Iran : les surprises du nouveau gouvernement
Par Michel Makinsky, directeur général d'Ageromys International, chercheur associé à l'Institut d'études de géopolitique appliquée et à l'Institut prospective et sécurité en Europe.
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Ce texte a initialement été publié sur le site Les clés du Moyen-Orient le 11 septembre 2024. L'extrait ci-dessous est un résumé de la publication originale.
Le nouveau gouvernement iranien a été approuvé par le Parlement (Majlis) le 21 août dans des conditions sans précédent. C'est la première fois qu'un cabinet est validé par les députés en une seule fois. D'habitude, plusieurs candidats-ministres sont refusés et ceci entraîne d'interminables et laborieuses négociations nécessitant la mise en place d'intérimaires en attendant les titulaires acceptés. Ce vote positif totalement inattendu révèle un nouveau paysage politique, avec un rapport de forces clair qui affecte le choix des personnalités et le contenu des politiques qu'elles suivront.
La première donnée révélée dans ce processus est que la sélection des futurs ministres a été négociée au cas par cas par Massoud Pezeshkian, le nouveau président. Cette négociation a été opérée d'abord avec les Gardiens de la Révolution, les services sécuritaires. Un accord a été conclu avec Mohammad Baqer Qalibaf, président du Majlis, ancien général des Pasdarans qui en représente les intérêts. Plusieurs portefeuilles importants ont été accordés à des proches de ce dernier. Avec le brigadier général Aziz Nasirzadeh (bien qu'appartenant à l'armée régulière et non aux Gardiens de la Révolution) comme ministre de la Défense, Eskandar Momeni (ancien Pasdaran) comme ministre de l'Intérieur, Alireza Kazemi comme ministre de l'Education (déjà ministre sous la présidence Raïssi et dont le frère est chef des renseignements des Gardiens), Ahmad Donyamali, ministre des Sports, Qalibaf peut être satisfait. Les conservateurs ont obtenu d'autres gages significatifs. Sur 19 ministres, 3 exerçaient sous la présidence Raïssi. Le plus emblématique, Esmail Khatib, ministre de la Justice, devient ministre des Renseignements ; Amin-Hossein Rahimi, ministre de la Justice ; Abbas Aliabadi, nouveau ministre de l'Energie.
Plus intéressant, signe de savants équilibres, le chef de l'État a pu faire approuver par le Parlement très conservateur (partagé entre députés liés aux Gardiens de la Révolution qui soutiennent Qalibaf et leurs concurrents du clan ultra dur de la faction Paydari de l'ancien négociateur rigide Saeed Jalili) Abbas Araghchi (ancien bras-droit de Zarif pour les négociations de l'accord nucléaire de 2015) au poste-clé de ministre des Affaires étrangères. C'est une surprise car la plupart des observateurs pensaient que le Majlis s'opposerait à cette nomination. C'est un double message : le ministre a été imposé par le Guide aux parlementaires rétifs et Khamenei entend signifier qu'il n'exclut pas des négociations avec les Occidentaux. La raison est simple : il y a urgence à obtenir une levée au moins partielle des sanctions (ce qui n'empêche pas de poursuivre leur contournement). La seconde révélation est que c'est le Guide qui a personnellement validé tous les ministres, conservateurs et réformateurs compris. C'est la confirmation de son pouvoir sans obstacle. Notons que le nouveau ministre Araghchi s'est adjoint son ancien collègue Majid Takht Ravanchi ex vice-ministre négociateur nucléaire comme lui. En sus, Pezeshkian a pu nommer des hommes de confiance, réformateurs ou modérés, experts compétents. Au premier chef, le ministre de l'Économie Abdolnaser Hemmati (ancien gouverneur de la Banque centrale), et encore plus significatif, le ministre du Pétrole, Mohsen Paknevad, doté d'une très solide expérience du secteur, nommé malgré le refus de la commission énergie du Parlement.
Par ces nominations, le nouveau président affiche un consensus inédit avec les Gardiens et le Guide au détriment de la faction ultra Paydari. Une autre indication surprenante de ce changement de paysage : Mohammad Javad Zarif, l'ancien ministre des Affaires étrangères sous la présidence Rohani est nommé à un poste inédit de conseiller en charge de la stratégie auprès du chef de l'État. Peu satisfait du manque de réformateurs et de femmes parmi les ministres, il démissionne quelques jours puis regagne son poste après que Pezeshkian ait complété son cabinet par quelques vice-présidents modérés et deux femmes (il n'y a qu'une femme ministre). Avec la présence de Zarif, stratège en chef du président et qui retrouve ses deux anciens vice-ministres négociateurs, c'est une dream team de 2015 qui réapparaît, interlocuteurs familiers des Occidentaux.
Les orientations prioritaires du nouveau gouvernement sont claires : il faut restaurer l'économie (notamment retrouver d'urgence le contrôle d'une inflation meurtrière) et diminuer les tensions. Pour cela, un impératif : lever (ou alléger) les sanctions. Il n'y a pas d'autre choix que d'engager des négociations avec les Occidentaux. Le Guide vient de dire qu'il ne s'y oppose pas. Ceci n'empêche pas Téhéran de poursuivre sa relation privilégiée avec Moscou et Pékin. L'autre orientation prioritaire est la diminution des tensions régionales. L'exécutif veut éviter de tomber dans le piège d'un engrenage israélien au Liban et celui d'échanges de frappes directes et réfléchit à une riposte soigneusement dosée à l'élimination d'Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas tué à Téhéran. Le nouvel exécutif entend poursuivre l'amélioration de ses relations avec l'Arabie saoudite. Sur cette stratégie pèsent de nombreuses inconnues, en particulier les élections américaines et les incertitudes israéliennes. Pendant ce temps, l'Europe et singulièrement les E3 (France, Allemagne, Grande-Bretagne) sont vus comme marginaux par le pouvoir iranien qui considère que les Américains sont leurs interlocuteurs avec qui un dialogue même a minima est possible.