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Chronique d’une guerre oubliée en Europe : Le septième anniversaire du rattachement de la République autonome de Crimée

23/03/2021

Par Céline Lucas, juriste


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© Photographie : afp.com/Dmitry Serebryakov

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Céline Lucas, « Chronique d'une guerre oubliée en Europe : Le septième anniversaire du rattachement de la République autonome de Crimée », Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, Mars 2021


Le 18 mars 2021 a marqué le septième anniversaire du rattachement de la République autonome de Crimée à la Fédération de Russie. Cet évènement qui n'a cessé d'être contesté sur le plan international est une des suites de l'embrasement qui a frappé l'Ukraine dès le mois de février 2014. Le 14 janvier 2021, la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé partiellement recevable la requête déposée par l'Ukraine à l'encontre de la Russie à la suite de cette annexion. Retour sur les origines de ce véritable brasier géopolitique.

Les origines de la République autonome de Crimée

Prisée depuis l'antiquité, cette péninsule est notamment envahie successivement par les Goths, les Huns, les Khazars. Les Tatars, d'origine mongole, sont une des premières ethnies à s'y installer durablement après les invasions mongoles, après quoi cette région est placée sous le protectorat de l'Empire ottoman.

Ce territoire passe dans le giron de la Russie de Catherine II en 1783, après de longues années de guerre russo-turque (1768-1774). Très rapidement, les Tatars de Crimée vont subir des persécutions, des déportations et vont s'exiler pour la majorité vers l'Empire ottoman. C'est également durant cette période que le port de Sébastopol, source de grandes tensions dans l'ère contemporaine, est construit.

En 1853 débute la guerre de Crimée. Elle dure plus de trois ans, opposant les vainqueurs - l'Empire ottoman, l'Angleterre et la France - au perdant, la Russie. Ce n'est qu'en 1917 que la Crimée devient république socialiste soviétique de Crimée, à la suite de la révolution en Russie d'Octobre 1917. Les persécutions à l'égard des Tatars continuent ainsi que les déportations lors de la phase intensive de soviétisation de 1928 à 1939.

Joseph Staline décide en 1944 du bannissement de tous les Tatars de Crimée à travers de grandes déportations en Ouzbékistan, sous prétexte de collaboration avec l'ennemi allemand. La Crimée se voit peuplée majoritairement par les Russes.

À l'occasion du 300ème anniversaire de la réunification russo-ukrainienne, l'oblast de la Crimée est rattaché à la République soviétique d'Ukraine en 1954 pour des raisons essentiellement géographiques et économiques. La Crimée dispose en effet d'un rattachement à l'Ukraine par une petite bande de terre et est devenue une région exsangue au niveau budgétaire à la suite des nombreux conflits traversant celle-ci. Cela a uniquement des conséquences administratives. En 1991, année de l'indépendance de l'Ukraine, les conséquences administratives évoluent en conséquences territoriales : la Crimée appartient désormais à l'Ukraine, indépendante de la nouvelle Russie.

Très rapidement, en février 1991, la Crimée bénéficie d'un statut autonome au sein de ce nouvel État : la République autonome de Crimée. Ce statut spécial lui assure son propre gouvernement, son propre Parlement, son propre budget et sa propre constitution. Sebastopol bénéficie également d'un statut de ville autonome.

Les origines du referendum en Crimée : un pays sous révolution

Ces tensions trouvent leur origine en novembre 2013. Après cinq ans de négociations entre 2007 et 2012 avec l'Europe en vue de conclure un accord d'association entre l'Ukraine et l'Union européenne (comprenant des aspects politiques et surtout économiques), le président Ukrainien Viktor Ianoukovitch refuse de signer et se tourne vers le voisin Russe. Des manifestations pro-européennes éclatent, une partie de la population se sentant trahie conteste la décision d'un Président qui avait promis, lors des élections, le rapprochement avec l'Europe. Le mouvement Euromaïdan est né et l'Ukraine s'enflamme. Les manifestations ne cessent de se multiplier à Kyiv, proportionnellement à la répression par le pouvoir. Le 21 février 2014, après une énième nuit de violences et de nombreux morts, le Président Viktor Ianoukovitch prend la fuite en Russie. Il est destitué par la Rada (Parlement Ukrainien) le lendemain et remplacé par Alexandre Tourtchinov, président par intérim. Cette nomination est contestée dans la partie orientale de l'Ukraine, à composante essentiellement russophone.

Dans le même temps, la Rada abroge la loi linguistique de 2012 qui accordait un statut de langue régionale si au moins 10% de la population d'une région était constituée de locuteurs de la langue visée. La langue russe obtiendra ce statut au sein de 13 régions de l'Ukraine dont la République autonome de Crimée (77%), Donetsk et Luhansk (50%). Ces régions ont fait l'objet sous le régime Stalinien de déplacements de populations, comme durant la famine qui sévit cette partie de l'Ukraine en 1930 ou encore durant la déportation des tatares de Crimée. Cela met le feu aux hostilités en Crimée, sous l'égide de la Russie, qui considère ce geste comme une provocation et une menace de la population russophone d'Ukraine. Cet argument d'autodéfense est utilisé par la Russie pour autoriser le recours à la force armée et l'envahir dès le mois de mars. Des affrontements entre pro-russes et pro-ukrainiens s'en suivent.

À la suite d'un supposé référendum d'autodétermination le 16 mars 2014, la Crimée est rattachée à la Fédération de Russie le 18 mars, ce qui n'a jamais été reconnu ni par l'Ukraine, ni par l'Union européenne. Plus de 95% des répondants se sont prononcés en faveur du rattachement à la Russie. Ce chiffre peut cependant être relativisé, de nombreux témoignages font état de la présence de militaires Russes autour de ce référendum.

Les différents intérêts en Crimée

Il est certain que l'intervention de la Russie en Crimée traduit des intérêts économiques, stratégiques et patriotiques.

Économique car la Russie a acquis une zone maritime très conséquente en mer Noire, ce qui lui donne accès à des puissantes sources de pétrole et de gaz. Cela lui assure une position confortable au niveau stratégique à l'égard des pays Occidentaux et un bon moyen de pression à l'égard de l'Ukraine. Alors que la Crimée « offerte » en 1954 sort de nombreuses guerres, vidée de sa population (les tatars) et représente un poids au niveau économique, ce n'est plus le cas de la République autonome actuelle.

Stratégique car la Russie dispose d'une flotte à Sebastopol en mer Noire, traduction d'une obsession traditionnelle de l'accès aux mers chaudes pour sa flotte, depuis la création de la ville sous le règne de Catherine II. En 2010, l'accord de Kharkiv est signé entre Viktor Ianoukovitch et la Russie convenant de la location de Sebastopol jusqu'en 2042 au profit de la Russie en échange d'une diminution de 30% sur le prix du gaz pour les prochaines années.

Patriotique enfin, car la Crimée représente un pan de l'Histoire de la Russie et de l'affirmation de son hégémonie. Conquise en 1783 par Catherine II, elle a vu également la création de Sebastopol quelques années après, dans le but de lui assurer l'accès aux mers chaudes et de s'affirmer comme puissance navale. Sebastopol fut également le théâtre important de l'affirmation du patriotisme russe durant la guerre de Crimée ou la Seconde Guerre mondiale.

Réactions internationales

Dès le recours à l'utilisation de la force armée en Crimée par la Russie, de nombreuses condamnations diplomatiques ont afflué. 

Le Conseil de sécurité de l'ONU a tenté à plusieurs reprises de régler la situation en Crimée, mais s'est toujours heurté au véto de la Russie.

L'Assemblée générale de l'ONU avait quant à elle souligné en 2014 à propos de ce referendum qu'il « n'avait aucune validité et ne saurait servir de fondement à une quelconque modification du statut de la République autonome de Crimée ou de la ville de Sebastopol » (Résolution 68/282).

En décembre 2020, elle adopte une nouvelle résolution (non contraignante) enjoignant à nouveau la Russie de mettre fin à son occupation de la Crimée et rappelle la violation du droit international.

Le conseil de l'Union européenne applique depuis 2014 des mesures restrictives individuelles (gel des avoirs, etc.), des mesures diplomatiques, des restrictions en matière de relations économiques avec la Crimée et Sebastopol, des sanctions économiques ciblant les échanges avec la Russie dans des secteurs économiques spécifiques ou encore des sanctions en matière de coopération économique.

Dernièrement, à la suite d'une requête déposée par l'Ukraine à l'encontre de la Russie relative à l'annexion de la Crimée, le 14 janvier 2021, la Cour européenne des droits de l'Homme l'a jugée partiellement recevable et sera amenée à se positionner sur la question.

L'avenir nous dira si le droit international peut faire face à ces violations constantes, où les seules réponses juridiques, diplomatiques et politiques ne suffisent manifestement plus. Cela viendrait probablement éroder la conviction première des dirigeants que le droit demeure la seule issue possible afin de réguler les relations interétatiques.