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Le sommet de Djeddah sur le conflit russo-ukrainien : quels objectifs pour l’Arabie saoudite ?

21/08/2023

Par Alexandre Negrus, président de l'Institut d'études de géopolitique appliquée et Yohan Briant, directeur général de l'institut. 


Comment citer cette publication

Yohan Briant, Alexandre Negrus, Le sommet de Djeddah sur le conflit russo-ukrainien : quels objectifs pour l'Arabie saoudite ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, Paris, 21 août 2023

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Les 5 et 6 août 2023 à Djeddah, l'Arabie saoudite a accueilli un sommet sur le conflit russo-ukrainien. Alors que les nations arabes sont restées généralement neutres depuis le 24 février 2022, notamment en raison de leurs liens militaires et économiques avec la Russie, ce sommet mérite une attention particulière. Au-delà des pourparlers au sujet du conflit entre Kiev et Moscou, il faut voir en ce sommet un acte diplomatique fort de la part de l'Arabie saoudite, tentant à son tour de tirer son épingle du jeu. Les initiatives pour la paix se multiplient, mais celle-ci s'inscrit dans le fameux « processus de Copenhague ». Le 24 juin 2023, un premier sommet aux ambitions similaires s'est tenu au Danemark. Le sommet de Djeddah a permis au Brésil, à l'Inde ou encore à l'Afrique du Sud – pays des BRICS, de prendre place à la table des discussions. La présence de la Chine est également à noter. L'Ukraine était représentée, ce qui ne fut pas le cas pour la Russie. En tout état de cause, le « Sud global » était représenté en Arabie saoudite, permettant à des États non-alignés et neutres de prendre part aux discussions. Ce rendez-vous diplomatique en terres saoudiennes n'aura évidemment pas d'incidences à court terme sur les opérations militaires. Il est toutefois significatif de la volonté de l'Arabie saoudite de fédérer le Sud pour peser sur les affaires du monde à l'aune de la guerre d'Ukraine, après les tentatives, dernièrement, de la Chine, du Brésil ou encore de la Turquie.

L'Arabie saoudite a comme objectif d'être plus qu'une puissance pétrolière. Elle se targue désormais de fédérer les pays émergents dans le cadre d'une médiation diplomatique. Est-ce surprenant alors que Riyad manifeste sa volonté de rejoindre le club des BRICS ? Ce dernier, à l'issue de son sommet du 22 au 24 août en Afrique du Sud, deviendra-t-il le club des BRICSS ? Il est définitivement acquis que l'Arabie saoudite se situe à un tournant de sa politique étrangère, à l'instar du récent rétablissement de ses relations diplomatiques, le 10 mars 2023, avec l'Iran. Son plan Vision 2030 affiche une ambition : prendre un tournant géoéconomique. Elle cherche à rompre avec la rente pétrolière, laquelle permet de financier son modèle de demain. C'est essentiellement cette rente qui lui permet de financier ses guerres, notamment celle contre le Yémen pour garantir sa profondeur stratégique.

La guerre d'Ukraine constitue un moyen de s'affirmer sur la scène internationale. L'emploi d'outils de communication afin de contribuer à l'effort de guerre précède largement le développement des médias de masse, d'internet et des réseaux sociaux. Son utilisation systémique dans le cadre de la guerre d'Ukraine mérite d'être soulignée. Depuis plus d'un an, les belligérants et leurs soutiens, civils ou militaires, nourrissent régulièrement les médias de tous types en communiqués, accusations et démentis, parfaitement au fait de l'impact que ce traitement est susceptible d'avoir sur le terrain. L'affrontement de deux narratifs irréconciliables, construits autour de sentiments puissants auxquels il est facile de s'identifier, contribue à dessiner l'image d'un conflit insoluble, où chaque coup doit être rendu et qui ne pourra s'achever que par la victoire d'un camp et la capitulation de l'autre.

Il s'agit là d'un élément non négligeable de l'un l'autre des deux narratifs en présence. Loin de la ligne de front et sous le regard bienveillant, quoique distant, de l'Organisation des Nations unies, les tentatives de médiation se multiplient pourtant depuis le début du conflit. Après l'échec d'Emmanuel Macron, dont la tentative initiale s'est recyclée dans le projet de Communauté européenne, Recep Tayip Erdogan est parvenu à la conclusion d'un accord autour d'une réalité dont la question alimentaire ne représente qu'une partie : la guerre d'Ukraine affecte le monde entier, y compris les États qui font le choix de ne pas s'impliquer.

L'accord sur l'exportation des céréales a fait long feu mais cette réalité a depuis parcouru du chemin. Aux quinze représentants présents à Copenhague lors de la réunion fin juin 2023 succèdent quarante pays. Malgré l'absence de déclaration commune, on peut louer la mise en place de groupes de travail sur des thématiques de sécurité commune telles que la sûreté nucléaire et la sécurité alimentaire mondiale, ainsi qu'autour de la libération de prisonniers. Il faut garder à l'esprit que le temps de la paix s'écoule beaucoup plus lentement que celui de la guerre. Ce décalage de temporalité contribue à donner l'image d'une diplomatie à contretemps, voire à rebours, de la réalité d'un conflit qui, d'ici six mois, entrera dans sa deuxième année. La diplomatie et la guerre se nourrissent de symboles et s'il est encore trop tôt pour mesurer l'impact que ces groupes pourraient avoir, le sommet en lui-même est déjà un événement significatif.

La présence de 17 États européens est un signal fort qui témoigne d'une certaine lassitude, sinon d'une volonté de hâter au plus vite la résolution du conflit. Comment leur en vouloir, à un an de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis et alors que l'inflation se maintient à un haut niveau ?

Au-delà du succès ou non de la contre-offensive ukrainienne, qui, là aussi, progresse selon une temporalité qui n'est pas celle des premières semaines du conflit, les européens se trouvent dans une position attentiste où chaque livraison d'armement devient de plus en plus difficile à surpasser. Alors que la Chine a rejoint le processus, accompagnée de l'Inde, de l'Afrique du Sud et du Brésil, la participation à ce genre d'initiative de paix représente, pour les européens, l'opportunité d'exister aussi en tant qu'acteur pour la résolution du conflit.