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La protection des défenseurs de l’environnement : un enjeu au croisement de l'urgence climatique et d'une répression grandissante

26/09/2024

Entretien de Maéva Obiang Ndong et Gabriel Lagrange avec Michel Forst.


Ces dernières années, de nombreux citoyens se mobilisent de différentes façons pour alerter sur les conséquences désastreuses de l'activité humaine sur l'environnement. Or cette mobilisation, certes protégée par le droit international, a donné lieu à une répression judiciaire et policière endurcie par l'émergence d'expressions telles que « écoterrorisme » ou « résistance écologiste ». En réponse à cette hausse de la criminalisation et de la persécution des défenseurs de l'environnement, Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l'environnement au titre de la Convention d'Aarhus est le premier rapporteur spécial nommé pour veiller au respect de leurs droits. 

Cet entretien, réalisé par Maéva Obiang Ndong et Gabriel Lagrange, respectivement responsable du département droit international et justice internationale et du département géopolitique du changement climatique de l'Iega, sera l'occasion d'aborder la réalité des risques encourus par les militants environnementaux ainsi que les perspectives d'amélioration de leur protection.


Maéva Obiang Ndong - Pour quelles raisons avez-vous souhaité devenir Rapporteur spécial sur les défenseurs de l'environnement ?

Michel Forst - Ce n'était pas un choix au départ puisque j'avais un autre mandat aux Nations unies en tant que Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme. Ce mandat s'est terminé en mars 2020 après deux mandats de trois ans. À ce moment-là, j'ignorais qu'un mandat sur la protection des défenseurs de l'environnement avait été créé. J'ai été approché par des États et des ONG environnementales qui pensaient que mon expérience avec un mandat similaire me permettrait d'être immédiatement effectif dans ce rôle. J'ai accepté cette proposition en disant que je ferai au moins un premier mandat. J'ai été élu par consensus en juin 2022 mais j'ai officiellement commencé mon mandat en octobre 2022.

M.O.N - En tant que rapporteur spécial sur les défenseurs de l'environnement vous avez pour mission de les protéger contre toute forme de harcèlement, persécution ou pénalisation. Quels sont les droits des défenseurs de l'environnement protégés par cette Convention et plus largement par le droit international ?

M.F - Il convient d'abord de rappeler que la Convention d'Aarhus repose sur trois piliers :

  • L'accès à l'information à Toute personne dont l'environnement peut ou va être menacépar un projet environnemental a le droit d'être informé de façon proactive.
  • La participation du public à Dès lors qu'un projet affecte votre environnement vous devez obligatoirement être consulté dans la langue que vous comprenez et vous avez le droit de vous y opposer. Même si votre refus n'a pas d'impact sur la suite du projet vous avez tout de même le droit de dire « non ».
  • L'accès à la justice environnementale.

Pour vérifier la conformité des États aux engagements pris par la Convention d'Aarhus il y a un Comité de conformité chargé de recevoir les plaintes. Comme ce comité fonctionne de façon quasi-juridictionnelle, les procédures peuvent prendre un certain temps avant d'aboutir. C'est pourquoi, en raison des attaques multiples menées contre les défenseurs environnementaux, les États ont pensé qu'il serait utile d'avoir un mécanisme de réaction rapide sous la forme d'un Rapporteur spécial. Le but étant de répondre immédiatement aux allégations, aux plaintes de pénalisation et de persécution de la part des entreprises ou des États contre les défenseurs de l'environnement, au titre de l'article 3.8 de la Convention.

Le droit international des droits de l'Homme protège également les défenseurs par les obligations que les États ont acquises en ratifiant les traités internationaux.

M.O.N - Quels avantages vous confère votre statut de Rapporteur spécial ?

M.F - Mon rôle me permet d'être à la fois proactif, en identifiant des risques auxquels les défenseurs de l'environnement sont confrontés, mais aussi de traiter les plaintes que je reçois en utilisant les méthodes traditionnelles des Rapporteurs spéciaux.

Contrairement aux mandats des Rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l'Homme, qui sont créés sur la base d'une résolution, qui par définition n'est pas contraignante, mon mandat actuel est créé au sein d'une Convention juridiquement contraignante. Les États ont donc l'obligation de respecter toutes les dispositions de la Convention, en particulier l'article 3.8 qui porte sur la protection des défenseurs de l'environnement [1]. Cela donne une force beaucoup plus contraignante à ce mandat. Le non-respect de la Convention aura en effet des conséquences pour les États.

M.O.N - Les violations des droits de défenseurs de l'environnement sont un phénomène universel touchant l'ensemble des États, indépendamment de la région. La forme et la gravité de ces violations diffèrent-elles entre les États considérés comme démocratiques et ceux considérés comme non démocratiques ?

M.F - Je ne me pose pas la question de savoir si un État est démocratique ou non. J'interviens dans tous les pays dès lors qu'il y a des allégations relevant de mon mandat qui sont portées à mon attention. On voit toutefois qu'en Amérique latine, dans les Philippines ou certains pays d'Afrique, les menaces sur les défenseurs de l'environnement sont plus fortes avec des meurtres en assez grand nombre. Ce n'est pas tant le degré de gravité des atteintes qui implique une action de ma part. Dès lors qu'il y a un manquement à une obligation, même petit, il faut y apporter une réponse. Si l'acte n'est pas immédiatement arrêté, il y a risque d'escalade des atteintes aux défenseurs environnementaux par l'État ou l'entreprise.

C'est pour cette raison qu'en ce moment je travaille beaucoup sur les militants du climat qui utilisent des formes non-conventionnelles comme la désobéissance civile.Les atteintes à leurs droits peuvent paraître anodines au regard des meurtres en Amérique latine. On voit bien, néanmoins, que cette question met en cause le droit de manifester, la liberté d'expression, la violence policière ou encore le traitement judiciaire. Il est tout aussi important d'y mettre fin immédiatement pour éviter l'escalade. J'ai donc l'intention de m'adresser à l'ensemble des États, y compris ceux que l'on qualifie de démocratiques.

M.O.N - Avant votre mandat actuel, vous avez également été Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme. Or dans le discours public, les défenseurs environnementaux sont traités très différemment des défenseurs des droits de l'Homme à l'image d'expressions telles que « écoterroriste ». Les défenseurs de l'environnement doivent-ils surmonter des défis similaires ou complètement différents de ceux auxquels les défenseurs des droits de l'Homme sont confrontés, notamment en matière de répression ?

M.F – Les défenseurs de l'environnement sont des défenseurs des droits humains. L'Assemblée générale des Nations unies a reconnu le droit à un environnement sain et sûr comme un droit de l'Homme [2]. Si les défenseurs de l'environnement sont visés dans le monde entier, et pas seulement dans l'espace de la Convention d'Aarhus, c'est souvent parce qu'ils mettent en cause des intérêts puissants sur le plan économique. Outre l'aspect environnemental, c'est aussi une bataille économique qui se joue avec des grandes entreprises internationales qui activent des leviers auprès des États pour passer des législations de plus en plus répressives. Malgré l'émergence de dispositions prises sur le plan international pour le climat et l'environnement, les militants environnementaux sont confrontés à des intérêts économiques puissants des industries fossiles, extractives, des métaux rares, de la pêche industrielle ou de l'agro-business, etc. alors qu'ils se battent pour préserver leur environnement et leur écosystème comme la Pachamama (ou « Terre-Mère ») en Amérique latine.

Face à ces intérêts économiques puissants, les militants, qui sont souvent non-violents et désarmés sont l'objet d'attaques de plus en plus mortifères et meurtrières dans le monde entier. Ce n'est pas anodin que les militants du climat en Europe par exemple, en Grande-Bretagne avec Just Stop Oil [3] sont aujourd'hui visés par des lois très répressives qui ont, probablement, été aussi inspirées par ces intérêts économiques puissants. C'est la raison pour laquelle il faut les accompagner et les soutenir pour qu'ils puissent exercer de manière libre leur droit de manifester et de s'exprimer en utilisant parfois des méthodes qui sont un peu dérangeantes mais qui sont néanmoins protégées par le droit international. Beaucoup d'États oublient que le droit de manifester est protégé par le droit international, y compris ce qu'on appelle la désobéissance civile.

M.O.N - Vous avez constaté une répression et une criminalisation inquiétante des défenseurs de l'environnement en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne pourtant parties à la Convention d'Aarhus. Est-ce dû à une méconnaissance de la Convention d'Aarhus ou à un manque de volonté politique pour l'appliquer ?

M.F - Il est important de rappeler queje n'agis que sur plainte d'un manquement par un État partie à la Convention d'Aarhus aux obligations qu'elle prévoit. Le premier travail est de vérifier le sérieux de la plainte et sa conformité par rapport au mandat. Je vérifie aussi que le mandat n'est pas manipulé par qui que soit car les États pourraient être tentés de manipuler les mandats des Rapporteurs spéciaux. Par la suite, on engage une discussion avec l'État sous la forme d'une « Lettre d'allégation ». Cette lettre n'accuse pas l'État de ne pas respecter la Convention. Elle indique simplement que nous avons reçu des allégations selon lesquelles il y aurait des évènements qui tendraient à prouver que l'article 3.8 ne serait pas respecté. L'État a 60 jours pour y répondre. Dès lors que la réponse a été envoyée, je poursuis mon travail jusqu'à ce que le dossier soit résolu. Je me déplace parfois dans le pays et/ou engage des discussions à Genève avec la Mission permanente du pays concerné pour montrer qu'il y a eu une défaillance à laquelle l'État doit remédier en prenant des dispositions pour éviter d'autres plaintes similaires à l'avenir.

À ce jour je reçois de nombreuses plaintes de nature différente qui montrent que dans l'espace de la Convention d'Aarhus, il y a effectivement des manquements importants de la part de quelques États. Comme le mandat a une fonction extraterritoriale je peux également recevoir des plaintes de personnes se plaignant du comportement d'entreprises dans un État non soumis à la Convention d'Aarhus mais dont le siège est basé dans un des États parties à la Convention d'Aarhus. C'était le cas de l'entreprise suisse Solway Investement Group qui menaçait Carlos Choc, journaliste d'investigation au Guatemala. L'entreprise étant basée en Suisse, j'ai pu intervenir directement auprès d'elle pour les alerter et demander de mettre en œuvre des dispositions permettant de remédier à cette affaire, ce qu'elle a fait assez rapidement.

M.O.N - En juillet 2024, la condamnation des militants de Just Stop Oil et l'arrestation de Paul Watson, fondateur de l'ONG de défense des baleines Sea Sheperd ontdémontré quela protection des défenseurs de l'environnement est encore précaire. Quels seraient les progrès à réaliser pour améliorer leur protection ? Pouvons-nous être optimistes pour l'avenir ?

M.F - C'est difficile de se montrer optimiste au regard de la situation actuelle et des défis toujours plus grands sur le changement climatique et la biodiversité. Nous approchons de la 6e extinction de masse et c'est la raison pour laquelle les COP sur la biodiversité sont si importantes. Elles traitent de questions fondamentales face à la montée des menaces sur la biodiversité, le climat, l'environnement et l'humain. Il faut se battre avec les armes que le droit nous a donné mais surtout avec les armes que les États nous laissent utiliser. Le fait que les États aient décidé de créer un mandat spécialisé sur la protection des défenseurs de l'environnement est un bon signe. Il faut désormais que les États qui ont été proactifs pour la création de ce mandat le soient aussi pour mettre en œuvre nos observations et recommandations. Ce n'est pas un optimisme démesuré mais je reste confiant dans le fait qu'on aura un groupe d'États qui comprendront la nécessité d'aller plus loin.

Gabriel Lagrange - Les COP sont-elles des forums importants pour votre plaidoyer ?

M.F - Ce qui me frappe c'est que les militants du climat me disent qu'à Montréal [4], ils n'ont pas été invités à la table des négociations alors que des éléments fondamentaux concernant la faune, la flore et leur environnement y ont été discutés. Aux COP27 en Égypte et COP28 aux Émirats arabes unis, j'ai entendu les mêmes plaintes des militants du climat qui disent ne pas être inclus aux négociations. Ce sont des éléments qui interrogent les lacunes quant à la participation des communautés locales, des peuples autochtones, des défenseurs environnementaux et plus largement celles et ceux qui sont menacés dans leur vie quotidienne.

Dans ces grandes enceintes internationales, il faut une participation plus inclusive, en donnant la parole aux populations affectées. Ce qui me préoccupe beaucoup, c'est la question des peuples premiers, des populations autochtones qui sont vraiment maltraitées par les entreprises, par les États et qui méritent une attention particulière dans la préparation de ces COP. Lorsqu'ils parlent de l'environnement, ils ne parlent pas uniquement de la terre, de la mer, de l'eau ou de la forêt, ils parlent en fait de leur cosmovision. Leur terre leur appartient et il n'est pas normal que des entreprises ou des États les accaparent pour développer des projets dont ils ne veulent pas.

On a lancé une initiative avec le soutien de quelques États importants et on espère qu'elle va aboutir. Le fait que les prochaines COP se tiennent dans des États qui sont des alliés nous permet de rester optimistes. La COP16 sur la biodiversité se tiendra à Cali en Colombie avec un nouveau gouvernement colombien qui a montré son intérêt pour essayer de transformer formellement la participation des militants environnementaux et la COP30 sur les changements climatiques se tiendra à Belém au Brésil avec un gouvernement brésilien qui souhaite changer un peu la donne. Si cela fonctionne à Belém, l'Australie pourra prendre le relais lors de la COP31 pour changer le format de la participation des militants environnementaux à ces COP. Il est important que les militants environnementaux aient leur mot à dire et que les États comprennent que dans la formulation de certaines dispositions, leur voix peut aussi être reflétée.

G.L - Quel serait le message que vous tenez à faire passer lors de la COP29 ou plus largement lors des différentes COP qui auront lieu dans les prochaines années ?

M.F - Le message principal est celui de l'inclusion. Lorsque je travaillais à Amnesty International dans les années 1980, on avait un leitmotiv qui est resté un outil de pilotage pour moi : « On ne fait rien sur les défenseurs sans consulter les défenseurs ». C'est la raison pour laquelle j'organise constamment des consultations avec les défenseurs sur le plan régional. Cela me permet de les écouter et de refléter leur voix dans mes prises de parole publiques. Il en va de même aux COP, je dis aux États : « Prenez le temps d'écouter les personnes qui sont affectées par les décisions que vous prenez ». Il y a une grande sagesse et une expertise effective de la part des militants du climat et des communautés autochtones. Leur voix devrait avoir beaucoup plus d'importance durant les négociations de textes internationaux.

M.O.N - En juin 2024, la cour d'appel de Paris a relaxé sept militants écologistes poursuivis pour avoir bloqué l'A6. Dans son arrêt, la cour affirme que non seulement la liberté d'expression était largement protégée par la CESDH et que cela inclut les actions de désobéissance civiles, mais aussi que les manifestations sérieuses d'intérêt général bénéficient d'une protection plus grande. Que nous apprend cet exemple sur l'évolution de la perception de la légitimité des actions de désobéissance civile notamment par les tribunaux ?

M.F - Je suis heureux de voir que la cour d'appel a infirmé la décision en première instance. J'avais d'ailleurs été l'un des témoins. Il y a désormais un pourvoi en cassation donc l'affaire n'est pas terminée. Je constate que s'il y a des progrès dans quelques pays, en Suisse, en France ou ailleurs, on a malgré tout dans des pays comme la Grande-Bretagne une aggravation très importante des sanctions. J'espère avoir l'autorisation d'aller en Grande-Bretagne pour en parler directement avec le nouveau gouvernement. Sur le plan international, la bataille est donc loin d'être gagnée. J'en ai également parlé avec la Cour européenne des droits de l'Homme (CrEDH), qui se préparer à un contentieux de plus en plus important. Il n'y pas, à ce jour, beaucoup de dossiers car non seulement cela coûte cher pour les militants d'interjeter appel ou de se pourvoir en cassation, mais en plus le temps de préparation d'un dossier pour la CrEDH est très long. Il faudrait qu'on ait suffisamment de dossiers de contentieux européens pour avoir une décision de principe. De temps en temps, mon travail consiste à aller observer un procès, témoigner, en expliquant ce qu'est la désobéissance civile et la façon dont le droit international des droits de l'Homme protège la liberté de manifester et d'utiliser des méthodes non conventionnelles. J'explique que la perturbation de la vie quotidienne fait partie des aléas qu'on doit accepter dans une société démocratique. On dispose de quelques décisions de justice en France et ce sont des signes positifs mais ce n'est pas suffisant pour affirmer que le changement est effectif.

M.O.N - Le droit international ne prévoit pas de définition précise de la désobéissance civile. Comment définissez-vous cette dernière et cette définition est-elle amenée à évoluer ou est-elle immuable afin que les États aient un point de repère stable ?

M.F - C'est le travail que j'essaie de mener de manière très empirique sur la base de mes recherches.J'adopte quatre critères dont le cumul va faire en sorte que je considère qu'un militant a eu recours à de la désobéissance civile. L'idée est de leur montrer que même si la désobéissance civile n'est pas totalement réglementée par le droit international, il y a tout de même des critères que l'on peut considérer comme étant objectifs. Dès lors qu'un acte cumule ces quatre critères, on peut considérer que c'est de la désobéissance et qu'il est alors protégé par le droit international.J'espère être en mesure de pouvoir présenter, dans le deuxième trimestre de 2025, un outil visant à guider le comportement des États lorsqu'ils sont confrontés à la question de la désobéissance civile.

L'un des critères fait l'objet d'une interprétation très particulière : il s'agit du deuxième critère, à savoir celui sur la violence. S'agissant des autres critères, si la loi a été transgressée, le premier critère qui est de désobéir à la loi est rempli. Le troisième critère vise un acte qui ait été réalisé dans un espace public. Quant au quatrième critère, il vise un acte qui ait été réalisé pour protester contre une loi injuste ou contre une politique publique non-conforme aux attentes des citoyens. Si ces quatre critères sont réunis, la désobéissance civile est qualifiée. Sur la question de la violence, j'ai une interprétation très claire. La violence contre les personnes est totalement prohibée. Cela implique que les militants utilisant la violence en attaquant des policiers, en lançant des cocktails Molotov ou des pierres ne sont pas couverts par mon mandat. Cependant, selon moi, dès lors que des militants sont amenés à donner des coups de pieds ou des coups de poing pour se défendre contre une attaque de la police, on peut considérer que c'est de la légitime défense. C'est généralement du cas par cas.

Pour les atteintes aux biens, je considère que dès lors que l'acte est symbolique, il est autorisé. Par exemple, les militants en France qui vont lacérer un mètre de plastique des méga-bassines pour protester symboliquement contre l'importation de ces dernières ou qui vont démonter une vanne de méga-bassine pour symboliquement la porter à la préfecture c'est, selon moi, autorisé par le droit international. Il en est autrement pour les personnes qui vont lacérer toute la méga-bassine. À chaque fois, pour déterminer si les militants sont couverts par mon mandat, nous essayons de comprendre ce qui s'est passé et de voir si l'acte qui a été commis répond à ces critères de non-violence.

M.O.N - Comme vous l'avez précisé, votre mandat était inattendu. À ce jour, votre mandat s'aligne-t-il avec la vision que vous aviez du poste quand on vous l'a proposé ?

M.F - Quand j'ai accepté le mandat, j'ai produit un document public, dans lequel j'explique ma vision du mandat. J'ai expliqué aux États que j'ai l'intention d'explorer les limites de ce mandat pour aller le plus loin possible. Je souhaite voir comment je peux utiliser les outils des Rapporteurs spéciaux, pour le rendre effectif. Je vois que cela fonctionne puisqu'on a de plus en plus de plaintes. Les militants commencent à croire à l'effectivité du mandat. Il reste quand même un grand sujet de préoccupation : les familles de défenseurs des droits humains et environnementaux continuent à travailler en silo. J'essaie de trouver les moyens de réconcilier ces familles de défenseurs. Les COP sont des enceintes dans lesquelles les questions de droits humains, de la biodiversité, du climat et de l'environnement sont discutées. Les ONG devraient donc s'y investir, non seulement pour protéger les militants environnementaux, mais aussi faire passer des messages aux États sur l'interconnexion qui existe entre ces différents enjeux. J'ai de bons contacts avec les grandes ONG des droits humains dans le monde entier qui découvrent également ce nouveau mandat. Elles font passer le message auprès de leurs militants, de leurs membres et auprès des personnes concernées. Ces personnes savent que, désormais, il existe un Rapporteur qui peut répondre à leurs plaintes. Il faut désormais continuer à populariser les différentes facettes de ce mandat.


[1] L'article 3.8 de la Convention d'Aarhus impose aux États de veiller à ce que les personnes exerçant les droits que leur confère la Convention ne soient pas pénalisées, persécutées ou harcelées pour cette raison.

[2] En juillet 2022, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la RésolutionA/RES/76/300 reconnaissant le droit à un environnement sain fait partie des droits humains.

[3] En juillet 2024, 5 membres du groupe militant britannique Just Stop Oil ont été condamné à des peines d'emprisonnement de 4 et 5 ans pour avoir bloqué l'autoroute M25 faisant le tour de Londres.

[4] Ville d'accueil de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité en 2022 (ou COP15).