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Côte d’Ivoire : une élection présidentielle encore indécise

27/07/2020

Constant Aimé Koroko, analyste au sein de la délégation Afrique subsaharienne de l'Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, s'est entretenu avec le professeur Christian Bouquet qui nous livre ses premières analyses sur une élection présidentielle encore très indécise en Côte d'Ivoire. Il est professeur émérite de géographie politique et chercheur LAM (Les Afriques dans le Monde) à Sciences Po. Bordeaux. 

Comment citer cet entretien :

Christian Bouquet, « Côte d'Ivoire : une élection présidentielle encore indécise », Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, Juillet 2020. URL : https://www.institut-ega.org/l/cote-d-ivoire-une-election-presidentielle-encore-indecise/


Constant Aimé Koroko : À 86 ans, l'ancien Président Henri Konan Bédié a été désigné candidat de son parti, le PDCI- RDA, à l'élection d'octobre 2020. Comment interpréter cette candidature et quelles sont ses chances de revenir au pouvoir ?

Cristian Bouquet : Depuis l'invalidation de la candidature de Kouadio Konan Bertin (KKB) le 3 juillet 2020, Henri Konan Bédié est le seul candidat à l'investiture comme candidat officiel du PDCI pour l'élection d'octobre 2020. Le fait d'avoir écarté son concurrent - pour des motifs « moraux » - montre qu'Henri Konan Bédié souhaite apparaître comme plébiscité par son parti.

Sa candidature peut être interprétée comme une occasion de prendre plusieurs revanches.

D'abord vis-à-vis de l'Histoire, puisqu'il avait été écarté du pouvoir par un putsch militaire (24 décembre 1999) et qu'il n'a jamais pardonné cette rupture de l'ordre constitutionnel. Il en avait d'ailleurs beaucoup voulu à la France de ne pas l'avoir aidé (mais on se souvient que le gouvernement français était en cohabitation Chirac-Jospin).

Ensuite - on le sait moins - revanche par rapport à son propre parti qui ne l'avait pas désigné comme candidat officiel pour l'élection d'octobre 2000 lors de sa convention du 19 août 2000 (il n'était arrivé que second lors de la primaire, avec 27 % des suffrages, contre 36 % au colonel-major Émile Constant Bombet, et 14 % à Mohamed Lamine Fadika). Les trois prétendants s'étaient néanmoins tous présentés, mais avaient été recalés par la Cour Suprême. On découvre à cette occasion que Bédié avait commis en 2000 ce qu'il craint de KKB : se présenter contre l'avis du parti.

Enfin, revanche à la suite du malentendu qui avait suivi l'Appel de Daoukro (17 septembre 2014) dans lequel il appelait les électeurs du PDCI à voter pour Alassane Ouattara lors de l'élection présidentielle d'octobre 2015, mais indiquait que l'élection suivante devrait donner lieu à une candidature unique de son parti.

Ses chances de revenir au pouvoir sont difficiles à estimer. Il semble clair qu'il ne peut pas gagner seul (il n'avait rassemblé que 25 % des suffrages au 1er tour de l'élection de 2010), même si son parti reste solidement implanté et bien structuré dans le pays.

L'alliance qui se dessine entre le PDCI et le FPI n'a encore jamais été testée dans les urnes, sinon lors des élections départementales de 2002 dans quelques circonscriptions. Une autre alliance avec le parti de Guillaume Soro est tout aussi floue.

Le décès du candidat du RHDP (8 juillet 2020) pourrait néanmoins rebattre les cartes.

C.K : L'allègement des conditions de liberté provisoire de l'ex-Président de la République Laurent Gbagbo rebat-elle les cartes de la prochaine échéance électorale ?

C.B : Ce serait surtout son acquittement définitif qui pourrait rebattre les cartes, d'abord au sein du FPI - qui reste toujours divisé en deux voire trois blocs - et ensuite sur le théâtre politique, avec l'interrogation qui demeure sur la présence d'un candidat du FPI au 1er tour. Un accord sur le report des voix du candidat éliminé vers le candidat qualifié ne débouchera pas forcément sur une simple addition des suffrages. À ce stade, on ignore d'ailleurs qui serait qualifié (PDCI ou FPI ?), et on note que le RHDP entend gagner dès le 1er tour.

C.K :  Certains avancent que la Commission Electorale Indépendante (CEI) serait composée à plus de 80% de représentants du parti au pouvoir (le RHDP). L'opposition parle d'une CEI non consensuelle. Pensez-vous que les conditions d'une élection transparente et inclusive soient réunies ?

C.B : Ce pourcentage n'est pas tout à fait juste, mais, quel qu'il soit, ces commissions suscitent toujours des polémiques, voire des plaintes en justice (Cédéao). Il faut conserver à l'esprit que, dans une démocratie mature, cette structure n'a aucune raison d'être puisque c'est le ministère de l'Intérieur qui organise les élections, et les résultats ne sont jamais contestés (dans la mesure où chaque électeur peut assister au dépouillement dans son bureau de vote, photographier le PV s'il le souhaite, et vérifier que cela correspond au résultat officiel tel qu'il sera publié).

La simple présence dans le processus d'une commission électorale, qui ne pourra jamais être « indépendante », est source de contestations.

Mais, en théorie, elle n'empêche pas la consultation d'être transparente et inclusive. On rappellera qu'en 2010, la CEI était majoritairement composée de partisans de Laurent Gbagbo (qui en avait nommé son président), et qu'elle a pourtant donné un résultat qui lui a été défavorable.

C.K : Quelles stratégies pour l'opposition dans sa conquête du pouvoir par les urnes en octobre prochain ?

C.B : D'abord il lui faut être présente dans toutes ses composantes, car les précédents scrutins ont été boycottés par une partie importante du FPI. Ensuite il lui faudra mettre en place une stratégie d'union des forces opposées au RHDP, soit dès le 1er tour - mais aucun leader n'est suffisamment charismatique pour coaliser des électeurs aussi différents - soit pour le 2ème tour, mais là encore l'automaticité des reports de voix n'est pas garantie.

On rappelle qu'en 2010 le candidat du RDR n'avait pas bénéficié de la totalité des voix du PDCI au second tour, et qu'il n'avait creusé l'écart sur le candidat FPI que grâce à une surmobilisation de ses électeurs.

Mais il convient aussi - et peut-être surtout - d'évoquer les programmes. Et notamment d'analyser ce qui sépare les principaux candidats. Pour le moment, on doit se contenter des couleurs politiques : le RHDP et le PDCI sont libéraux, et on ne voit pas où se différencient leurs idées.

Le FPI est « socialiste » (même s'il est actuellement, depuis 2011, suspendu de l'Internationale Socialiste), et devrait faire des propositions de nature plus étatistes et interventionnistes notamment dans le domaine social. Comment se fera alors l'alliance avec le PDCI ?

Il est important de souligner que, pour le moment, cette élection se focalise sur des hommes et non pas sur des projets de société. On touche les limites des démocraties africaines, qui ne débattent pas sur l'essentiel.

C. K. De plus en plus de cyber activistes sont actifs sur les réseaux sociaux à partir des pays étrangers, notamment la France. Croyez-vous que la diaspora a un véritable rôle à jouer pendant la campagne électorale ?

C. B : La diaspora et les cyber-activistes sont deux entités différentes.

La diaspora constitue un stock d'électeurs potentiels important, mais dont la plupart ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Attendons de voir les résultats de l'enrôlement de juin-juillet 2020, dont on remarquera qu'il a été prolongé par rapport au calendrier initial. Par contre, les gens de la diaspora peuvent animer médiatiquement la campagne à partir de leurs lieux de résidence, notamment la France, qui lui ouvre un grand nombre de médias (spécialisés ou grand public), avec des retombées immédiates par les canaux satellitaires en Côte d'Ivoire.

Les cyber-activistes constituent une nébuleuse difficile à cerner, mais dont le rôle est de plus en plus important dans les élections, notamment africaines. Les candidats l'ont bien compris, et les réseaux sociaux regorgent d'influenceurs et créateurs de fake news qui vont empoisonner la campagne. Naturellement, les réseaux russes seront à la manœuvre, mais nul ne sait encore pour quel camp ils vont rouler. On doit aussi noter les problèmes soulevés par la justice à propos de certains sites PDCI, apparemment manipulés depuis la Tunisie, sans que l'on sache qui tire les ficelles.

C. K. : Après l'attaque de Kafolo le 11 juin 2020 et la menace djihadiste, quelle est la place des enjeux sécuritaires dans ces joutes électorales ?

C.B : L'attaque de Kafolo est le premier « coup dur » attribué à la nébuleuse djihadiste depuis plus de 4 ans (l'attentat de Grand-Bassam en mars 2016). C'est effectivement un avertissement à prendre en compte pour la sécurisation de la campagne et des opérations électorales.

On rappelle que des élections présidentielles précédentes (2010 et 2015) avaient bénéficié de l'appui des troupes de l'ONUCI. Cette fois-ci, la Côte d'Ivoire devra compter sur ses seules forces de l'ordre.

Concernant la menace terroriste, elle fait partie des préoccupations des services spécialisés depuis plusieurs années. Il est parfois difficile de distinguer les agissements des coupeurs de route, des ex-combattants plus ou moins bien réinsérés, et des véritables djihadistes. Il est probable que la zone de la réserve de la Comoé fera l'objet d'une vigilance particulière, de même que la frontière avec le Mali.