plus tard. Il reste que ce jeu tourmenté présente deux effets positifs : une publicisation renforcée de la thématique et une spirale d'engagements, certes mesurée mais difficilement effaçable.

La publicisation est loin d'être négligeable en relations internationales : elle consiste à faire reconnaître un enjeu comme étant un élément incontournable de l'agenda international et de le faire savoir à l'opinion publique et à la société civile. Elle impose des contraintes à ceux qui en prennent l'initiative. De ce point de vue, l'adoption, en 2005, du Gleneagles plan of action : climate change, clean energy and sustainable development, lui-même suivi du Plan on Energy Security adopté à Saint Pétersbourg en 2006, constitue une rupture appréciable, même si, dans la parfaite ligne de la diplomatie déclaratoire propre aux clubs, ces deux documents exprimaient des intentions plus que des engagements concrets et a fortiori contraignants. Le point majeur du document adopté à Gleneagles est la reconnaissance de la nature scientifique du concept de changement climatique, interdisant ainsi aux gouvernements des attitudes climato-sceptiques et les engageant à agir de manière efficace en produisant des politiques publiques adaptées (Kokotsis, 2005). Désormais ces questions s'inscrivent dans le parcours obligé du jeu diplomatique des puissances.

Cette thématique se retrouve régulièrement, au rythme annuel des sommets suivants. Elle ne déroge pas pour autant au genre déclaratoire. La séquence 2017-2021, marquée par le désengagement de Donald Trump qui présidait alors au destin des États-Unis, a même accentué la dématérialisation des débats, notamment lors du sommet de Biarritz (août 2019). Celui des Cornouailles (juin 2021) se proposait d'aller de l'avant, suite à l'élection de Joe Biden et dans le sillage des efforts déployés par le Britannique Boris Johnson qui cherchait une victoire diplomatique préparant la COP de Glasgow. Les avancées ont été soulignées par les observateurs : un engagement des sept de diminuer de 50 % les émissions de CO2 d'ici 2030 ; une aide financière offerte aux pays les plus pauvres pour leur permettre d'assurer leur transition énergétique, la perspective de limiter à moins de 1,5°C l'augmentation de la température de la planète par rapport à l'ère préindustrielle...

Ces résultats sont significatifs des mœurs et des limites du G7 : l'engagement à terme reste préféré aux décisions immédiates, tout comme l'incitation à la contrainte, ou la promesse à l'exécution. Plus encore, le G7 vise d'abord un bénéfice politique. Dans un effort de communication, il entend appeler à « reconstruire le monde en mieux », distinguant son projet de celui de la « route de la soie » porté par la Chine, jugé peu attentif à ces préoccupations. La logique westphalienne prend le dessus, la compétition sur la globalité, le politique sur le social. Mais il reste que la diplomatie de club a dû ainsi conférer à la question climatique un brevet d'urgence qu'elle ne peut pas gérer seule, hors des 186 autres États souverains. C'est le passage au multilatéralisme qui sera alors décisif, le minilatéralisme pouvant en attendant jouer autant un rôle de frein discret que d'accélérateur affiché...

Pour aller plus loin


Badie, Bertrand, 2011, La diplomatie de connivence, Paris, La Découverte.

Gilpin, Robert, 1987, The Political Economy of International Relations. Princeton: Princeton University Press,

Hajnal, Peter, 2008, The G8 System and the G20, Aldershot, Burlington, Ashgate pub.

Kokotsis, Ella, 2005, Explaining Compliance with G7/8 Sustainable Development Commitments, 1975-2005, communication aucongrès annuel de l'International Studies Association (ISA), San Diego, Mars 2005.

Oxfam, 2005, Oxfam.org , 6 juin 2005.