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2024 : annus horribilis ?

08/01/2024

Par Alexandre Negrus, président de l'Institut d'études de géopolitique appliquée et Yohan Briant, directeur général de l'institut.   


Comment citer cette publication

Yohan Briant, Alexandre Negrus, 2024 : annus horribilis ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 8 janvier 2024

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La photographie d'illustration est un choix de la rédaction.


L'élection présidentielle taïwanaise du 13 janvier 2024 n'aura pas eu le temps d'être le premier événement géopolitique marquant de cette nouvelle année. Le 2 janvier, une frappe israélienne à Beyrouth tue Saleh al-Arouri, numéro deux du Hamas. C'est le deuxième assassinat ciblé d'Israël depuis le début de la guerre puisque Razi Moussavi, le plus haut gradé du corps des gardiens de la révolution iraniens en Syrie, a été tué par des missiles israéliens le 25 décembre 2023 à Damas, en Syrie. Le 3 janvier 2024, un autre événement majeur est intervenu dans la région, à savoir un attentat revendiqué par l'organisation État islamique à Kerman, en Iran. Cette attaque est intervenue à l'occasion de la célébration du quatrième anniversaire de la mort de Qassem Soleimani, figure charismatique des gardiens de la révolution, que l'État islamique tient pour responsable de ses débâcles en Syrie et en Irak. Cette attaque, si elle est la plus meurtrière sur le sol iranien depuis 1978, n'est toutefois pas la première opération de l'État islamique en Iran. Le groupe terroriste a frappé le 7 juin 2017 à Téhéran, le 22 septembre 2018 à Ahvaz et le 26 octobre 2022 à Chiraz.

La guerre de haute intensité entre le Hamas et Israël reste confinée à la bande de Gaza et les discours belliqueux du Hezbollah, autrement plus puissant que le Hamas, demeurent des postures politiques et symboliques. En ce début d'année, la guerre entre Israël et le Hamas est entrée dans son quatrième mois et les autorités militaires israéliennes, après avoir massivement bombardé le nord de la bande de Gaza, concentrent désormais leurs forces dans le centre et le sud de la bande. Israël positionne également des soldats à la frontière libanaise, sous haute tension en raison des tirs de missiles du Hezbollah. Une escalade que de nombreuses puissances redoutent, alors que les États-Unis s'activent pour éviter un nouveau front. La situation au Proche-Orient, qui met également le commerce international sous tension en mer Rouge, sera parvenue à éclipser l'adhésion de l'Iran, de l'Égypte, de l'Éthiopie, de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis au groupe désormais connu sous le nom de BRICS+, officialisée le 1er janvier mais validée à l'occasion du 15e sommet d'août 2023. L'Argentine en faisait alors partie, avant que le nouveau président Javier Milei ne décide de s'en retirer.

Les événements géopolitiques de cette première semaine de janvier 2024 se répercutent pourtant les uns aux autres. La guerre Israël-Hamas propulse à nouveau la question palestinienne sur le devant de la scène internationale, alors que les accords d'Abraham s'étaient en partie fondés sur la perspective qu'il était possible de maintenir cette problématique au second plan. Des propositions sur la gouvernance de la bande de Gaza après la guerre commencent à être formulées, sans perspective crédible et durable à ce stade. Quant aux États du Golfe, ils continuent d'avancer le long d'une dangereuse ligne de crête : alliés historique des États-Unis, ils entretiennent aujourd'hui une grande proximité avec la Chine, qui demeure de loin la principale puissance économique des BRICS+.

Faut-il pour autant faire des BRICS+ un club pro chinois de puissances intermédiaires, unies dans leur désir commun de renverser l'ordre établi et de s'affranchir de l'universalisme véhiculé par un occident qualifié de moribond, voire de dégénéré ? La réalité est autrement plus complexe, d'une part en raison de la diversité de profils des États faisant partie ou s'étant positionnés pour intégrer les BRICS+, ce qui les conduit parfois à défendre des intérêts divergents ; d'autre part car le discours privilégiant le rapport de force au détriment du respect des normes internationales est également véhiculé par des forces politiques au sein même des puissances occidentales, ou alignées.

Au-delà d'un groupement hétéroclite de puissances disparates, l'évolution des grands enjeux géopolitiques des prochaines années risque fort de déprendre du résultat des nombreuses élections que compte l'année 2024. Les scrutins de la fin d'année dans l'est de l'Europe (législatives en Roumanie, en Géorgie, présidentielles en Roumanie et en Moldavie) résonnant avec l'alternance qui s'est produite en Pologne et en Slovaquie, risquent de peser sur la cohésion européenne au regard du soutien essentiel à apporter à l'Ukraine. Les élections européennes vont redéfinir le visage politique de l'Union européenne et de ses institutions. L'année 2024 sera cruciale pour l'Ukraine, qui n'a plus de perspectives dans la guerre contre son agresseur russe en l'absence d'un soutien de poids des États-Unis et de l'Union européenne. Vladimir Poutine, assuré d'être réélu à la présidence de la Fédération de Russie, sait que le temps joue contre l'Ukraine et attend patiemment un effritement des occidentaux sur la question ukrainienne tandis qu'ils sait pouvoir compter sur de meilleures capacités démographiques, industrielles et financières. En Asie, si le scrutin taïwanais ne devrait pas profondément modifier le positionnement de l'île vis-à-vis de la Chine, les élections législatives du sous-continent indien (Pakistan, Inde, Bangladesh) seront également lourdes de conséquences pour la stabilité régionale, alors que le monde se tient également dans l'attente du scrutin américain du mois de novembre. En définitive, ce sont 2 milliards d'électeurs qui seront appelés aux urnes cette année dans 70 pays. Dans ce cadre électoral global, la guerre de l'information va également atteindre son plus haut seuil d'intensité.

2024 annus horribilis ? Au-delà de l'impact direct et plus ou moins durable des problématiques géopolitiques sur nos sociétés, l'enjeu de ces différents scrutins réside dans l'avenir de nos régimes démocratiques, dans l'acceptation des valeurs qui les sous-tendent et dans les sacrifices que nous serons prêt à consentir pour les voir perdurer.