fr

La CEDEAO et les coups d’État en Afrique de l’Ouest : quel cadre juridique pour quelles actions préventives ?

16/06/2022

Par Djifa Agbezoukin, chargé de mission au sein du département Afrique subsaharienne de l'Institut d'études de géopolitique appliquée


Avertissement

Les propos exprimés n'engagent que la responsabilité de l'auteur. Le texte a servi de support lors d'une communication orale par l'auteur le 23 février 2022 à l'occasion d'une conférence organisée par l'IEGA.

Comment citer cette publication

Djifa Agbezoukin, La CEDEAO et les coups d'État en Afrique de l'Ouest : quel cadre juridique pour quelles actions préventives ?, Institut d'études de géopolitique appliquée, 16 juin 2022


Un coup d'État est la prise du pouvoir dans un Etat par une minorité grâce à des moyens non constitutionnels, imposée par surprise et utilisant la force. C'est une « tentative réussie ou non de conquête du pouvoir politique de nature inconstitutionnelle ou illégale, fondée sur l'usage de la force (...) ou de la menace de la force [1] ». Il s'agit d'un renversement du pouvoir par une personne investie d'une autorité (un militaire), de façon illégale et souvent brutale. On le distingue d'une révolution en ce que celle-ci est populaire.

Un coup d'État ou un putsch est caractérisé par le secret de la préparation et se manifeste à travers la conquête ou la neutralisation des organes centraux de l'État et des moyens de communication, l'arrestation des gouvernants et la suspension de la constitution.

Les coups d'État ne sont qu'un exemple parmi les changements anticonstitutionnels de gouvernement. L'article 23 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance indique ainsi que l'utilisation de certains moyens pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement. Il s'agit :

  • d'un putsch ou coup d'État contre un gouvernement démocratiquement élu,
  • de toute intervention de mercenaires pour renverser un gouvernement démocratiquement élu,
  • de toute intervention de groupes dissidents armés ou de mouvements rebelles pour renverser un gouvernement démocratiquement élu,
  • de tout refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat vainqueur à l'issue d'élections libres, justes et régulières,
  • de tout amendement ou toute révision des constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l'alternance démocratique.

Historiques et chiffres clés sur les coups d'État

Le premier coup d'État du début des années des indépendances a eu lieu en Afrique de l'Ouest, au Togo le 13 janvier 1963. Le premier président du Togo, Sylvanus Olympio, a en effet été assassiné par un groupe de vétérans de l'armée française ayant combattu en Indochine et en Algérie. Ces derniers voulaient intégrer la force de sécurité du jeune État togolais. Le président assassiné sera remplacé par Nicolas Grunisky, un civil qui sera à son tour renversé le 13 janvier 1967 par Kleber Dadjo, un militaire. Ce dernier a gouverné le Togo pendant seulement trois mois, du 14 janvier 1967 au 14 mai 1967, puisqu'il sera lui-même renversé par le sergent Gnassingbé Eyadema qui gouverna le Togo de 1967 jusqu'à sa mort en 2005.

Le Bénin a connu la même situation. En raison de conflit ethnique entre les populations du sud et du nord et le marasme économique de l'époque, le colonel Christophe Soglo avait forcé Hubert Maga, premier président de la république du Dahomey [2] indépendant à démissionner en 1963. En six ans, on enregistra quatre coups d'État et régimes militaires, venant abréger d'éphémères périodes civiles.

Jusqu'en 2011, on dénombre plus de 200 coups et tentatives de coups d'État en Afrique avec plus de 50% de réussite, soit plus de 100 coups réussis selon une étude de Jonathan M. Powell & Clayton L. Thyne, deux chercheurs du département de sciences politiques de l'Université de Kentucky aux États-Unis [3].

Il est toutefois difficile d'avoir un chiffre exact des coups d'État dans l'espace de la Cedeao, faute d'études détaillées sur le sujet. On peut néanmoins en dénombrer une trentaine depuis les indépendances et depuis quelques années le phénomène s'amplifie dans la sous-région. Les cas du Mali, de la Guinée et du Burkina-Faso confirment cette résurgence des putschs dans l'espace de la Cedeao.

Pourquoi les coups d'État et les autres changements anticonstitutionnels de gouvernement semblent prospérer en Afrique de l'Ouest ?

Les causes des coups d'État

Les coups d'État semblent prospérer de plus en plus dans la sous-région ouest-africaine et cela peut s'expliquer par diverses raisons. « Un coup d'État ou un putsch survient dans une société lorsque les institutions sont en crise ou en difficulté et qu'elles semblent incapables de définir des solutions consensuelles. Cette situation peut également provenir d'une armée trop puissante, capable de s'imposer aux autorités civiles et de court-circuiter les processus décisionnels constitutionnels. [4]»

La première cause de la recrudescence des coups d'État en Afrique de l'Ouest est sans doute liée à la carence de démocratie dans l'espace communautaire. La démocratie et l'alternance peinent à s'imposer comme règle du jeu politique [5] dans l'espace ouest-africain. On note fréquemment une absence de consensus autour des questions de gouvernance, d'organisation des élections qui débouchent très souvent sur des crises politiques aux conséquences dévastatrices pour l'économie des pays.

Outre la question de la démocratie, celle de la gestion des biens publics constitue le plus souvent un point de crispation entre les gouvernants, partis politiques d'opposition et acteurs de la société civile. La mauvaise gestion des biens publics a pour corolaire l'absence de perspectives d'avenir pour la jeunesse désœuvrée. Avec une population à majorité jeune, il y a un réel désir de changement dans les pays de l'Afrique de l'Ouest. Face à des dirigeants peu enclins à écouter les besoins de la population, « le putsch devient alors comme arbitre institutionnel du jeu politique où les acteurs ne veulent ni attendre leur tour ni passer la main [6] ». D'ailleurs, dans la région, « certains [coups d'État] ont été opportuns. Les exemples du Ghana sous Jerry Rawlings ou d'un Mali réinventé sous Amadou Toumani Touré sont forts révélateurs [7] ».

Plus récemment, face à la montée du djihadisme dans la sous-région, la question sécuritaire a fait son entrée dans la liste des causes des coups d'État dans l'espace ouest-africain. Les exemples du Mali et du Burkina-Faso sont assez évocateurs. Il y a un lien entre la montée de djihadisme et la gouvernance des pays. Il y a ce constat amer de l'échec des politiques à favoriser l'enracinement de l'État-nation où tous les citoyens se sentent unis par un lien fort d'appartenance et un destin commun. Les sectes djihadistes trouvent alors des terreaux fertiles auprès des communautés qui se sentent mises aux bans de la société et oubliées par les pouvoir publics.

Les coups d'État nuisent sans aucun doute à la stabilité de la région et impactent négativement les échanges commerciaux entre les pays. Par exemple, une crise au Mali aura immédiatement des conséquences directes sur l'approvisionnement du Sénégal en produits laitiers et viandes bovines. On attend donc de la Cedeao, dont l'objectif est d'œuvrer pour contribuer au développement des États membres, qu'elle anticipe et qu'elle prenne des mesures appropriées pour prévenir les putschs plutôt que de se manifester quand il est déjà trop tard. Face à cette attente, il convient alors de voir si la Cedeao a les moyens juridiques et statutaires pour jouer le rôle de « gardien de la démocratie » dans la sous-région.

Analyse critique des instruments juridiques de prévention et de réaction contre les coups d'État

  • Le traité de la Cedeao de 1993

La première base juridique de toute action de la Cedeao est le traité révisé de 1993, notamment son article 3 qui énumère les objectifs fondamentaux de l'organisation. Il s'agit, entre autres, de promouvoir la coopération et l'intégration pour parvenir à une union économique en vue d'élever le niveau de vie des populations, harmoniser et coordonner les politiques nationales, programmes, projets et activités dans le domaine agricole, l'industrie, etc. Outre les objectifs fixés par l'article 3, la communauté entend aussi développer une coopération dans les affaires politiques (art. 56), en matière juridique et judiciaires (art. 57) et en matière de sécurité (art. 58).

La démocratie et la stabilité ne sont pas des objectifs au sens du traité de la Cedeao. Ces deux notions sont plutôt inscrites dans les principes fondamentaux de l'organisation. Cela suppose que la stabilité et la démocratie sont des préalables qui devraient être respectés par les États membres. D'ailleurs l'article 58 du traité stipule que « les États membres s'engagent à œuvrer à la préservation et au renforcement des relations propices au maintien de la paix, de la stabilité et de la sécurité dans la région ». Il est prévu également de mettre en place un observatoire régional de paix et de sécurité et le cas échéant des forces de maintien de la paix.

La stabilité et la démocratie sont donc des conditions, des prérequis permettant d'atteindre les objectifs. L'article 4 du traité de 1993 établit ainsi la promotion et la consolidation d'un système démocratique de gouvernement dans chaque État membre comme principe de base de la communauté. Toute action d'un État qui serait aux antipodes des principes démocratiques devraient donc en principe entrainer une réaction de la part de la Cedeao.

  • Le protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité du 10 décembre 1999

Le deuxième instrument juridique pouvant permettre à la Cedeao d'agir et de réagir en matière de trouble pouvant déboucher sur un changement anticonstitutionnel de gouvernement est le protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité signé le 10 décembre 1999 à Lomé. Il prévoit dans ses objectifs la constitution et le déploiement, chaque fois que de besoin, d'une force civile et militaire pour maintenir ou rétablir la paix dans la sous-région. Il prévoit également la création d'un conseil de médiation et de sécurité qui regroupe l'ensemble des chefs d'État. Ce conseil décide et met en œuvre les politiques de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité ; autorise toutes les formes d'intervention et décide notamment du déploiement des missions politiques et militaires.

Le protocole prévoit également que le conseil de médiation et de sécurité peut se tenir sous forme de réunions au niveau ministériel regroupant les ministres des Affaires étrangères, de la Défense, de l'Intérieur et de la Sécurité. Il est par ailleurs prévu la possibilité de mobiliser un Groupe de contrôle du cessez-le-feu de la CEDEAO (ECOMOG) qui est une structure composée de plusieurs modules polyvalents (civils et militaires) en attente dans leurs pays d'origine et prêts à être déployés dans les meilleurs délais. L'ECOMOG peut être déployé pour des opérations de maintien de la paix et de désarmement. Il est créé aussi un système d'observation de la paix et de la sécurité sous-régionale appelé pré alerte ou « le Système » (anticipation). Des bureaux de zones rassemblent les données collectées dans chaque État et au jour le jour, sur la base d'indicateurs susceptibles d'affecter la paix et la sécurité de la zone et de la sous-région (articles 23 et 24 du protocole). Le mécanisme est mis en œuvre entres autres dans les cas de conflits internes qui menacent de déclencher un désastre humanitaire et constituent une menace grave à la paix et à la sécurité dans la sous-région ; en cas de violations graves et massives des droits de l'Homme ou de remise en cause de l'État de droit ; en cas de renversement ou de tentative de renversement d'un gouvernement démocratiquement élu.

L'article 42 du protocole renforce la capacité institutionnelle de la Cedeao pour la consolidation de la paix. Ainsi, pour prévenir à temps les troubles sociaux et politiques, elle doit s'impliquer dans la préparation, l'organisation et la supervision des élections programmées dans les États membres. La Cedeao doit également suivre et s'impliquer activement dans le soutien à la mise en place d'institutions démocratiques dans les États membres. Surtout, elle doit tout mettre en œuvre pour aider les États membres sortant de situation de conflits à augmenter leurs capacités de reconstruction sociale, économique et culturelle.

  • Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité

Ce protocole additionnel a été signé à la suite du constat que l'intolérance religieuse, la marginalisation politique et la non-transparence du processus électoral dans les États membres engendrent de plus en plus de conflits. Ainsi, pour que le protocole du 10 décembre 1999 soit plus efficace, il faut qu'il soit complété notamment dans le domaine de la prévention des crises intérieures, de la démocratie, de la bonne gouvernance, de l'État de droit et des droits de la personne. Ce protocole additionnel se veut plus explicite sur les sujets relatifs aux changements anticonstitutionnels de gouvernements. La section 1 intitulée « principes de convergence constitutionnelle » indique entre autres que toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes ; tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d'accession ou de maintien au pouvoir ; l'armée est apolitique et soumise à l'autorité politique régulièrement établie ; tout militaire en activité ne peut prétendre à un mandat politique électif.

  • La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 

La signature de cette charte confirme une prise de conscience des préoccupations liées aux changements anticonstitutionnels de gouvernement qui constituent l'une des causes essentielles d'insécurité, d'instabilité, de crises et même de violents affrontements en Afrique. Entre autres objectifs, la charte veut promouvoir et renforcer l'adhésion au principe de l'État de droit fondé sur le respect et la suprématie de la constitution et de l'ordre constitutionnel dans l'organisation politique des États parties. Elle a aussi pour but d'interdire, rejeter et condamner tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout État membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement [8].

Cette charte exige des États parties de renforcer le principe de la suprématie de la constitution dans leur organisation politique. Elles doivent s'assurer que le processus d'amendement ou de révision de leur constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum [9].

La région ouest-africaine semble être dotée des instruments juridiques et institutionnels nécessaires pouvant permettre d'éviter les situations qui conduisent aux coups d'État. Or malgré ces instruments, force est de constater que la Cedeao ne parvient toujours pas à anticiper et prévenir les coups d'État dans l'espace ouest-africain. On peut alors se demander si les instruments juridiques sont bien appliqués et adaptés.

Les insuffisances des instruments juridiques et les pistes d'amélioration pour des actions préventives

L'une des causes de l'inefficacité des instruments résulte de la non application de ces derniers et d'une certaine complaisance des institutions régionales vis-à-vis des gouvernements des États membres lorsque ces derniers se rendent coupables de comportements contraires aux principes de la communauté. Il est important de souligner que les coups d'État militaires sont des conséquences de certaines situations attentatoires à la démocratie, à la bonne gouvernance et la sécurité qui sont mal gérées en amont. Par exemple, l'article 1 du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance dispose que toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes et transparentes. Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d'accession ou de maintien au pouvoir. Or, les processus électoraux dans certains pays de la Cedeao manquent de transparence et débouchent souvent sur des crises politiques. La première cause des conflits politiques en Afrique de l'Ouest est liée aux contentieux électoraux. La modification non consensuelle des constitutions pour briguer un autre mandat contre la volonté du peuple devient récurrente et n'a jamais fait l'objet de sanction de la part de la Cedeao. Cela s'est produit en Côte d'Ivoire et en Guinée sans que la Cedeao n'ait réagi. On ne peut se maintenir au pouvoir contre la volonté de ceux qu'on veut diriger. Le contrat social qui devrait être à la base des rapports entre les gouvernants et les gouvernés se trouvera ainsi rompu et on se dirige tout droit vers le totalitarisme. Bien que la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance dispose que le processus d'amendement ou de révision des constitutions doit reposer sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours à un référendum, cela n'est souvent pas le cas. Le cas de l'adoption de la nouvelle constitution en Guinée par Alpha Condé est un exemple instructif. Ce projet, très contesté par l'opposition a entrainé de nombreuses manifestations dans le pays qui ont été violemment réprimées entrainant la mort de plusieurs manifestants, violant ainsi l'article 22 du protocole additionnel qui interdit l'usage des armes pour la dispersion de réunions ou de manifestations non violentes.

C'est à ce moment que la Cedeao devrait agir et rappeler le président Alpha Condé à l'ordre. Malheureusement, cela ne fût pas le cas et les conséquences sont importantes. Il y a eu de multiples cas de répression de manifestations dans la sous-région entrainant la mort de manifestants et cela n'a jamais été condamné fermement par les institutions régionales. Si la Cedeao s'était montrée ferme concernant le respect de cette règle, le coup d'État en république de Guinée qui a porté le colonel Doumbouya à la tête de l'État aurait pu être évité. Pour prévenir les coups d'État militaires, il faut s'attaquer à la source du problème ; les putschs n'étant que la réaction à une situation mal ou non gérée au moment opportun. La Cedeao a manqué des occasions de mettre en application l'article 45 du protocole additionnel qui prévoit qu'en cas de rupture de la démocratie par quelque procédé que ce soit et en cas de violation massive des droits de la personne dans un État membre, l'organisation peut prononcer à l'encontre de l'État concerné des sanctions.

La non application des textes et l'inaction de la Cedeao devant les situations de crise dans les États membre est assez symptomatique du niveau d'intégration de la communauté et du degré de solidarité entre les États. Selon l'article 24 du protocole additionnel : « (...) le Département des affaires politiques, de la défense et de la sécurité (...) devra initier des activités communes aux agences nationales des Etats membres chargées de prévenir et de combattre le terrorisme. » Le Mali, le Burkina Faso, le Niger et même le Nigéria sont régulièrement la cible d'attaques djihadistes. On n'a pas vu d'initiative de la Cedeao pour venir en aide à ces pays dans leur lutte contre le terrorisme. Les coups d'État au Mali et au Burkina sont justifiés par les putschistes par la dégradation de la situation sécuritaire. En étant proactive, la Cedeao pouvait mobiliser la force Ecomog pour soutenir les gouvernements malien et burkinabé pour venir à bout des djihadistes qui sévissent sur leur territoire. Cela nécessite bien évidemment des moyens financiers.

Jusqu'à ce jour, la Cedeao réagit toujours tardivement alors qu'il y a bien moyen d'agir en amont pour prévenir ces situations qui mettent à mal la stabilité de la région.

Pour réussir à appliquer efficacement les textes, des réformes institutionnelles sont indispensables au niveau de la Cedeao. Il faut en effet réduire la prééminence du conseil des chefs d'État et de gouvernement et renforcer les prérogatives de la commission qui fonctionne encore aujourd'hui comme un secrétariat chargé d'appliquer les directives reçues des chefs d'État. L'expérience a montré jusqu'ici que le conseil des chefs d'État et de gouvernement manifeste une forme de complaisance coupable vis-à-vis des dirigeants, même ceux qui adoptent des comportements anti-démocratiques dans leur pays. La commission serait mieux placée pour jouer le gardien de la paix et de la démocratie dans la région. Elle pourra ainsi être dotée d'une cellule spéciale chargée de surveiller l'état de la démocratie dans les pays membres et faire des recommandations. Outre la commission, le parlement régional doit également s'impliquer davantage dans les questions liées à la démocratie dans les États membres. Pour cela, ses prérogatives doivent également être renforcées. Tout ceci dépendra encore une fois de la volonté du conseil des chefs d'État et de gouvernement de procéder à des réformes afin de renforcer l'institution qui est en perte d'intérêt aux yeux de la population.

Au niveau interne des États, des efforts doivent également être réalisés pour renforcer les mécanismes démocratiques de pouvoirs et contre-pouvoirs. La subordination du législatif et du judiciaire au pouvoir exécutif empêche l'éclosion d'une réelle démocratie dans les États ouest-africains. La Cedeao doit œuvrer pour une réelle séparation des pouvoirs dans les États afin de favoriser un jeu politique et démocratique de contrôle et d'alerte de l'exécutif par les pouvoirs législatif et judiciaire. L'absence de réels mécanismes politiques de contrôle des gouvernements, telle qu'une mise en cause de leur responsabilité en cas de problème grave, laisse le putsch comme seul recours pour réguler le jeu politique. L'Afrique d'une manière générale doit se réinventer et s'approprier les pratiques politiques et démocratiques héritées des pays européens pour les adapter à sa réalité. Il faut réduire le mimétisme institutionnel et politique et se montrer pragmatique afin d'adopter des règles qui répondent aux réalités africaines.


[1] Voir : https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1484

[2] La république de Bénin s'appelait la république du Dahomey indépendant.

[3] Global instances of coups from 1950 to 2010: A new dataset, Journal of Peace Research, août 2011.

[4] Voir : https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1484

[5] Alexe Kitio Kenfack, « L'illusion de la « putsch-thérapie » en Afrique », https://www.academia.edu/38656077/Titre_LAfrique_et_les_coups_d%C3%A9tat_ou_lillusion_de_la_putsch-th%C3%A9rapie

[6] Idem.

[7] Idem.

[8] Voir article 2 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

[9] Voir article 10 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.